Bulletins de l'Ilec

Pénible à décaisser - Numéro 481

27/05/2019

Payer serait-il moins source d’« irritation » avec une machine qu’avec une personne ? Pour un fournisseur de bornes de paiement automatisées, c’est un credo. La Chine lui donne raison. Et ailleurs ? 1 Entretien avec Jérôme Varnier, fondateur et PDG d’Innovorder

Que répondez-vous à la crainte de voir se généraliser des magasins sans présence humaine ?

 

Jérôme Varnier : Il ne faut pas s’alarmer plus que cela. Il ne s’agit pas tant d’une généralisation de magasins sans présence humaine que de métiers qui se transforment, qui se réinventent. Ainsi le métier de caissier – qui est particulièrement pénible – sera probablement amené à disparaître au cours des prochaines décennies, pour être remplacé par des métiers à plus forte valeur ajoutée, autour de l’accueil et du conseil du client.

La disparition de tout contact ou lien social est-elle vécue par les consommateurs comme une nécessaire adaptation aux temps nouveaux ?  

J. V. : Ce qui est nécessaire est d’utiliser les technologies pour supprimer non pas le lien social, mais les causes d’irritation. Le moment de l’encaissement est vécu par les clients comme le moment pénible, et l’accélération des cadences empêche qu’il serve à construire une relation humaine. La technologie peut et elle doit remettre l’humain au centre de l’expérience client en magasin. Dans les enseignes de magasins, les technologies digitales sont privilégiées, dès lors qu’une tâche humaine peut être automatisée, pour deux motifs : une meilleure productivité – et elles sont à terme plus rentables – et la réponse à une source de contrariété pour le client – ici le paiement comme moment d’irritation.

Que signifie « sans personnel » ? Est-ce à dire qu’il n’y a plus de vigile dans les zones sensibles ou isolées ?

J. V. : Un magasin est dit sans personnel lorsque les clients ont accès à un service qui n’implique pas d’interactions humaines. Mais évidemment, derrière les robots, il y a des personnes qui en assurent la maintenance, et derrière les magasins, des personnes qui en assurent la gestion.

Les résistances culturelles à ces solutions diffèrent-elles selon les pays ?

J. V. : Il y a des différences culturelles qui font varier le potentiel d’une technologie. C’est aux États-Unis et en Asie, particulièrement en Chine, que le potentiel est le plus important. Amazon projette de développer un réseau de trois mille magasins Amazon Go sans caisses avant 2021. En Chine, huit cents magasins Auchan Minute sans aucune présence humaine ont déjà été déployés.

En France, les magasins sans personnel sont des magasins qui tentent de répondre aux attentes de leurs clients ; et il s’agit pour eux d’une opportunité de créer de la valeur. Il est probable qu’ils se projettent dans un avenir où leurs clients se seront attachés aux modes d’achat qui se développent aujourd’hui aux États-Unis et en Chine. Mais un modèle n’a d’intérêt pour les clients que s’ils en perçoivent les bénéfices. Les magasins sans personnel ont en France plus de chances de trouver leurs clients en hyper-centre des grandes villes, mais on ne compte qu’une dizaine de ces magasins. Partout ailleurs, les clients sont encore très attachés au lien social avec les employés.

Quels nouveaux métiers les magasins sans caisses sont-ils conduits à créer ?

J. V. : L’automatisation de certaines tâches rend le robot plus efficace que l’humain. Mais la technologie permet de consacrer plus de temps à d’autres tâches. En France, surtout en dehors des grandes villes, les magasins considèrent les employés comme des leviers non négligeables de l’expérience client. Parce que face à la concurrence du commerce en ligne permettant aux consommateurs de recevoir presque n’importe quel produit sans quitter leur domicile, beaucoup d’enseignes de magasins vont parier sur le lien social.

Avez-vous des projets de déploiement dans les villages d’où tout commerce a complètement disparu ?

J. V. : Pour l’instant ces transformations touchent principalement les hypercentres urbains, avec leurs spécificités et leur clientèle ultraconnectée. À terme, cela pourra arriver dans les villages.

1. Innovorder (www.innovorder.fr), start-up parisienne fondée en 2014, est un spécialiste de la dématérialisation du paiement. Elle accompagne quatre cents enseignes dont Intermarché dans cette transformation digitale, avec une suite logicielle (CRM, bornes tactiles et commandes en ligne) couplée à une caisse enregistreuse.

Propos recueillis par J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.