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De la marque France au made in France

12/01/2017

La marque France pose défis et ques­tions. Quelles sont les valeurs inhé­rentes à cette marque ? suppose-t-elle le « made in France » ? comment les marques viennent-elles la soute­nir et la valo­ri­ser ?

par Ouidade Sabri,
Professeur à l’IAE de Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de la chaire Marques & Valeurs

Les écono­mies déve­lop­pées ont bien compris que la recherche de compé­ti­ti­vité est la clé de voûte pour renouer avec la crois­sance. Un des leviers réside dans la capa­cité à insti­tuer une « marque nation » forte, avec un posi­tion­ne­ment distinc­tif et attrac­tif. Les études ont ainsi démon­tré que la noto­riété d’une marque nation permet une meilleure recon­nais­sance du pays sur la scène mondiale 1 et améliore tant les pers­pec­tives écono­miques que les rela­tions inter­na­tio­nales 2. C’est la raison pour laquelle les réflexions sur les leviers d’une marque nation s’ac­cen­tuent depuis les années 2010 3, comme en atteste la mission Marque France, confiée à Philippe Lent­sche­ner, président de McCann France, et remise à Arnaud Monte­bourg, ministre de l’In­dus­trie, en octobre 2013 4.

La marque France, de quoi parlons-nous ?

Si parler de marque France n’est pas nouveau, tout le monde s’ac­corde à dire que celle-ci n’est pas une marque comme les autres, en raison des diffé­rentes réali­tés (géogra­phiques, poli­tiques, histo­riques, socio­lo­giques, sociales et cultu­relles) qu’elle englobe et de la plura­lité des acteurs en charge de sa gestion et de sa promo­tion, depuis la prési­dence de la Répu­blique à l’agence de déve­lop­pe­ment touris­tique de la France – Atout France – jusqu’au simple citoyen fran­çais 5. Malgré une complexité inhé­rente, défi­nir la marque France reste une néces­sité pour déve­lop­per sa compé­ti­ti­vité. Sa défi­ni­tion suppose bien évidem­ment de comprendre les valeurs qui la consti­tuent. Ainsi, est née la mission Marque France. Le fruit de cette réflexion a conduit à ériger les trois valeurs fonda­trices de la marque au soubas­se­ment de son posi­tion­ne­ment distinc­tif : la France, c’est l’amour des gestes et des savoir-faire ; la capa­cité à insuf­fler une « vision » aux produits et services créés ; l’art de la surprise. Les grandes marques fran­çaises, par leur stra­té­gie de commu­ni­ca­tion notam­ment, ont permis de construire au fil du temps l’iden­tité de la marque France. On lui asso­cie spon­ta­né­ment l’in­dus­trie du luxe, car elle est très connue du grand public. Toute­fois, de grandes entre­prises dans le secteur de l’in­dus­trie, des trans­ports, ou encore des nouvelles tech­no­lo­gies oeuvrent égale­ment à véhi­cu­ler les valeurs fonda­trices de la marque France.

La France, c’est « l’amour des gestes et des savoir-faire ». 

La France est ainsi connue et reconnue pour son savoirfaire dans différents secteurs d’activité, aussi bien dans l’industrie du luxe que dans le secteur agroalimentaire. À titre illus­tra­tif, Hermès a initié la tech­nique du point sellier utilisé pour la couture du cuir et en a fait sa signa­ture. La marque Vuit­ton est à l’ori­gine de la créa­tion de la serrure incro­che­table qui a trans­formé les malles de voyage au XIXe siècle. Les villes fran­çaises de Calais et de Caudry se partagent le titre de capi­tale mondiale de la dentelle, en raison d’un procédé de nouage entre chaîne et trame hérité du XIXe siècle. La dentelle de Calais devint même une marque dépo­sée en 1958, condui­sant au déve­lop­pe­ment du label Dentelle de Calais-Caudry.

La France, c’est la capacité à insuffler une « vision » aux produits et services créés. Au-delà de la simple créa­tion et produc­tion de produits et services, la France se distingue par sa capa­cité à créer un imagi­naire. Les produits de luxe fran­çais ne sont pas unique­ment des produits statu­taires : ils commu­niquent autour d’un imagi­naire permet­tant de donner du sens à sa consom­ma­tion. La marque Louis Vuit­ton, par exemple, a construit tout un récit autour du voyage, qu’elle décline dans nombre de ses commu­ni­ca­tions. Dans le secteur de la gestion de l’eau, de l’éner­gie et des déchets, Véolia raconte sous forme d’his­toire sa mission de manière ludique et opti­miste, comme en atteste la campagne pluri-médias « Ressour­cer le monde ».

La France, c’est « l’art de la surprise ». La France se démarque égale­ment par sa capa­cité à sortir des sentiers battus pour initier des inno­va­tions de rupture et créer de nouveaux espaces de marché. Parmi les récentes inno­va­tions de rupture, on peut citer BlaBla­Car, Daily­mo­tion, ou encore Critéo (entre­prise de re-ciblage publi­ci­taire person­na­lisé sur Inter­net).

Marque France vs made in France : deux concepts liés mais distincts.

La marque France est inti­me­ment liée au made in France. Le made in France est une certi­fi­ca­tion permet­tant d’au­then­ti­fier l’ori­gine géogra­phique des produits fran­çais. Cette certi­fi­ca­tion est parti­cu­liè­re­ment utile pour attes­ter l’ori­gine des produits agri­coles sur la scène inter­na­tio­nale, comme le vin par exemple, et promou­voir de ce fait la marque France à l’étran­ger. La délo­ca­li­sa­tion d’une partie de la produc­tion de certaines marques de luxe fran­çaises à l’étran­ger, comme Vuit­ton en Rouma­nie ou Given­chy en Pologne, peut venir déva­lo­ri­ser la percep­tion de la qualité des produits fran­çais et enta­cher la crédi­bi­lité de la marque France, voire même la remettre en ques­tion 6. En revanche, comme souli­gné par Jean-Noël Kapfe­rer 7, on ne saurait réduire la marque France au made in France, qui va au-delà de la simple certi­fi­ca­tion de l’ori­gine géogra­phique des produits. La marque France conduit à recon­naître et promou­voir les trois valeurs piliers citées plus haut. De la même façon, le made in France ne se réduit pas à la promo­tion de la marque France sur la scène inter­na­tio­nale et consti­tue parfois une stra­té­gie distincte et auto­nome, visant les consom­ma­teurs fran­çais et non inter­na­tio­naux. Dans ce cas, les objec­tifs de cette stra­té­gie sont de promou­voir le senti­ment d’ap­par­te­nance régio­nale, la qualité de ses produits et de commu­ni­quer sur la respon­sa­bi­lité sociale de l’en­tre­prise via la préser­va­tion des emplois en France, comme en attestent les exemples ci-dessous.

Des marques enga­gées dans la valo­ri­sa­tion de la marque France

Les marques ont bien compris que se focaliser uniquement sur la problématique du made in France et réduire la marque France à cette seule dimension serait un parti pris dangereux, étant donné la pres­sion à la renta­bi­lité qui pèse sur elles et qui les conduit très souvent à délo­ca­li­ser une partie de leur produc­tion. Les marques, déjà présentes sur le marché, oscil­lent entre deux stra­té­gies de valo­ri­sa­tion de la marque France : elles s’en­gagent d’une part dans la promo­tion de leur savoir-faire, et d’autre part dans le déve­lop­pe­ment d’un imagi­naire ancré dans la culture, l’his­toire et les valeurs de la France. Concer­nant la première stra­té­gie, les marques de luxe notam­ment s’en­gagent dans le faire savoir de leur savoir-faire. Les maisons de luxe ont multi­plié les campagnes de commu­ni­ca­tion intro­ni­sant le travail des artistes et des arti­sans. C’est ainsi qu’au moyen de ses Jour­nées parti­cu­lières, dont la dernière édition date de mai 2016, LVMH ouvre ses portes dans plus de 50 lieux à travers l’Eu­rope afin de faire connaître ses créa­tions toujours renou­ve­lées et le travail de ses arti­sans. Dans le même esprit, en 2011, Hermès a lancé une campagne publi­ci­taire nommée « Hermès, arti­san contem­po­rain », dans laquelle la marque expose de manière sugges­tive son savoir-faire. Concer­nant la seconde stra­té­gie, certaines marques travaillent à s’ancrer dans les valeurs, le mode de vie, le patrimoine et l’histoire de la France pour promouvoir leur positionnement. La Redoute a ainsi lancé une nouvelle collec­tion en 2016 – La Redoute Madame –, qui affirme le style à la fran­çaise en réin­tro­dui­sant des pièces iconiques emblé­ma­tiques du chic et de l’élé­gance vesti­men­taire fran­çais. Les grandes marques de parfum n’hé­sitent pas à mettre en valeur le patri­moine fran­çais dans leurs commu­ni­ca­tions en insis­tant sur les monu­ments emblé­ma­tiques tels que le château de Versailles ou la tour Eiffel. C’est dans la gale­rie des Glaces du château de Versailles qu’a été tourné le grand succès commer­cial Dior J’adore. D’autres marques choisissent d’attribuer un nom de marque très évocateur de la France comme Pari­sienne, d’Yves Saint Laurent. Certaines marques étran­gères vont même jusqu’à adop­ter un nom de marque à conso­nance fran­çaise afin d’évo­quer le savoir­faire fran­çais et son authen­ti­cité 8. C’est ainsi que la japo­naise Yukaru Suda a donné à sa ligne de prêt-à-porter fémi­nin le nom de marque : pas de calais. De la même façon, la marque de prêt-à-porter améri­caine Être Cécile déve­loppe un posi­tion­ne­ment de marque « presque pari­sienne ».

Ces derniers exemples montrent toute l’aura et le rayon­ne­ment de la marque France dans le monde, qui néces­site toute­fois d’être conti­nuel­le­ment promue et pilo­tée dans le temps. Dans ce contexte, les clas­se­ments inter­na­tio­naux consti­tuent un formi­dable outil de pilo­tage et d’éta­lon­nage par rapport aux marques pays concur­rentes, permet­tant d’iden­ti­fier les leviers d’ac­tion à privi­lé­gier pour la promo­tion de la marque France. Ces clas­se­ments insistent tant sur les facteurs d’at­trac­ti­vité des marques pays, comme c’est le cas du World Compe­ti­ti­ve­ness Report du Forum écono­mique mondial (WEF), que sur les facteurs de percep­tion des marques pays comme le Coun­try Brand Index de Futu­re­Brand.

 

Bibliographie
(1) Peter Van Ham, « The rise of the brand state », Foreign Affairs, vol. 80, n° 5, sept.- oct. 2001, p. 2-6.
(2) Ying Fan, « Branding the nation : What is being branded ? », Journal of Vacation Marketing, vol. 12, n° 1, janv. 2006, p. 5-14.
(3) Jean-Noël Kapferer, « France : Pourquoi penser marque ? », Revue française de gestion, vol. 37, n° 218-219, sept. 2011, p. 13-23.
(4) Le rapport peut être téléchargé sur le Web : http://www.entreprises.gouv.fr/files/ files/directions_services/politique-et-enjeux/competitivite/marque-france/rapport- marque-france-2013-06-28.pdf.
(5) Bonnal, F. (2011). Comprendre et gérer la marque France. Revue française de gestion, (9), 27-43.
(6) Maxime Koromyslov, « Le “Made in France” en question », Revue française de gestion, vol. 37, n° 218-219, sept. 2011, p. 107-122.
(7) Idem note 3
(8) http://madame.lefigaro.fr/style/ces-marques-a-consonnance-francaise-maisqui- ne-le-sont-pas-131015-98887.

 

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