Vie des marques

Les 2 Vaches, esprit bio, esprit start-up

30/10/2023

Les difficultés que rencontre la filière bio avec l’inflation, préjudiciable depuis deux ans à la plupart des “segments premium” ne découragent pas la marque Les 2 Vaches (groupe Danone), numéro un du bio en France, pionnière de l’agroécologie et de la valorisation des métiers de l’élevage. Entretien avec Jacinthe Brillet, directrice générale, Les Prés Rient Bio.

En quoi se singularise la filière laitière Les Près Rient Bio, filiale bio de Danone, conçue en 2006 ?

Jacinthe Brillet : La filière se singularise par trois piliers : le bio, l’équitable et l’ancrage local, en Normandie. Ce triptyque promeut non seulement la biodiversité dans tous ses aspects, mais aussi un avenir désirable pour la planète et la santé des personnes. Nous sommes certifiés « Agriculture biologique », ce qui interdit – entre autres – l’utilisation de pesticides et de fertilisants de synthèse. Avec cette certification, on offre aux vaches 30 % d’espaces supplémentaires dans les parcelles, on a une abondance de biodiversité supérieure de 50 % .

Les Prés Rient Bio vont plus loin que la bio telle qu’elle est définie, car nous ajoutons une autre pièce à l’agriculture de demain : l’agroécologie ou agriculture régénératrice, qui travaille en symbiose avec la nature. C’est une bio « augmentée ». Notre modèle favorise les prairies permanentes pour nourrir nos vaches avec de la bonne herbe, pour éliminer les importations d’aliments comme les tourteaux du Brésil et limiter les intrants à la ferme. Nous pratiquons la jachère, l’agroforesterie pour accueillir davantage d’oiseaux et donner plus de confort à nos vaches avec moins de vent, plus d’ombre. Elles seront plus productives en lait. Toutes ces mesures et bien d’autres sont à l’initiative des éleveurs.

Vers un revenu minimal de 2,5 Smic

Vous annoncez la signature d’un contrat équitable inédit dans la filière bio française ? Dans quelle mesure l’est-il ?

J. B. : Il introduit pour nos éleveurs, gardiens du vivant, des sécurités sans précédent qui différencient notre modèle. Depuis 2006, Les Prés Rient Bio garantissent un débouché valorisé grâce à la marque Les 2 Vaches, un revenu sécurisant par notre contrat « équitable », la certification équitable “Fair For Life” gérée par Ecocert en 2019. En 2022 les exploitations ont été très touchées par les difficultés du marché bio¹ ainsi que par les aléas climatiques, la sécheresse. Cette période a montré qu’une attention plus forte aux éleveurs bio était nécessaire. Aussi en 2023 nous avons enrichi notre contrat équitable, construit avec l’Organisation de producteurs de lait bio Seine et Loire, pour en faire un accord pionnier dans le monde du lait : conclu pour cinq ans renouvelables, il garantit un revenu disponible moyen minimal de deux Smic, quels que soient la conjoncture et les prix du marché. En 2022, la moyenne du revenu disponible pour les éleveurs laitiers bio a été inférieure à un Smic. Notre objectif est de continuer à faire évoluer notre prix du lait pour garantir au moins 2,5 Smic vers 2028.

Sur quoi repose la mécanique du contrat ?

J. B. : Nous avons rehaussé le prix plancher du lait et garantissant à nos éleveurs un revenu disponible qui tient compte de tous leurs coûts réels de production, quels que soient les aléas, tels que l’inflation, le cours du lait ou le climat, tout en intégrant une marge de sécurité de 10 % . Nous prenons ainsi en considération le fait que nos éleveurs exercent un métier à risque et ont donc besoin d’être sécurisés, aussi bien pour faire face aux urgences que pour innover, investir dans le cadre de la transition agroécologique.

Le nombre d’éleveurs bio progresse-t-il, ou les conversions se font-elles plus rares ? Avez-vous connu des cas de déconversion ?

J. B. : Les conversions se font plus rares, car le marché du bio est en crise et a besoin d’être redynamisé, comme l’indique l’Agence bio². Pour notre part, nous stabilisons le nombre de nos fermes à cinquante. Nous ne constatons pas de déconversions résultant de soucis financiers liés aux difficultés du marché bio, mais des déconversions causées par la dureté du métier.

Quels sont les atouts de votre ancrage local ?

J. B. : Notre présence en Normandie, où nous comptons cinquante éleveurs, nous permet d’approfondir notre modèle grâce à un travail collaboratif. Ils sont à moins de 80 kilomètres de nos deux laiteries, et cette proximité permet une action durable; nous pouvons échanger d’humains à humains, responsables les uns des autres. Notre système de gouvernance, partagé, solidaire, nous permet d’aller plus vite dans les décisions et les innovations.

Faire face à la fatigue de la conscience écologique

Ainsi la plateforme multipartenariale Reine Mathilde, créée il y a quinze ans, a pour ambition de proposer un écosystème favorable au développement de la filière lait bio et de trouver les solutions aux défis de demain : adapter l’agriculture aux changements climatiques, favoriser les cultures résilientes, moins consommatrices d’eau, renouveler les générations chez les éleveurs, dont la moitié vont prochainement être à la retraite. Elle s’adresse aux éleveurs conventionnels comme aux éleveurs bio, ainsi qu’aux prescripteurs qui les accompagnent au quotidien (conseillers, techniciens, vétérinaires…). Elle est gouvernée par nos éleveurs, leurs interlocuteurs techniques locaux et les financeurs du programme, acteurs publics et privés (Les Près Rient Bio, Le fonds Danone Ecosystème, l’Agence de l’eau, la Région Normandie). Enfin elle travaille en accès libre, partage ses publications. Un autre atout est que le local compte de plus en plus pour les consommateurs.

Le baromètre de perception de l’Agence bio souligne la défiance des consommateurs envers les labels alimentaires qualitatifs et environnementaux, et le manque d’information des Français sur le bio. Ce mot qui désigne un mode de production particulier n’est-il pas devenu fourre-tout ?

J. B. : Notre approche est depuis l’origine pédagogique et optimiste, avec Les 2 Vaches, marque « joyeusement militante ». En 2006, date de sa création, la conscience écologique était endormie, les consommateurs s’interrogeaient sur l’utilité du bio, les emballages étaient tristes. Cette marque s’est singularisée en aidant les consommateurs à devenir plus responsables et en leur proposant un avenir plus désirable. Endormie hier, la conscience écologique est aujourd’hui fatiguée. Les consommateurs ne savent pas faire la différence entre les labels.

Comment Les 2 Vaches ont-elles traversé la crise Covid et la désaffection des consommateurs à l’endroit du bio qui en est résultée ?

J. B. : Le segment bio a continué à fléchir au premier semestre, nous avons perdu du volume, même si nous demeurons la marque nationale numéro un du segment. L’inflation a touché tous les segments premium. Le label bio s’est très vite développé, de 20 % par an entre 2015 et 2020, sans pour autant se consolider. Le bénéfice du bio n’a pas été traduit de manière explicite. Le travail d’ancrage n’a pas été fait. Le label bio souffre donc de ce flou et de la concurrence des autres labels.

Quels leviers entendez-vous activer pour encourager l’agriculture biologique d’avenir ?

J. B. : Nous cherchons à apporter aux éleveurs bio un certain niveau de bien-être dans leur métier, pour améliorer leur bien-être et l’attractivité de leur métier. Nous avons réalisé une étude afin de le quantifier, et de cibler nos actions. Ainsi, , nous leur offrons l’accès à un service de remplacement sept jours par an, en partenariat avec la Chambre d’agriculture de Normandie. Par ailleurs, ils sont conduits à utiliser des techniques agricoles bio plus productives bien qu’elles ne s’appuient que sur la nature et non sur la chimie. Nous avons créé une pépinière, une formation pour sensibiliser les jeunes ou des personnes qui ne sont pas issues du monde rural, susciter des vocations et le choix de ce métier. Nos éleveurs sont la clé pour trouver la solution d’avenir dans  l’agriculture biologique et régénératrice.

Appliquer Égalim dans les collectivités

Attendez-vous un soutien des pouvoirs publics à une communication plus dynamique ?

J. B. : En tant que collectif du bio, nous avons besoin de lui donner un nouveau visage. Il faut l’expliquer non de manière technique mais en l’incarnant, par ses bénéfices réels pour les consommateurs, une alimentation naturelle porteuse de plaisir, de gourmandise, de partage. Il faut donner des preuves tangibles. Un produit bio a des propriétés gustatives particulières, naturelles, grâce aux innovations et à des niveaux de qualité supérieurs. L’agriculture bio n’utilise aucun produit chimique de synthèse et promeut le vivant, ce que les consommateurs ignorent souvent. Au-delà des labels, nous avons besoin de fonds, en particulier par l’intermédiaire de l’Agence bio, nous avons besoin d’un soutien plus déterminé de l’État et de l’Europe, pour nous permettre d’exprimer les valeurs spécifiques du bio. Donnons également à ceux qui n’y ont pas accès les moyens d’en consommer, et appliquons les lois, notamment la loi Égalim³ sur le bio dans les cantines.

Dans quelle mesure la filière Les Près Rient Bio est-elle pionnière pour le groupe Danone, et y est-elle duplicable ? Conserve-t-elle son esprit start up ?

J. B. : Cet esprit demeure. Nous nous comparons au lièvre qui part le premier, montre le chemin, va vite et cherche les solutions innovantes, pour entraîner Danone vers la biodiversité, de meilleures conditions de vie des éleveurs. Nous avons toujours une grande autonomie, la  liberté de construire avec nos éleveurs et nos experts locaux. Nous sommes un fer de lance pour le groupe.

Les 2 Vaches ont été sélectionnées sur la plateforme Réussir avec un marketing responsable

J. B. : Nous avons été lauréat en 2022. Cette récompense distingue notre bénéfice environnemental : l’affichage « Planet Score » donne la note maximale A à trois produits, chaque ferme a quinze kilomètres de haies, nous affichons une date de durabilité minimale anti-gaspillage alimentaire. En termes de création de valeur, nous avons une croissance à deux chiffres depuis quinze ans, nous comptons parmi les cinq premières marques les plus responsables

Que vous apporte la certification BCorp ?

J. B. : Elle récompense ce que nous avons entrepris depuis la création des Prés Rient Bio, sur le plan social aussi bien qu’environnemental. Notre score est de 126,8, le plus élevé des entreprises agro-alimentaires en France. Il prouve que nos choix apportent un vrai bénéfice à la société. Ce n’est pas un label commercial, même s’il serait souhaitable qu’il soit mieux connu par les consommateurs. Cette certification nous inscrit dans une démarche de progrès et nous conduit à nous mettre constamment en question pour améliorer notre score.

1. La valeur des achats de produits alimentaires issus de l’agriculture biologique a reculé de  4,6 % par rapport à 2021 et la part du bio dans le panier des ménages s’est contractée, de 6,4 à 6 %  ; elle avait augmenté de 12,5 % en 2020 par rapport à2019, avant de baisser de 1,3 % en 2021.
2. « Avez-vous acheté plus de produits bio : 40 % en 2021, 23 % en 2022. »
3. Les cantines publiques doivent servir au moins 50 % de produits dits durables ou de qualité, dont 20 % de bio, depuis le 1er janvier 2022.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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