Bulletins de l'Ilec

Vers le commerce plaisir - Numéro 481

27/05/2019

Pour l’ancien président de Système U, l’aiguillon de la digitalisation redonne des lettres de noblesse au commerce physique. Et pas seulement aux plus petites surfaces. Entretien avec Serge Papin, consultant

Les nouveaux circuits et les grandes plateformes de vente aggravent-ils la surcapacité du parc commercial français, considérée sous son effet déflationniste sur les marges des magasins, les tarifs des fournisseurs, le revenu des producteurs ?

Serge Papin : Difficile de répondre par oui ou non. Le commerce va se développer dans les métropoles et de manière fragmentée. Il est vrai que les plateformes vont induire une surcapacité par rapport aux magasins physiques. Le développement des magasins de proximité dans les métropoles atteste de la mutation entre les campagnes et les villes, les grands hypers et les magasins à taille humaine, et va conduire durant cette période de transition à une surcapacité. Il n’est pas exclu que de grandes surfaces ferment ou diminuent leur surface de vente.

Les nouveaux circuits pourraient-ils au contraire contribuer à réduire d’autres effets de cette surcapacité, par exemple la désertification des centres-villes liée aux zones commerciales ? En mettant hors course de grandes surfaces périphériques ? En réduisant l’attrait de la rente foncière ?

S. P. : Il y a une double peine pour les petites villes : leur commerce périphérique souffre, surtout le non-alimentaire, et le commerce de centre-ville n’est pas non plus au meilleur de sa forme. Les communes devront trouver des moyens pour ouvrir des espaces en centre-ville suffisamment grands, par exemple par préemption. Les villes devraient se doter de fonds pour acheter les mètres carrés qui ferment et créer une dynamique structurante par la création de magasins plus grands. En périphérie, les petits hypers et les grands supers ont, contrairement aux idées reçues, une carte à jouer en non-alimentaire, car il ne restera plus qu’eux. Outre-Atlantique l’année dernière, Wallmart a vendu beaucoup de jouets, alors que Toys R’s fermait…

Avec le drive piéton, aller remplir un chariot personnel à pied au point de retrait du quartier, c’est moins de voiture ; mais est-ce la promesse de chariots plus responsables et de moins de gaspillage en bout de chaîne chez les consommateurs ?

S. P. : Non ! Je m’interroge sur l’avenir du drive piéton, quand on constate le peu de monde qui le fréquente, les vitrines tristes. On a toujours l’impression qu’il ne s’y passe rien.

Y a-t-il, du fait de la digitalisation du commerce un risque de fracture sociale de la distribution de PGC entre des circuits « expérientiels » (théâtralisation, forte différenciation d’enseignes…) et des circuits d’exclus ?

S. P. : Non, tous les commerces physiques doivent jouer la carte de « l’expérience », et monter en gamme. Le commerce physique doit offrir ce que n’offre pas Amazon : du lien, des conseils, de la relation. Le digital oblige à choisir un terrain de jeu, et quand celui-ci est choisi, il faut augmenter le niveau de jeu pour être leader. Si l’on fait le choix du commerce physique, il faut proposer un magasin qui soit une destination agréable avec de bons professionnels, bien payés, qui attirent des consommateurs heureux de faire leurs courses. Il ne peut pas y avoir dans le commerce physique de circuits d’exclus, car le commerce physique doit être joyeux : fini la corvée, vive le plaisir.

Est-ce qu’avec ses nouveaux circuits « digitalisés » le commerce du quotidien va demeurer le premier pourvoyeur d’emplois du secteur marchand ? À quelles conditions de qualification ?

S. P. : On va vers une professionnalisation pour que, comme je l’ai dit, le niveau de jeu augmente. Les emplois ne seront pas forcément plus nombreux, mais plus qualifiés. Un magasin d’alimentation doit vendre du bon pain, du bon vin, conseiller du bon poisson, affiner du fromage, maturer de la viande, etc.

Est-ce que le commerce va continuer, mieux ou moins, à jouer un rôle d’ascenseur social pour les non-diplômés ?

S. P. : Oui, toujours, particulièrement chez les indépendants, où il n’est pas nécessaire de sortir d’une grande école comme dans un grand groupe, pour faire carrière dans le cercle des dirigeants – vous ne serez jamais dirigeant de Total si vous n’avez pas fait Polytechnique…

L’e-commerce offre-t-il généralement des moyens spécifiques de répondre à des objectifs de valorisation des filières agricoles tels que ceux de la loi ÉGAlim ? Ou ses divers modèles se segmentent-ils sous cet aspect ?

S. P. : À ce jour, l’e-commerce dans l’univers alimentaire est faible, le drive mis à part. Amazon et autres Alibaba n’ont pas une offre alimentaire, particulièrement en produits frais, assez large pour concurrencer le commerce physique. Si les filières agricoles veulent se valoriser, elles doivent surtout développer le circuit court, avec ou sans le soutien du digital. C’est l’accès au consommateur qui doit primer pour être source de valeur ajoutée. L’e-commerce est une condition utile mais non suffisante. Ce ne sera pas la seule réponse.

Propos recueillis par J. W.-A.

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