Entretiens

Bilan Égalim, le Sénat prend date

16/09/2022

Alors que l’inflation gonfle les coûts et pèse sur le pouvoir d’achat, l’avenir de la loi visant à la revalorisation du revenu agricole doit se jouer cet automne. Dans un rapport publié en juillet sous le titre « l’inflation et les négociations commerciales », le Sénat a ouvert le débat sur son bilan, et formulé des recommandations. Entretien avec Anne-Catherine Loisier, sénatrice de la Côte-d’Or.

Pouvez-vous rappeler le contexte et l’objectif du rapport du rapport sénatorial du 19 juillet dernier [1] ? Comment s’est imposé le rapprochement entre ces deux termes, inflation et négociations commerciales ?

Anne-Catherine Loisier : Depuis l’examen de la première loi Égalim, la Sénat a instauré un comité de suivi, transpartisan. Les sénateurs travaillent toute l’année sur une évaluation des effets de la loi Égalim. Ainsi, Daniel Gremillet, président du comité et moi-même en tant que rapporteur, avons commencé à mener des auditions dès la fin des négociations commerciales annuelles en avril 2022, pour évaluer comment elles s’étaient passées et juger l’efficacité des dispositions des lois Égalim 1 et 2. Par ailleurs, après la polémique déclenchée par l’intervention de Michel-Édouard Leclerc, la présidente de la commission des Affaires économiques, Sophie Primas, nous a demandé d’intégrer le questionnement de M. Leclerc : y-a-t-il une inflation suspecte alimentée par les industriels ou du moins une évolution suspecte de leurs demandes de hausses tarifaires ?

Votre objectif était-il plutôt les négociations commerciales annuelles clôturées le 1er mars ou la phase de renégociation, très importante cette année du fait de la hausse exponentielle du coût des intrants agricoles et industriels ?

A.-C. L. : Nous voulions savoir comment les dispositifs imaginés dans Égalim 1 et 2 (transparence avec les options 1, 2 et 3, non-négociabilité de la matière première agricole, clauses de révision, etc.) se transcrivaient dans les négociations, s’ils avaient permis la prise en compte par les différents maillons des coûts de production et d’atteindre l’objectif des lois, qui était la revalorisation de la rémunération des agriculteurs.

Comme la loi Égalim de par sa conception est inflationniste, on s’est demandé dans quelle mesure l’inflation d’aujourd’hui est liée aux dispositifs Égalim et dans quelle mesure elle est liée à des facteurs exogènes.

Y-a-t-il une inflation légitime, en d’autres termes ?

A.-C. L. : Oui, en tout cas : est-ce qu’elle s’explique par Égalim et dans quelle mesure. En juin, voilà ce qu’on a identifié : sur les 5,8 à 6 % d’inflation des produits alimentaires, il y avait à peu près 3,5 % liés à la mise en œuvre d’Égalim et à la non-négociabilité des matières premières agricoles.

La difficulté a été que les distributeurs n’ont pas donné beaucoup d’informations aux sénateurs sur la façon dont ils avaient pris en compte la hausse du coût des intrants lors des négociations, de manière à faire comprendre la différence entre le prix payé aux industriels, en hausse de 3,5 % en moyenne, et le prix payé par les consommateurs, en hausse de 6 %. Nous cherchions aussi à comprendre pourquoi l’inflation des prix de vente aux consommateurs était plus élevée dans les autres pays européens qu’en France.

L’interpellation de M. Leclerc [2] nous a aussi conduits à enquêter sur les sous-jacents des hausses de tarifs. Nous avons découvert qu’elles étaient liées aux problématiques climatiques au niveau mondial, à la tension sur l’offre et à d’autres raisons qui ont été largement évoquées et qui justifient aujourd’hui l’inflation que nous connaissons, contrairement à ce que disait M. Leclerc, qui parlait de hausses artificielles.

Constat de l’application avant réajustement

Pour compléter les informations des distributeurs, avez-vous auditionné des personnalités de haut niveau, experts et parties prenantes ?

A.-C. L. :  Nous avons auditionné beaucoup d’acteurs de la distribution, de la production, des coopératives, ainsi que France Agrimer [3], le médiateur des relations commerciales agricoles, l’Observatoire des prix et des marges [4], ce qui nous permet d’avoir une vision complète. La plupart des représentants des enseignes nous ont permis d’avancer dans nos réflexions. Ce que j’ai dit à M. Leclerc est qu’il exprimait, sinon des accusations, des interrogations qu’il n’était pas en mesure d’étayer. Que l’on pouvait expliquer l’évolution de l’inflation par des phénomènes mondiaux, les tensions sur les céréales, l’augmentation de la demande, l’explosion des prix du pétrole, du cacao.

D’autres distributeurs sont vraiment soucieux de la continuité de leur partenariat avec leurs fournisseurs. Ils sont donc préoccupés à la fois par leur capacité à répondre aux demandes de revalorisation des prix et par le fait de pouvoir mettre dans leurs rayons des produits quand même accessibles à une clientèle dont le pouvoir d’achat est menacé

Notre rapport livre ainsi des éléments qui permettent une vision assez réaliste de ce qui se passe sur le marché. Ce que nous préconisons quand même, c’est que la DGCCRF aille au bout de son travail ; une mission a été lancée par l’Inspection générale des finances, aussi. Ces organismes ont un pouvoir d’investigation qui est important pour les parlementaires, pour affiner leur analyse.

Quelles sont les principales conclusions de votre rapport ? Et à qui s’adressent-elles ?

Renforcer la certification

A.-C. L. : Depuis le début d’Égalim, nous avons fait un certain nombre de propositions pour réajuster les dispositions de la loi de 2018. En faisant la part des choses entre ce qui est du domaine législatif, dont on s’empare en général avec des propositions de lois, et ce qui est du domaine réglementaire, dont on discute avec les ministres et les services de l’État.

Nous avons proposé notamment que l’intervention du tiers indépendant, pour la certification prévue dans « l’option 3 » [5] d’Égalim 2, soit faite en amont de la fin des négociations annuelles, parce que l’absence de certification du coût des matières premières agricoles a servi chez des distributeurs à justifier la longueur des négociations et à repousser des hausses tarifaires. Une certification par le tiers indépendant en amont permettrait de régler la question.

Nous sommes revenus aussi sur tout ce qui est lié aux pénalités logistiques injustifiées ou disproportionnées, puisque malgré les préconisations faites au mois de mars dernier, elles continuent d’être imposées de manière abusive aux fournisseurs.

Pour la certification du tiers indépendant en amont, la modification que vous préconisez nécessite t-elle une modification législative ?

A.-C. L. : Je dois analyser la question avec les administrateurs, mais cela tient d’une modalité pratique plus que réglementaire. Il s’agit juste de faire fonctionner l’option 3 de manière optimale, pour que l’industriel n’ait pas à fournir le détail de ses prix d’achat, mais que le distributeur ait la garantie qu’une part de la revalorisation du tarif est bien liée à l’évolution du prix d’achat des matières premières agricoles. Certains distributeurs ont refusé les renégociations de tarifs en disant qu’ils n’ont toujours pas reçu la certification du tiers indépendant. Il faut donc mettre fin à ce problème. Le médiateur des relations commerciales agricoles partage cet avis.

Autre sujet, lié, il faudrait préciser les délais pour les renégociations commerciales en cas de hausses du coût des intrants en dehors de la période de négociations annuelles. En fonction de l’évolution des prix, une renégociation pourrait avoir lieu tous les trimestres. Cependant, on comprend aussi la crainte des distributeurs à l’idée de revoir leurs milliers de contrats avec les fournisseurs tous les trois mois. Il faut regarder cela de près, mais ce principe de l’annualité de la négociation n’est pas adapté à un contexte inflationniste.

Entre le flou et l’excès normatif, favoriser l’opérationnel

Est-ce pour cela que vous incitez à recourir à des clauses de révision des tarifs dans les contrats entre industriels et distributeurs ?

A.-C. L. : Oui, mais nous avons découvert que les seuils de déclenchement de ces clauses sont parfois si élevés qu’ils ne sont jamais atteints. Nous n’avions pas envisagé que les opérateurs mettraient des seuils irréalistes. Donc il faut rendre cela plus opérationnel, sans entrer dans des détails qui ne sont pas du niveau du législateur et seraient intrusifs. Le Sénat ne veut pas de surnormalisation. Malheureusement l’usage, surtout avec Égalim, est que dès qu’on laisse un point un peu flou, les opérateurs se précipitent pour rendre la disposition inopérante. Le sujet est donc de se demander s’il faut ajouter des délais par rapport à la renégociation, des critères contre des seuils trop hauts, etc.

Vous avez évoqué le rapport verbal du Sénat sur les pénalités logistiques, qui a abouti à une « foire aux questions » de la DGCCRF [6] confirmant l’interprétation du Sénat. Est-ce que des lignes directrices de la DGCCRF seraient envisageables, ou faut-il une nouvelle loi ?

A.-C. L. : Nous nous en sommes tenus en juin à l’idée que l’option la meilleure serait que la DGCCRF fixe une doctrine. Parce que si on reprend le sujet d’un point de vue législatif, on sera dans l’excès de norme. Là, nous parlons des choses qui ne se passent pas bien, mais il y a plein de choses qui se passent plutôt bien, dans une certaine souplesse entre les acteurs, parce qu’ils se respectent. Il faut faire attention à ne pas trop fermer les choses à cause des mauvaises pratiques de quelques-uns. Nous sommes plus dans l’idée, en publiant un rapport qu’on médiatise un peu, d’envoyer un message aux acteurs : « Le sujet, on l’a vu, on sait ce qui se passe ; soit vous adoptez des pratiques plus conformes à l’esprit de la loi, et en ce sens la DGCCRF établit des doctrines qui vous servent de référence, soit on sera obligé de resserrer le cadre législatif, mais on n’en est pas là. » Mais derrière une contrainte, il faut des vérifications, un contrôle, donc on essaie toujours de privilégier la responsabilisation des acteurs.

PGC non alimentaires, l’effet de bord annoncé d’Égalim

L’Ilec représente les grandes marques, de l’alimentaire mais aussi de détergents, de cosmétiques, de piles, de jouets ou d’articles de bureau. Votre rapport parle d’un « déplacement de l’âpreté des négociations » vers les matières premières industrielles et vers le DPH. Avez-vous des propositions contre cet effet de bord d’Égalim 2, puisque les distributeurs sont contraints d’accepter les hausses sur les matières premières agricoles mais pas sur les matières premières industrielles ? Faut-il prévoir des clauses de révision sur ces intrants, le coût de l’emballage, de l’énergie, etc., à l’image de ce qui se fait pour les matières premières agricoles ?

A.-C. L. : Au moment de l’élaboration d’Égalim 2 on ressentait déjà l’évolution très forte du prix des matières premières, et on l’avait mise sur la table, dans les débats. Même si on garde l’objectif initial des États généraux de l’alimentation, qui était de valoriser la rémunération des agriculteurs, on ne peut pas ignorer ces effets collatéraux, notamment sur les cosmétiques qui mettent en grande difficulté beaucoup d’acteurs économiques. À l’époque, le gouvernement ne souhaitait pas, dans la loi Égalim, s’engager sur ce genre de dispositions, parce que justement cette loi visait d’abord la meilleure rémunération des agriculteurs.

À ce stade, je n’ai pas de proposition concrète, si ce n’est un encadrement un peu similaire, même si on ne peut pas être aussi exigeant que sur la matière première agricole. Le risque est d’en arriver à des prix que certains appellent administrés. C’est un vrai sujet, parce que on voit bien que tout ce qui est détergent ou cosmétique est en train de payer un lourd tribu, et à mon avis ça va continuer. Avec la mauvaise volonté de certains distributeurs de prendre en compte dans les négociations tous les intrants, le système ne peut pas tenir. Le Sénat est conscient de cet étranglement, mais il n’a pas à ce stade formulé de propositions.

Pensez-vous à une obligation de recourir à des indicateurs comme ça se fait pour l’agricole ?

A.-C. L. : On n’a pas travaillé là-dessus, ce que j’en dis n’est pas le fruit des réflexions du Sénat mais une réflexion de parlementaire : ça pourrait être un peu le même système que pour les matières premières agricoles, avec des indices sur l’évolution des coûts, de l’emballage, de l’énergie, du transport. Mais pour le moment on n’a pas trouvé parce qu’Égalim, c’est l’alimentation, donc on ne s’est intéressé qu’à l’évolution des prix des matières premières agricoles, même si on a vu ce qui se passait pour toutes les matières premières associées.

Cela n’a donc pas fait l’objet de propositions, mais je pense que ça va arriver très vite, d’autant plus vite que les distributeurs ne les prendraient pas en compte dans la renégociation ! Certains, bien conscients qu’ils ne peuvent pas étrangler leurs fournisseurs et qu’à terme c’est eux-mêmes qui en pâtiraient, ont toutefois commencé à le faire et nous ont dit qu’ils étaient prêts à des renégociations régulières autour de ces intrants, en fonction de leurs ressources physiques. Parce que vu le nombre de leurs contrats ils ne sont pas en capacité de revoir tout tout le temps.

Pour un texte de loi ad hoc

Mais s’il y a des acteurs vertueux qui prennent en compte des hausses de matières premières industrielles même si la loi ne les oblige pas, est-ce qu’ils ne vont pas être mal positionnés par rapport à leurs concurrents, au risque de voir triompher les mauvaises pratiques ?

A.-C. L. : C’est à ces distributeurs de se faire valoir, ils ont des stratégies de communication et sont de plus en plus nombreux à mettre en avant des productions françaises qui rémunèrent le producteur, à arborer des logos français, car le risque est aussi l’augmentation des importations, avec des entreprises françaises de moins en moins en capacité de répondre aux besoins.

Certains ont cette stratégie : Aldi par exemple joue vraiment le jeu des revalorisations. Il faut faire aussi la part des stratégies avec les marques nationales et de celles pratiquées avec les MDD : les contrats avec les unes et les autres ont des traitements différenciés. On le comprend d’ailleurs. J’ai appris, depuis deux ans et demi que je suis le processus Égalim, qu’il ne faut pas compter que sur la vertu et la bonne volonté. On nous tient beaucoup de discours, qu’il faut soutenir les productions françaises, mais quand on arrive aux négociations ça ne se traduit pas toujours par des accords de partenariat avec des producteurs français.

Pour le non-alimentaire, ça trouvera son son aboutissement avec un autre projet de loi.

Le Sénat y travaille-t-il ?

A.-C. L. : Il est au stade où il a identifié cette problématique : elle s’est imposée au mois de juin comme on le craignait, puisque dès 2018 nous avions pointé le fait que ce que les distributeurs ne pourraient plus prendre sur les matières premières agricoles, ils le prendraient ailleurs. Qu’à partir du moment où on sanctuarisait les prix des matières premières agricoles qui ne pourraient plus être des produits d’appel, on irait chercher ces prix d’appel ailleurs. Nous l’avions annoncé. Le gouvernement n’en a pas trop tenu compte. Aujourd’hui, dans une phase d’évaluation de ce qui se passe, et dans un contexte d’inflation, on le constate : avec Égalim 2, puisque les distributeurs ont été obligés de lâcher 3,5 % de revalorisation des produits agricoles, ils se sont rattrapés sur autre chose. Donc s’il n’y a pas encore de groupe de travail sur la manière de prendre en compte les intrants et d’éviter les effets de bord, ça va être le sujet de la rentrée.

Je pense que le gouvernement en mesure l’ampleur, il devait penser que ce seraient des effets de bord moins importants. Il voit qu’avec l’inflation ces produits deviennent un refuge à prix cassés, et je pense que dans les mois à venir le risque est que cet effet de bord s’accentue, parce que tout ce qui va être alimentaire va augmenter, compte tenu de la non-négociabilité. Le gouvernement est en train de prendre conscience de l’ampleur du phénomène et va vraisemblablement s’en emparer. Mais il faut que les acteurs soient présents sur le sujet.

Est-ce qu’il y aura une proposition de loi, comme pour Égalim 2 qui est venue du Parlement, ou un projet de loi parce que le gouvernement agira ?

A.-C. L. : Je ne peux pas parler à la place de la commission des Affaires économiques, mais je pense qu’il est probable qu’il y aura une proposition de loi sur le sujet dans les prochains mois, mais en dehors d’Égalim.

La question du SRP

Pouvez-vous éclairer votre recommandation d’étendre la possibilité pour des filières de déroger au SRP majoré ?

A.-C. L. : Le SRP majoré est une espèce d’ovni sur lequel nous sommes très dubitatifs depuis le début. Je pense que le gouvernement s’est rendu compte que l’efficacité du « ruissellement », c’est zéro. Et que ça peut même être préjudiciable, on l’a vu avec les fruits et légumes : quand on dépasse un certain prix, plafond d’acceptabilité par le consommateur, les distributeurs accentuent la pression en négociations sur le tarif d’achat, pour que le prix de vente final, même majoré de 10 % , reste sous ce plafond. On l’a vu avec la barquette de gariguettes. On ne le constate pas avec les les MDD, nous disent les distributeurs, mais enfin ce n’est pas satisfaisant en soi, ça a surtout permis aux distributeurs de faire des cagnottes, des stratégies commerciales qui n’ont pas grand-chose à voir avec la revalorisation des producteurs.

À défaut de revenir sur ce dispositif, nous avions proposé ces possibilités de dérogations, que nous suggérons d’étendre. Même si le gouvernement proroge « l’expérimentation », avec la remise du rapport je pense qu’il va admettre que le SRP majoré a plus d’effets négatifs que d’effets positifs. Nous l’espérons, mais en attendant l’expérimentation court jusqu’en 2023. Alors peut-être qu’on proposera d’y mettre un terme, parce que ça ne fait que renchérir des produits dans un contexte d’inflation. Pour le moment nous ne connaissons pas le point de vue du ministre de l’Agriculture, mais cela fait partie des sujets que nous allons évoquer avec lui, au moins pour les dérogations.

L’article 125 de la loi Asap, et c’est le Sénat qui l’avait ajouté, prévoyait la remise de rapports du gouvernement à échéance régulière, le prochain pour le mois d’octobre, faisant le bilan de la loi Égalim. Avez-vous été consultés sur son élaboration ?

A.-C. L. : Nous n’avons pas été pas consultés, c’est la raison pour laquelle nous avons fait notre rapport, avant l’été, pour dire au gouvernement quelles sont nos positions, les sujets qui posent problème. Nous attendons du rapport du gouvernement des arguments ou des contre-arguments aux propositions que nous avons faites dans le nôtre. Qu’on les confronte et qu’on fasse avancer le projet ou la proposition de loi. Si nous ne sommes pas convaincus, nous ferons une proposition de loi ; si tout le monde s’accorde sur le diagnostic, je pense qu’il y aura un projet de loi.

Il devrait arriver quand ? Il faudra le temps de l’adopter…

A.-C. L. : Égalim 2, c’est allé très vite pour être appliqué, à peine six mois. Si on s’y prend à l’automne, surtout dans un contexte d’inflation et de situation tendue pour tout le monde, cela ira vite. Il y a ce rendez-vous hebdomadaire auquel vous participez[7], il y a quand même une veille de l’État, il est assez attentif à cela. Parce que les prix, l’inflation et le pouvoir d’achat sont les sujets majeurs de la rentrée, avec tout ce qu’on vient de dire sur nos capacités en termes de souveraineté, de production agricole ou autre, c’est au cœur des réflexions. Donc je pense que le ministre de l’Agriculture va se saisir de ce sujet rapidement. Je dois le rencontrer prochainement pour lui demander quelles sont ses priorités et ça en fera partie.

Un secteur qui rogne sur ses marges

Puisque les dispositions Égalim 1 sur l’encadrement des promotions tombent au 1er avril, quand devra-t-on présenter un texte de loi pour qu’il entre en vigueur avant la fin des dispositions antérieures ?

A.-C. L. : Il faut que ce soit mis sur la table à l’automne.

Et vous aurez la place dans le calendrier du Sénat ?

A.-C. L. : Oui, ce sont des sujets d’une telle actualité qu’ils ne souffrent pas de reports.

Dans le rapport, vous écrivez qu’industrie et distribution « rognent généralement sur leurs marges afin d’assurer la stabilité des prix de vente ». Ce qui contraste avec l’idée qu’avec le SRP majoré il y aurait un pactole…

A.-C. L. : Le pactole SRP, c’est dans la poche des distributeurs. La remarque à laquelle vous faites allusion est une réflexion qui nous a été faite notamment par le Médiateur, quand on s’interrogeait sur le fait que l’inflation en France est moins forte que chez nos voisins : on cherchait à se l’expliquer, et une des raisons, alors qu’on a mis en place la non-négociabilité des matières premières agricoles, c’est l’absence ou une très faible prise en compte des autres intrants. Mais le Médiateur et l’Observatoire des prix et des marges nous ont fait remarquer aussi que les industriels ont rogné leurs marges depuis dix ans. Et de fait, un certain nombre de distributeurs aussi.

C’est cette guerre des prix et les tensions dans les négociations, avec des distributeurs qui veulent tout savoir sur les prix des industriels, qui ont cet effet : des prix très tirés pour le consommateur. C’est selon l’Observatoire un des éléments qui expliquent le fait que l’inflation est moindre en France. Parce qu’il y a cette guerre des prix dont les industriels et un certain nombre de producteurs agricoles sont victimes.

Et avez-vous constaté une déconnexion entre la hausse des prix en magasins, ce que voient les consommateurs (+ 6,2 % sur un an, dernier indice), et les tarifs des industriels acceptés par les distributeurs ?

A.-C. L. : Ça, on l’a pointé, ça a mis M. Leclerc mal à l’aise. Il nous dit qu’il y a des pratiques suspectes des industriels, nous avons répondu que nous ne l’avions pas constaté massivement. Il y a de telles pratiques chez les industriels, mais il y a aussi des distributeurs qui affichent en rayons des augmentations alors qu’en fait les produits ont été achetés dans le cadre de contrats sans augmentation de tarif. Ça, on l’a constaté. Nous le disons clairement : il y a des pratiques contestables des uns et des autres. Il y a eu tout un débat sur la forte augmentation des eaux minérales ou des glaces. Certains acteurs ont profité d’une ambiance globale pour faire des marges. On ne le nie pas, mais on tenait à mettre en évidence, et la DGCCRF l’a constaté aussi, qu’en rayons il y a des augmentations qui ne sont pas liées à des hausses de tarifs dans les contrats.

[1] http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-799-notice.html.
[2] Lors de son audition au Sénat et dans les médias, cf. https://www.bfmtv.com/economie/consommation/des-hausses-suspectes-michel-edouard-leclerc-reclame-une-commission-d-enquete-sur-les-origines-de-l-inflation_AV-202206300187.html (NDLR).
[3] https://www.franceagrimer.fr.
[4] https://observatoire-prixmarges.franceagrimer.fr.
[5] La loi Égalim 2 a introduit dans le Code de commerce un article L. 441-1-1 qui prévoit trois options pour protéger le coûts des matières premières agricoles de la pression déflationniste résultant des négociations annuelles industrie-commerce (NDLR).
[6] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/foire-aux-questions-portant-sur-les-lignes-directrices-en-matiere-de-penalites-logistiques.
[7] Comité interministériel de suivi des négociations commerciales.

Propos recueillis par Antoine Quentin et François Ehrard

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