Bulletins de l'Ilec

La créativité par la confiance - Numéro 461

30/11/2016

L’ère des ressources humaines est révolue, et peut s’ouvrir celle fondée sur les relations humaines. Pour peu qu’un management formé à cet effet l’aide à éclore. Entretien avec Didier Pitelet, président d’Onthemoon, « agent de culture d’entreprise »

Le concept d’entreprise collaborative est-il réservé à des entreprises, réputées plus «souples» (PME, ETI), plutôt qu’à de «rigides» (grands groupes), sur le plan de l’organisation et du management?

Didier Pitelet: C’est avant tout un principe d’organisation qui dépasse la notion de taille, au profit de l’ambition humaine de l’entreprise. Dans les grands groupes, souvent, le système préempte l’action, les territoires et les jeux politiques ; la souplesse des PME est naturellement plus ouverte au collaboratif, mais toutes les entreprises peuvent s’y lancer : le but est avant tout de libérer une intelligence collective pragmatique.

Se heurte-t-il, dans certaines entreprises, à des baronnies?

D. P.: Les modèles d’organisation sont encore pétris de valeurs masculines fondées sur le pouvoir et l’autorité. Rares sont les comités de direction qui forment une équipe soudée, en harmonie avec une vision commune de l’humain ; ce sont plus souvent des territoires affichés, des lieux de luttes d’influence. À l’inverse de ce qu’attendent les équipes et l’antithèse de ce que doit porter le mot « patron ».

Le collaboratif, dont les usages numériques ont accéléré la prise de conscience, impose un maître mot : « confiance ». Mais pas n’importe laquelle, une confiance complète dans les équipes, la culture, au nom du maillot porté par tous ! Le collaboratif est un rééquilibrage entre valeurs masculines et féminines.

Comment diffuser, dans l’entreprise collaborative, la culture du partagede l’information? Avec le management par la marque?

D. P.: Là encore, la confiance est primordiale. Il faut penser l’entreprise en communauté humaine et réfléchir aux piliers culturels qui la portent. De ces piliers, en cohérence avec la vision et la stratégie, découlent des rites qui guident l’ensemble des manières de bien vivre ensemble. Le management doit être formé, accompagné. Seule son exemplarité est garante d’une démarche collaborative. Le partage n’est pas un dogme, et encore moins une obligation qui s’imposerait à toutes les entreprises : il ne s’agit pas d’une mode à imposer, mais d’une envie à ressentir et à revendiquer selon la culture de l’entreprise. Le danger du collaboratif comme du concept de « l’entreprise libérée », c’est d’être pris pour ce qu’ils ne sont pas, à savoir des modes.

L’entreprise collaborative annonce-t-elle une ère d’intelligence du travail, de sens donné par chaque salarié?

D. P. : Elle remet l’individu au cœur de son mode de pensée et d’action ; en ce sens, c’est un progrès. Mais ne nous leurrons pas, nombre d’entreprises suivent encore des modèles traditionnels et se méfient du collaboratif, souvent avec la vision déformée d’un dialogue social archaïque à la française.

Peut-elle attirer davantage de talents par son orientation «marque employeur»?

D. P.: Certainement. Si elle crée de la cohérence entre paroles et actes, si elle transpire à l’extérieur en nourrissant la réputation d’employeur de l’entreprise, c’est un atout majeur en termes d’attractivité mais aussi de rétention des talents. L’ère des petits chefs, des organisations en silos cloisonnées, des pouvoirs liés à l’autorité des statuts, est révolue avec l’arrivée des générations « Z », les « mutants » qui ont une grille de lecture transversale et horizontale du monde. Ces humains nouveaux, biberonnés aux réseaux sociaux, vivent dans le collaboratif sans se poser les questions existentielles que les entreprises se posent.

Le taux de rotation des personnels peut-il être réduit grâce à une plus grande implication de chaque salarié?

D. P.: Plus l’individu est connu et reconnu, plus il est acteur de son engagement et contributeur à la dynamique de partage, plus il est impliqué et fidélisé. On ne peut pas prétendre croire en l’humain et brider la parole et les initiatives. Les dirigeants ont à leurs côtés des pépites créatives inédites ; il faut juste créer les conditions de la confiance et du partage, qui découlent la plupart du temps de celle de plaisir : plaisir de faire, plaisir de partager…

Quels sont les leviers que le numérique, un des outils de l’entreprise collaborative, apporte en termes de performance?

D. P.: Les usages numériques ont transformé la vie de chacun ; aujourd’hui ils bouleversent les organisations. Là où le numérique jette des ponts entre les humains, les organisations ont toujours l’art de bâtir des murs. Pour la première fois, l’entreprise mute en devant s’adapter aux usages externes. C’est une révolution culturelle. Dans les années à venir, nous verrons émerger de nouveaux leaders, plus équilibrés (« cerveau droit » et « cerveau gauche »).

Que devient le statut du salarié, et son lien de subordination avec son employeur, quand il endosse le rôle de «collaborateur»?

D. P.: Certains prophétisent la fin du salariat, en effet. Je crois que nous allons surtout voir émerger la notion de contrat de partenariat, intégré ou pas. La relation dominant-dominé est terminée, au profit d’arrangements plus ou moins longs fondés sur une réciprocité de l’engagement. C’est la fin des ressources humaines, au profit des relations humaines. Un petit « r » qui peut tout changer. Le collaboratif impose d’assumer une vision de la relation.

Propos recueillis par J. W. A.

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