Bulletins de l'Ilec

Une marque trop partielle - Numéro 442

15/03/2014

La marque France risque de se laisser happer par certains clichés et accaparer par quelques secteurs. Et d’être trop faible dans la confrontation mondiale des imaginaires. Entretien avec Nicolas Tenzer, président de l’Initiative pour le développement de l’expertise française à l’international et en Europe (Idefie)

La marque-pays est-elle un outil d’influence, un instrument de soft power au sens de la géopolitique (Joseph Nye) ?

Nicolas Tenzer : Oui, certainement, à condition que la stratégie de marque-pays s’intègre dans une stratégie plus globale, et que cette marque permette de susciter une vision d’ensemble du pays, qui doit aussi être crédible. Cela signifie que s’il existe trop de contradiction entre la marque elle-même et la réalité, vraie ou fausse, de la perception, une stratégie de marque n’a aucune chance d’aboutir. Ainsi, ce que définit la marque peut s’appliquer à certains produits, mais moins à d’autres. Plus encore, ce que la marque peut avoir de positif lorsqu’elle s’applique à certains produits commerciaux peut être corrodé par l’image du pays dans son intégralité.

Enfin, il convient d’introduire une dimension temporelle dans la dimension de marque d’un pays. La marque ne peut être reliée à une image à un moment t, elle doit être étroitement liée aux anticipations de ce que sera le pays dans le futur. Nous vivons dans un monde d’anticipations ; si elles sont peu optimistes pour les dix ou vingt années qui viennent, la marque risque d’en pâtir.

La dimension de soft power est fondamentale, mais ce pouvoir doux d’influence est fragile, et il suffit d’une erreur pour qu’il cesse de s’exercer. Et alors tout est à refaire. Une marque n’a jamais tenu longtemps sur la dissimulation, ni le mensonge.

 Soft power toujours : si le point nodal de la marque France est que « la France crée du style » (Synthèse du rapport Marque France), la promotion du style et de la culture françaises n’est-elle pas une condition indispensable de la compétitivité de la France – et de sa marque ?

Nicolas Tenzer : Oui, mais c’est très insuffisant. Je trouve cette appréhension de la marque France par le style beaucoup trop limitative, peu dynamique et peu adaptée aux réalités du monde contemporain. Comme si l’on tendait à la fonder principalement sur l’industrie du luxe, la gastronomie et le tourisme. Cela ne couvre qu’un petit nombre de secteurs d’activité, dans lesquels d’ailleurs la France est de plus en plus concurrencée, et ne rend pas compte d’une multitude d’autres talents français.

Puisque vous parliez de soft, je crois qu’il ne faut pas oublier que, derrière, il y a aussi du hard : une bataille pour valoriser et parfois imposer nos normes, nos standards, nos idéaux aussi, qui requiert un déploiement assez lourd d’experts, d’industries, d’universitaires, etc. Il faut aussi avoir une stratégie de présence active dans les lieux où l’on débat de ces questions en amont : conférences internationales, think tanks, organisations internationales, manifestations professionnelles, etc. Il en va de même pour la culture, dont la diffusion est inséparable d’une promotion de l’intelligence française, du savoir, des capacités scientifiques et technologiques, et d’une intelligence des grands problèmes mondiaux.

Cela passe aussi par une communication non officielle beaucoup plus forte et essentiellement en anglais. Je crains fort qu’un enfermement sur le style ne tende à nous dispenser d’une stratégie plus sérieuse et ne conduise à nous marginaliser sur la scène mondiale. Ajoutons que derrière cette réalité, il y a la question des moyens. Or, à la différence d’autres États de taille comparable, notre pays – non seulement la puissance publique, mais aussi les entreprises et le monde universitaire – ne consacre pas assez de moyens à l’international. Pour les acteurs publics, privés et académiques, cela devrait être un domaine à sanctuariser budgétairement. L’international nécessitera de la part de l’ensemble des acteurs beaucoup plus de moyens qu’il y a dix ou vingt ans. Par rapport à l’Allemagne, au Canada, au Royaume-Uni et au Japon, sans parler des États-Unis ou désormais de la Chine et, dans certains cas, des pays nordiques et même de l’Italie, les moyens que la France consacre à ses relations bilatérales sont faibles.

 La marque France peut-elle ambitionner de changer l’image, la réputation, de la France à l’étranger ?

Nicolas Tenzer : Elle peut y contribuer, mais beaucoup moins qu’on ne semble l’estimer parfois. Encore une fois, la marque ne peut être le cache-misère d’autres réalités, et elle me semble actuellement trop partielle et non susceptible de valoriser d’autres talents que nous avons. J’évoquais les anticipations : là, je ne suis pas sûr qu’elle suffise à donner une image positive de ce que sera notre pays dans les prochaines décennies, qui dépend des politiques tant intérieures qu’extérieures.

 L’image de la France à l’étranger a-t-elle déjà été sujette à d’importants changements au cours des dernières décennies ?

Nicolas Tenzer : Oui, et pas nécessairement dans un sens positif ; c’est cela qu’il faut redresser. Je crains non seulement que l’image de la France dans beaucoup de pays ne soit beaucoup trop partielle, et trop focalisée sur ce qui apparaît comme négatif, mais aussi qu’elle tende parfois à s’effacer. J’ai pu constater lors de nombreux déplacements à l’étranger un étiolement de cette image, en termes de capacités industrielles, scientifiques ou intellectuelles, et une focalisation sur quelques clichés, pour ne prendre que les plus positifs, sur la beauté de Paris ou des villages français, la mode et le vin, plus rarement la littérature.

Certes, de grands groupes français sont connus et reconnus dans les milieux des décideurs économiques, mais cela ne touche pas, disons, le public des classes moyennes. Globalement, la France doit donner l’image d’un pays à la fois d’excellence et d’ouverture, d’un pays qui participe pleinement du mouvement de globalisation.

 La concurrence des marques-pays expose-t-elle les pays concernés à une recrudescence du dénigrement ? Faut-il en voir une illustration dans le French bashing qu’affectionnent certains médias, mais peut-être aussi certains États ?

Nicolas Tenzer : Oui, c’est un point fondamental, et il est clair que ce French bashing n’a rien d’innocent. Il correspond à une stratégie parfaitement organisée de certains pays et acteurs économiques, qui bénéficient du relais des médias, mais aussi parfois des think tanks et des intellectuels. Il faut aussi relever le rôle des réseaux sociaux dans ce qui peut être également une stratégie de désinformation et de dénigrement des pays ou de certaines marques.

Ce phénomène est directement lié à une compétition accrue sur les marchés où presque tous les coups sont permis. Cette stratégie prend parfois des formes indirectes, mais qui toutes concourent au même résultat. On peut ainsi dévaloriser non seulement certaines politiques ou certaines entreprises, mais aussi nos idéaux, notre système de droit, les normes que nous cherchons à faire prévaloir et tout ce qui concourt à l’image du pays. Cela nécessite que la France puisse se doter de moyens de contre-offensive.

Propos recueillis par J. W.-A.

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