Entretiens

Relations commerciales : parfaire l’exercice

05/12/2022

Les lois Égalim ont largement contribué à rééquilibrer les relations entre l’agriculture, l’industrie et le commerce. La pérennité de cet acquis et la vitalité des territoires d’industrie appellent quelques compléments. Entretien avec Grégory Besson-Moreau, président du cabinet de conseil stratégique Victory et ancien député de l​‌’Aube.

Le 11 octobre dernier, en tant qu’auteur de la loi « visant à protéger la rémunération des agriculteurs » dite Égalim 2 vous êtes intervenu au Forum industrie-politique (FIP) organisé par l’Ilec en présence des médiateurs des relations commerciales agricoles et des entreprises. Quels messages souhaitiez-vous faire passer aux médiateurs, aux parlementaires et aux dirigeants d’entreprises présents ?

Grégory Besson-Moreau : Je souhaitais présenter les étapes de la fabrique de la loi qui faisait suite à la commission d’enquête sur les relations entre la grande distribution, le secteur agricole et les industriels de l’agro-alimentaire et du non-alimentaire. La loi Égalim 2 a atteint ses objectifs de protection de la matière première agricole. Pour autant, les propositions issues de la commission d’enquête dont j’étais le rapporteur précisaient qu’il fallait aller plus loin : il s’agit de protéger le maillon intermédiaire, c’est-à-dire nos industriels. En étendant demain les mesures au secteur des détergents et produits d’hygiène (DPH), cela permettra de ne pas déséquilibrer le rapport des forces avec la grande distribution. Pas plus que l’amont agricole, le DPH ne doit être une variable d’ajustement.

Quels sont les autres points majeurs soulevés lors de cette rencontre du 11 octobre ?

G. B.-M. : Le médiateur des relations agricoles a clairement saisi l’importance de l’adaptation de « l’option 3 » [1] et la nécessité que les informations soient certifiées en amont de la négociation. Ce point est selon moi une priorité : plutôt que d’engager des négociations ardues et longues, avoir de la transparence dès le début sur la matière première agricole simplifierait évidemment les relations commerciales entre les industriels et la distribution.

Comment, sinon, expliquer aux consommateurs que certaines augmentations de prix sont légitimes s’il n’y a pas de transparence ? Il est toujours difficile de justifier l’inflation et donc de tenir aux Français un discours de vérité sur ce que coûtent nos biens essentiels. Nous avons d’ailleurs vécu dix ans de déflation des prix alimentaires, avant qu’Égalim 2 n’intervienne. Tout en protégeant le secret des affaires, en rassurant les acheteurs des enseignes de la distribution, il est possible et souhaitable de renforcer la transparence, en adaptant « l’option 3 » lors des négociations commerciales annuelles, dans le sens recommandé par le Médiateur.

Le médiateur a soulevé également un point important sur la transparence des coûts de l’énergie et du transport. Pourquoi ne pas fonctionner demain à l’image du secteur du fret qui fait apparaître de manière distincte certains de ces coûts lors de la facturation ? Ce point serait cohérent avec l’ambition de prise en compte par la distribution des coûts réels et objectifs des industriels.

Un projet à vocation transpartisane

Quel serait le véhicule législatif le plus adapté pour décider des mesures à prolonger, ajouter ou abandonner, au vu du bilan attendu des lois Égalim, compte tenu de l’importance de ne pas le faire au dernier moment ?

G. B.-M. : Les industriels sont ancrés partout sur nos territoires. Il est donc plus adéquat, tout comme l’était la loi Égalim 2, qu’un véhicule législatif soit porté directement par les députés dans le cadre d’une proposition de loi. Chaque député, dans la plupart des circonscriptions de France, est au contact du monde agricole et du monde industriel. Ils doivent donc tous être demain les porteurs d’un projet commun, transpartisan, qui protégera ceux qui font vivre nos bassins de vie et qui sont les créateurs des emplois de demain : l’agriculture et l’industrie françaises. Je ne doute pas que le Sénat soutiendra ensuite une telle démarche, qui renforce la protection due à ceux qui nous nourrissent et font vivre nos territoires.

Comment éviter que les acteurs les plus respectueux de l’esprit des lois Égalim ne soient pénalisés par le marché ?

G. B.-M. : Le premier levier est simple : sanctionner ceux qui n’en respectent ni la lettre ni l’esprit ! Des sanctions sont prévues, elles doivent être déployées. Les administrations de l’État doivent être intransigeantes quant au respect de nos lois et décrets, et appliquer les dispositions règlementaires et financières prévues.

Avec le recul, quelles sont les recommandations de la commission d’enquête parlementaire sur les pratiques de la grande distribution dont vous aviez été le rapporteur en 2019 et dont les traductions législatives vous paraissent les plus importantes ?

G. B.-M. : La plupart des recommandations de la commission d’enquête sont aujourd’hui entrées en vigueur. Nous avons su démontrer l’efficacité des premiers dispositifs mis en œuvre. Je prendrai deux exemples. D’abord la prise en compte des évolutions des coûts de revient : c’était une priorité afin de stopper la déflation qui était devenue une nouvelle logique de négociations depuis près d’une décennie. Ensuite, la question des pénalités logistiques, source de rentabilité et de gains d’un côté, d’injustices de l’autre. Ça a été un combat rude : il fallait redonner une justification à ce que peut être une pénalité logistique, notamment pour protéger le consommateur, tout en posant des garde-fous aux abus évidents qui devenaient la norme.

Risque de dumping social, réglementaire et fiscal

Et celles qui n’auraient pas eu de suite législative et qui vous paraissent le plus mériter d’en avoir ?

G. B.-M. : Il est temps que chacun soit sur un pied d’égalité et que les règles du jeu soient claires et équitables pour tous : il ne s’agit pas de privilégier un secteur au détriment d’un autre. Il y avait une urgence pour le monde agricole, et la nécessité de démontrer que cela pouvait fonctionner. C’est fait. Désormais, et je l’ai toujours dit, nous devons faire pour le secteur du DPH ce que nous avons fait pour le monde agricole.

Une autre disposition législative qui mérite une adaptation de bon sens : l’analyse du fonctionnement et de la qualité des prestations des centrales d’achat internationales. Oui, il y a eu des avancées dans les lois Asap et Égalim 2, mais les dispositifs restent trop opaques et légitimement critiqués par nombre d’industriels.

Quelle importance, quel enjeu de souveraineté, accordez-vous au risque de voir les négociations commerciales s’expatrier dans ces centrales internationales ?

G. B.-M. : Chaque pays détermine une loi adaptée à l’équilibre global de sa propre économie et son acceptabilité réglementaire. Contractualiser sous d’autres régimes juridiques que le nôtre, c’est évidemment un levier de dumping social, réglementaire et fiscal. D’où le risque d’affecter notre souveraineté agricole et donc l’emploi sur nos territoires.

En ce qui concerne les alliances de la grande distribution au niveau national, pensez-vous qu’il faudrait un suivi de l’avis de l’autorité de la concurrence de 2015 ?

G. B.-M. : L’Autorité a été très claire en 2015 sur l’effet de la concentration et les seuils au-delà desquels il faut intervenir, sans quoi les relations clients-fournisseurs s’en trouveraient déséquilibrées. Il est donc important que l’État se saisisse de ces préconisations.

[1] Selon l’article 4 de la loi Égalim 2 les CGV doivent prévoir une des trois options proposées pour instituer la transparence. Dans la troisième, la plus usuelle, est prévue « l’intervention d’un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé de certifier au terme de la négociation que celle-ci n’a pas porté sur la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ». Le Médiateur des relations commerciales agricoles a recommandé de faire inter­ve­nir aussi le tiers indé­pen­dant avant la conclu­sion du contrat, tout en conser­vant ce méca­nisme d’at­tes­ta­tion posté­rieure.

Propos recueillis par Antoine Quentin et François Ehrard

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