Wegrow, accélérateur d’innovation incrémentale

12/11/2020

Comment définissez-vous votre outil Wegrow ? 

Arnaud Sliwa : Wegrow aide à casser les silos afin que les équipes puissent partager en interne leurs innovations et bonnes pratiques. C’est un système de « gamification » qui les motive à réutiliser ces réussites. Notre algorithme suit leurs effets dans l’entreprise. L’ensemble est intégrable aux grands outils comme Microsoft Teams, Facebook Workplace ou Whatsapp, afin de ne pas ajouter d’outil supplémentaire.

Quel a été le contexte de sa création ?  

A. S. : J’ai créé Wegrow quand, directeur marketing des produits laitier frais de General Mills au Brésil, je devais lancer des projets locaux avec des moyens limités. Je souhaitais favoriser des projets qui avaient plus de chance de marcher en ayant déjà rencontré des succès ailleurs. Ça s’est avéré difficile : l’information opérationnelle était noyée dans les réseaux sociaux d’entreprise, il fallait joindre directement les personnes qui connaissent la réalité des lancements et se reposer sur un réseau personnel. On se heurte en effet à une certaine inefficacité des réseaux internes, qui souvent excluent les juniors ou les nouveaux. Beaucoup de temps et d’énergie sont perdus à retrouver une information pourtant bien documentée et opérationnelle. 

Torrent d’info et glaçons de valeur

Quels sont ces dysfonctionnements qui nuisent aux innovations ?

A. S. : Ils sont nombreux. Quand une innovation produit ou une innovation en communication fonctionne bien, comment la partage-t-on ? Première solution : le contributeur la partage avec son manager, qui parfois la partagera dans un comité régional avec d’autres managers. Six mois plus tard, il est quasiment impossible de savoir qui a été touché. Deuxième solution : la poster sur le réseau social d’entreprise en interne. Dans ce cas l’initiative risque d’être noyée dans un flot incessant d’informations, et il est quasi impossible de savoir si elle a été réutilisée par d’autres équipes. Dans tout grand groupe, soit l’information remonte, soit elle descend. Mais il n’y a pas de transversalité en dehors des réseaux sociaux d’entreprise, flux constant qui submerge les équipes. Au milieu de ce torrent d’information, Wegrow aide à consolider et à sélectionner les glaçons qui ont une vraie valeur, qui doivent flotter à la surface en permanence, les initiatives gagnantes qui doivent être réutilisées à grande échelle.

Sur quels types de pratiques porte votre outil ?  

A. S. : Les équipes partagent des bonnes pratiques, des idées, ou des erreurs dont elles ont appris. Les bonnes pratiques peuvent être des innovations qui ont du succès, des activations efficaces, des campagnes ayant un bon retour sur investissement, des plans d’économies, ou les manière de s’adapter à une crise, comme aujourd’hui au Covid-19. Les idées viennent de l’interne ou de la concurrence. Wegrow dédramatise les erreurs sur le mode « Oups ! » : les équipes partagent leurs erreurs et ce qu’elles feraient différemment la prochaine fois. Chez nos clients, ces « Oups ! » représentent près de 15 % des échanges et constituent une mine pour ne pas refaire les mêmes erreurs.

Comment les pratiques échangées sont-elles hiérarchisées, et par qui ?

A. S. : Elles sont hiérarchisées par la communauté des utilisateurs, avec un rôle spécial des ambassadeurs qui peuvent être des managers sélectionnés, ou les experts d’une marque ou d’un sujet, au niveau local ou global. Ils ont le pouvoir de sélectionner des posts pour les pousser en pleine lumière s’ils pensent qu’ils peuvent avoir des retombées à grande échelle. Cette étape est très importante, elle permet de sélectionner les informations sur lesquelles on veut vraiment agir. Combien de fois une inspiration reste comme un Post-it collé au bord d’un bureau ou un courriel perdu dans une boîte de réception ? Chez Wegrow, quand des initiatives sont partagées, les équipes savent précisément trois mois plus tard qui a trouvé cela utile, qui a agi dessus et pour quel résultat.

Localisation automatisée des destinataires pertinents

Wegrow nécessite-t-il de nouvelles compétences ?

A. S. : Wegrow est aussi simple à utiliser que Whatsapp, et ne nécessite pas d’apprentissage particulier. La « gamification » motive les équipes et crée un engagement fort. Nous avons avec les jeunes générations un vivier prêt à partager et à agir, qu’il suffit d’orienter dans la bonne direction. Les équipes sont guidées par des questions ; ainsi, quand un responsable emballage communique une manière de réduire le poids de son produit tout en préservant la barrière anti-UV, nous savons que son information va intéresser dix personnes de l’entreprise dans le monde. Notre algorithme les trouve, et leur fournit cette information. Ces dix personnes vont ensuite déclarer si ce partage leur a été utile et s’il a eu ou non des retombées sur leurs projets. Cette boucle permet aussi de récompenser les contributeurs les plus efficaces et de mettre en avant les posts les plus performants.

Les entreprises qui utilisent Wegrow Se distinguent-elles par leur taille, sont-elles du même univers, ou certaines s’inspirent-elles de pratiques nées en dehors de leur domaine ? 

A. S. : Nos clients exercent dans les univers de la grande consommation, de la distribution, du luxe, du tourisme et de la technologie. Ils partagent des initiatives internes, ou de la concurrence, ou d’autres secteurs. Notamment pour y observer ce qu’y font les startups. Wegrow est utile à partir du moment où dix personnes font la même chose, en France ou dans le monde. Donc plus utile à des groupes qui ont plus de deux cents employés et que menacent les phénomènes de silos.

Jusqu’où peut aller le partage ?

A. S. : En interne, il n’a aucune frontière. Quand il s’effectue entre entreprises, il concerne les domaines spécifiques que l’on peut appeler d’intérêt public : le développement durable, la manière de réagir face au Covid, les grands sujets qui font évoluer une industrie. La même problématique de partage s’observe dans les organisations où des données doivent rester confidentielles. Wegrow intègre les contraintes et les règles, pour que le partage soit de haute qualité tout en les respectant.

N’y a t-il pas un risque de voir des entreprises se faire dépouiller de leurs innovations ?

A. S. : L’objectif de Wegrow est de donner de l’agilité et de la réactivité à l’entreprise. Cela peut concerner les PME qui veulent observer les signaux du marché comme les grands groupes qui souhaitent être plus réactifs. Il permet également de créer un lien entre grands groupes et PME fournisseurs ou clients, qui peuvent être invitées sur les plateformes à fournir des solutions performantes. La question de la propriété intellectuelle ne se pose pas, car les initiatives partagées sur Wegrow résultent de l’observation de la concurrence ou du marché, elles sont toujours des produits déjà lancés, donc publics.

Machine à café virtuelle

Un tel partage signifie-t-il imitation ou innovation incrémentale ?

A. S. : Wegrow vise à l’accélération de l’innovation incrémentale. Une initiative a souvent besoin d’adaptation. Quand une équipe reprend celle d’une autre, elle est motivée à déclarer dans Wegrow ce qu’elle va améliorer ou changer. Wegrow aide à retrouver des idées communes venues de différents endroits. Il réunit les personnes autour de projets communs, en mobilisant l’intelligence collective, avec un impact productif mesurable.

Quelle est la part de l’intra-entreprise dans son utilisation ?

A. S. : Les trois quarts de l’usage. « Désîloter » est l’objectif principal de Wegrow. Pour autant, de grandes associations l’utilisent pour partager des initiatives entre leurs adhérents. Particulièrement depuis que le Covid a restreint les rencontres. Wegrow est une machine à café virtuelle où les équipes échangent leurs actions gagnantes pendant la crise.

Conduit-il à révéler des innovations qui ont eu leur heure de gloire mais ont été trop vite enterrées ?

A. S. : Dans les grands groupes, les équipes recourent souvent au “test & learn”, mais s’il y a beaucoup “test”, il y a moins souvent de “learn”, malheureusement. Wegrow permet vraiment de connaître en permanence ces « tests » et suscite le partage des apprentissages, pour augmenter l’efficacité opérationnelle. Il permet de retrouver des idées appliquées puis oubliés : pour autant qu’on les documente avec des indicateurs de performance, on peut très bien les relancer.

Wegrow est-il plus ou moins facilement appropriable selon la culture de l’entreprise et les tranches d’âges ? 

A. S. : Les entreprises qui veulent promouvoir une culture du partage plus qu’une culture hiérarchique sont effectivement plus intéressées par Wegrow. Nous mobilisons fortement les Millenials, populations câblées pour partager, mais Wegrow instaure une vraie solidarité intergénérationnelle. Les jeunes, plus acquis aux techniques digitales, partagent les initiatives gagnantes de leurs aînés et les équipes gagnent ensemble.

Générateur de reconnaissance

Sur le plan managérial, qu’apporte Wegrow ?

A. S. : Être membre d’un groupe où les initiatives sont vraiment reconnues et utilisées est valorisant et créateur d’engagement. Wegrow fait la démonstration que chaque salarié est unique, qu’il a un talent, et que la somme des talents conduit au succès : certains sont inventifs, d’autres ont l’esprit critique dans la sélection les meilleures idées, d’autres savent agir rapidement. Avec Wegrow, le talent d’exécution est valorisé, alors qu’il ne l’est guère d’habitude. Si nous mettons en valeur les bons éléments, nous ne désignons jamais les moins bons ; chacun a un rôle à jouer sur Wegrow et peut contribuer au projet global.

Et Wegrow crée un catalogue des initiatives gagnantes de toutes les équipes. C’est une manière de valoriser ce qui n’a jamais été fait, les personnes mobilisées, les premières à être face au client ou à vendre les produits. Valoriser leur intelligence et leurs initiatives est une pierre angulaire pour créer une culture d’entreprise fondée sur les équipes opérationnelles.

Les observations conduites auprès de nos utilisateurs montrent que 90 % des équipes se sentent plus reconnues grâce à Wegrow. Le second effet positif est un gain de temps et d’efficacité. Au lieu de vainement réinventer la roue, 80 % des projets qui s’inspirent d’initiatives qui ont réussi sont créateurs de valeur. Chaque année, Wegrow délivre pour les grands groupes une dizaine d’innovations incrémentales qui créent des millions d’euros de profit. Nos clients réussissent à lancer des innovations en trois mois au lieu des neuf habituels, car ils créent à partir d’une initiative éprouvée qui épargne du temps d’exploration. Le troisième effet positif est l’agilité globale : nos clients gardent la force d’un grand groupe tout en étant plus rapides et réactifs, c’est inestimable !

Avec Wegrow, toute innovation peut se faire en télétravail ?

A. S. : La présence physique reste indispensable aux vastes projets d’innovation, pour changer le monde. Wegrow facilite les autres, ceux qui ont déjà pris forme et dont la valeur réside dans la rapidité de leur diffusion et de leur mise en œuvre. L’objectif est d’être beaucoup plus efficace sur 90 % des projets qui ne nécessitent pas une innovation de rupture. Cela permet de libérer beaucoup de temps pour les innovations de rupture qui nécessitent une présence physique. Nous fournissons des modules d’idéation pour aider à ce processus.

Des entreprises font-elles du Wegrow sans le savoir ?

A. S. : Les grands groupes l’ont souvent fait mais de façon moyennement efficace, en faisant remonter les initiatives et en les partageant lors de congrès ou de séminaires. Malheureusement, cela prend beaucoup de temps, c’est peu impliquant pour les équipes, et un an plus tard on ne sait toujours pas ce qui a été réutilisé. Wegrow reprend cette approche en la digitalisant et en la « gamifiant », pour la rendre beaucoup plus efficace.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard