Bulletins de l'Ilec

Bagages communs - Numéro 479

15/02/2019

“Synapse » pour s’informer et susciter les échanges, « Élipse » pour évaluer les démarches engagées, « IIET » pour l’autoévaluation individuelle de l’ancrage local. L’écologie industrielle a ses outils et son langage. Entretien avec Nathalie Boyer, déléguée générale d’Orée, ambassadrice de l’économie circulaire auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire

Quels types d’entreprises et quels secteurs sont concernés par les démarches d’écologie industrielle territoriale ?

Nathalie Boyer : Les secteurs qui ont le plus de flux sont les plus concernés. Pour autant, la démarche ÉIT concerne toutes les entreprises, grandes, moyennes ou petites, car chacune, quelle que soit sa taille, peut ainsi limiter ses impacts environnementaux, gagner en compétitivité, et réaliser des bénéfices économiques. Dans la mesure où l’écologie industrielle territoriale est une démarche multiflux – eau, énergie, matière, déchets, compétences, emploi à temps partagé… –, aucun secteur d’activité ni aucune entreprise ne peut en être a priori exclu.

A-t-on une idée du nombre d’entreprises engagées dans la démarche ÉIT ?

N. B. : Pas en ce qui concerne le nombre d’entreprises. Nous avons actuellement une centaine de démarches, mais ce nombre évolue rapidement à la hausse. L’ÉIT, portée par l’Ademe au niveau national et par les Ademe régionales, fera l’objet prochainement d’un recueil publié par Orée qui recensera toutes les démarches opérationnelles.

Les territoires sont-ils inégalement prêts à accueillir une démarche ÉIT ?

N. B. : Tout dépend sur le plan local de l’implication des Ademe, qui peuvent favoriser cette démarche. Nous avons trois échelons : l’Ademe nationale qui a lancé en 2017 le réseau national Synapse1, qui centralise les exemples de démarches et l’offre d’information ciblée et d’outils, au comité stratégique duquel Orée est impliquée depuis le début. Un nouveau niveau vient d’être créé avec les directions régionales de l’Ademe, qui mettent en place des réseaux régionaux d’écologie industrielle pour susciter les échanges entre les acteurs locaux, capitaliser les savoir-faire et pérenniser les démarches, par le biais d’appels à projets, les réseaux étant constitués des acteurs de l’animation des démarches régionales.

Le troisième échelon est constitué par des animateurs de zone impliqués sur le terrain, à savoir des collectivités, des clubs d’entreprises, des associations de gestionnaires de zones d’activité, des syndicats interprofessionnels.

Existe-t-il un indicateur sur la question des mutualisations interentreprises ? Et pour repérer les besoins de mutualisation potentiels dans l’entreprise ?

N. B. : Le référentiel Élipse2 (« Évaluation des performances des démarches d’écologie industrielle et territoriale »), qui est un outil « volontaire », sert à deux types de publics, les animateurs et les financeurs. C’est un référentiel d’évaluation des démarches, mais non un outil pour qualifier les synergies. Il permet aux animateurs ÉIT de s’évaluer et de mesurer les améliorations, et également de s’inspirer d’autres démarches sur la plateforme. Il a encore une autre mission, celle de permettre aux acteurs qui ont financé les démarches de les suivre avec des indicateurs communs. Ainsi l’indicateur 46 pose la question : « Avez-vous identifié les besoins en services des acteurs du territoire afin de mettre en place des mutualisations possibles ? ». Et le 48 : « Quels services ont été mutualisés pour les entreprises et autres activités locales ? » Elipse n’est pas un outil de comptabilisation des flux.

Élipse est-il utilisé par tous les porteurs de projet d’ÉIT ?

N. B. : L’Ademe nationale demande à toutes ses directions régionales d’inclure Élipse comme outil d’évaluation dans leurs appels à projets d’ÉIT. Cinquante-six projets sont actuellement référencés sur Élipse, et 631 personnes se sont inscrites, observateurs des démarches, animateurs de démarches régionales et financeurs…

Orée a développé par ailleurs un « Indicateur d’interdépendance des entreprises à leur(s) Territoire(s) » (IIET). Quelle est sa nature ? Et est-il reconnu par les pouvoirs publics comme illustrant une démarche ÉIT pouvant prétendre à un aide publique ?

N. B. : Cet indicateur mesure l’ancrage territorial, c’est un outil supplémentaire qui permet aux entreprises de s’évaluer sur ce sujet. Nous avons travaillé avec le ministère de l’Écologie pendant trois ans pour analyser le reporting non financier des entreprises (article 225 de la loi Grenelle II) et nous nous sommes aperçus que pour le social et l’environnemental, des indicateurs destinés aux entreprises existaient déjà. Mais pas pour le sociétal, à savoir comment l’entreprise crée de la valeur sur son territoire.

Nous avons donc construit avec nos adhérents cet outil, abordable pour toute entreprise quelle que soit sa taille, son secteur d’activité ou son niveau de maturité sur le plan de l’ancrage local.

Nous avons développé quatre axes : les stratégies d’innovation et de marché, l’ancrage local et économique de l’entreprise, la coproduction de ressources communes, la gouvernance.

L’ancrage peut n’être que passif, quand le territoire n’est qu’un support pour l’activité de l’entreprise ; il peut être productif, quand l’entreprise adapte son outil de production aux besoins locaux et travaille son image et sa réputation ; il peut être contributif, quand l’entreprise renforce sa présence locale pour développer sa performance économique et engage des processus d’apprentissage collectif de construction ; il peut être interdépendant, quand le territoire devient pour l’entreprise un espace de projet avec les autres acteurs de l’éco-système local – l’entreprise va en retirer une démultiplication de sa capacité d’innovation.

L’indicateur que nous avons développé est gratuit et à disposition des entreprises volontaires, mais il n’est pas reconnu par les pouvoirs publics, car il ne s’agit pas d’un label mais d’un moyen d’autoévaluation. Il a cependant été créé avec le soutien du ministère de la Transition économique et solidaire, qui a participé au groupe de travail qui a abouti à la création d’un guide de l’ancrage local3 publié sous son patronage. Le Commissariat à l’égalité des territoires est intéressé par nos travaux.

La démarche ÉIT est-elle plus facile pour un grand groupe que pour une PME ?

N. B. : Une TPE ou une PME peut souvent manquer de temps et de moyens pour participer à une telle démarche, mais un grand groupe n’est pas toujours, sur le plan local, maître de ses données, centralisées au niveau du siège. Chacun est concerné.

L’ÉIT est-elle une démarche spécifiquement française ou s’observe-t-elle dans d’autres pays ?

N. B. : Ce sont des démarches présentes dans le monde entier, plus connues sous l’appellation « symbiose industrielle » ou industrial symbiosis. Nous travaillons notamment avec le Québec, très actif sur le sujet, afin d’adapter notre outil francophone Élipse à son contexte territorial plus rural. « Actif » est un autre outil français développé par les chambres de commerce et d’industrie : il a vocation à comptabiliser et à géolocaliser les flux. Chaque pays développe ses propres outils.

1. https://www.economiecirculaire.org/eit/h/le-reseau-synapse.html#page1.
2. http://www.referentiel-elipse-eit.org.
3. http://www.oree.org/source/_189.pdf.

Propos recueillis par J. W.-A.

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