Bulletins de l'Ilec

Donner du sens et du corps aux données - Numéro 476

25/09/2018

La diversité des contenus et des sources appelle une valorisation avec des techniques appropriées, afin de mieux analyser les tendances sociétales. Les instituts d’études n’ont pas cédé la main aux Gafam. Entretien avec Roman Ptaszynski, directeur du développement digital chez Kantar

Dans quelle mesure l’intelligence artificielle a-t-elle modifié le travail et les emplois des spécialistes des études de marché ?

Roman Ptaszynski : Au-delà de l’IA, la clé d’entrée est l’explosion des données, et les deux sont imbriquées. J’appartiens à une structure qui a une expertise à part entière dans l’univers de Kantar en France et qui se nomme Data Analytics. Elle s’intéresse à toutes les données qui ne sont pas classiques, le quantitatif et le qualitatif, et cherche comment le nouvel écosystème de la donnée peut permettre de mieux répondre aux problématiques de nos clients. Il s’agit aussi bien de données de mesure passive (l’individu n’est pas sollicité et actif), de données sociales, en libre accès, issues des objets connectés, etc.

Cet éco-système nous conduit à faire évoluer notre manière d’appréhender les demandes. L’explosion des données porte aussi bien sur les sources que sur les volumes, elle induit de nouvelles manières de réfléchir et d’organiser l’intelligence. Ainsi, la donnée sociale est nouvelle car désagrégée, déstructurée, issue de discussions. L’enjeu est de donner du sens et du corps à ces données pour les valoriser. Nous nous intéressons à l’analyse automatique de textes, pour interagir avec ces données et les structurer.

Autre exemple d’outil propre à l’IA, le robot conversationnel : on doit se demander comment s’adresser à de nouveaux publics, notamment les millennials, en posant des questions de manière différente, plus rapide, pour les conduire à nous répondre mieux qu’aujourd’hui. L’IA et l’ensemble des réflexions autour des données induit une évolution logique de nos métiers, vers l’intégration de nouvelles compétences, celles des data scientists et data miners…

Il faut aller au-delà des vieilles recettes pour traiter les nouvelles données, même si l’enjeu reste centré sur ce qui a fait l’institut d’études : donner de la valeur, organiser, éviter les biais… L’IA constitue un apport considérable dans le traitement des données non structurées, bien qu’à ce stade dans nos métiers la machine ne peut remplacer l’homme, notamment en matière de recommandation d’action.

Peut-on avec l’IA se dispenser des groupes de consommateurs ?

R. P. : Avec les données sociales, impossible d’avoir des échantillons et de structurer les données pour avoir une population cible représentative. Les données sociales ne permettent pas non plus de répondre à tout. Dans ces conditions, tant la mesure quantitative que la mesure qualitative restent centrales. Derrière les données il y a des personnes, avec des motivations plus ou moins conscientes, donc plus ou moins accessibles. Les humains ne disent pas toujours ce qu’ils font, même sur les réseaux sociaux ! Les groupes de consommateurs comme les autres techniques qualitatives auront toujours leur place.

Quel est l’avenir des cabinets d’études indépendants ?

R. P. : Les logiques concurrentielles existent bien sûr entre les cabinets et les Gafam qui possèdent de nombreuses données, ce qui explique leur richesse. Pour autant, il ne faut pas en avoir peur, car s’ils disposent de données, nous en avons d’autres, et nos clients également ; ils ne couvrent qu’une partie de la réalité de l’achat et des parcours clients. Nous devons trouver des manières d’établir des partenariats – Kantar l’a fait en Chine avec Alibaba –, pour le bien de nos clients communs. Par ailleurs, dans un contexte de défiance, les sociétés comme Kantar, ni juges ni parties, restent des tiers de confiance importants.

Le président de la République a promis des bases de données publiques ou à financement public. Qu’en attendriez-vous ?

R. P. : Nous utilisons déjà des données publiques dans certains univers, car nous avons en France l’Insee, source considérable. Nous utilisons également Data.gouv en fonction des problématiques. Le développement de données ouvertes est une richesse. Ces données agrégées ou semi-agrégées nécessitent un traitement pour plus de pertinence. Il revient à un institut comme le nôtre de conseiller ses clients dans le choix des variables, car la quantité n’est pas synonyme de valeur si elle n’est pas qualifiée.

Dans quelle mesure un partage des données de vente est-il envisageable ?

R. P. : Les données de vente sont un domaine qui ne nous est pas propre. Des cousins comme KantarWorldpanel peuvent être plus concernés, mais surtout des structures émergent, comme celle du groupe Casino qui vise à mettre en commun les données que ses enseignes possèdent, notamment par les cartes de fidélité, avec une logique de monétisation.

Propos recueillis par J. W.-A.

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