Bulletins de l'Ilec

La vie rouge sang - Numéro 480

26/03/2019

Rouges et non bleues. Montrer la vraie couleur des règles singularise la campagne en ligne #Bloodnormal de Nana. Elle entend rendre son naturel à un geste féminin longtemps tabou. Sans choquer. Prix Essec 2019 « Services et informations au service du consommateur ». Entretien avec Estelle Vaconsin, quality & sustainibility manager, Essity

Votre campagne est diffusée uniquement sur internet : pourquoi n’a-t-elle pas été diffusée en télévision ?

Estelle Vaconsin : Toute publicité diffusée à la télévision doit être préalablement visionnée par l’ARPP, en application de la convention de partenariat signée avec le CSA en 1990 par les représentants des professions concernées (AACC, SNPTV, UDA). L’ARPP émet un avis « favorable » ou « à modifier », ou « à ne pas diffuser ». Les campagnes de communication Nana s’articulent toutes autour d’une même idée : briser les tabous autour des règles pour permettre aux femmes de vivre leur vie pleinement. Blood Normal a été soumise à l’ARPP. Elle nous a demandé de modifier certains plans, les jugeant contraires aux exigences de décence. Certains de ses commentaires, notamment sur la représentation des règles, allaient à l’encontre du message que nous souhaitions faire passer. Nous avons décidé de ne pas intégrer ces modifications et de diffuser notre campagne uniquement en ligne. Il est cependant vrai que cette campagne de marque est plus adaptée au digital et aux réseaux sociaux. Et ces canaux offrent plus de flexibilité sur les formats, les contenus. Nous sommes présents en télévision toute l’année, avec des campagnes tout aussi progressistes.

La campagne est-elle été néanmoins relayée ou a-t-elle eu des reprises, des échos, sur d’autres supports, par d’autres médias ?

E. V. : Elle a suscité de nombreuses réactions positives dans les médias et sur les réseaux sociaux. Et le bilan est positif au vu des résultats : un taux d’engagement de 10 points supérieur à la moyenne : 1,3 million de vidéos vues à 100 % de notre version 10 secondes ; une proportion de commentaires négatifs proche de 0 % ; et une campagne récompensée au Festival international de la créativité Cannes Lions 2018.

Le fait que cette campagne ait lieu aujourd’hui signifie-t-il que les marques de protection féminine ont vécu dans le tabou pendant des décennies ?

E. V. : La campagne Blood Normal s’inscrit dans la mission que s’est donnée Nana depuis son lancement en 1982 : permettre de vivre une féminité assumée, décomplexée. Le caractère transgressif de la marque s’exprime depuis toujours dans sa communication, ses emballages, ses innovations. Cela commence dès le lancement de la marque avec les pochettes individuelles des serviettes Nana : plutôt que de proposer de pochettes neutres, Nana joue la provocation avec des échantillons peints à la main et pleins de couleurs, une façon de « détabouiser » le produit, qui peut se montrer sans complexe. Un premier film détourné, en 1982, mettait en scène une Cendrillon quittant précipitamment le bal qui perd non pas son soulier mais sa pochette Nana ; un bellâtre la ramasse et fonce avec sa voiture de sport pour la rejoindre et la lui rendre : « Nana, il faudrait être une femme pour savoir ce qu’il y a dedans… » C’était la première fois qu’une protection féminine était exhibée dans un contexte social. Après une enquête réalisée en ligne en 2017 auprès de 10 017 hommes et femmes, nous avons considéré que le public était prêt à être exposé à la campagne Blood Normal : 74 % des sondés souhaitaient une représentation plus réaliste des règles dans les publicités.

Alors que l’éducation sexuelle a été introduite dans l’Éducation nationale il y a plus de quarante ans et renforcée en 2001, le tabou que la campagne Nana a voulu renverser n’est-il pas davantage celui du monde de la communication, de ses codes et de ses usages, que celui de la société ?

E. V. : Une étude qualitative menée en 2017 par l’agence Concept M dans six pays dont la France a montré que tout le monde sait que les femmes ont leurs règles une bonne partie de leur vie, mais que les règles sont en telle contradiction avec les idéaux communs qu’elles en deviennent embarrassantes. Ce sujet n’est presque jamais abordé en société. Les femmes n’exposent pas ouvertement leurs protections d’hygiène. Sur le chemin des toilettes, la plupart cachent soigneusement leurs serviettes et tampons…

Propos recueillis par J. W.-A.

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