Bulletins de l'Ilec

Demain la défragmentation - Numéro 414

30/10/2010

Grâce aux réseaux, la traçabilité, aujourd’hui cloisonnée, va progresser vers sa véritable fonction : le partage des données entre tous les acteurs. Entretien avec Pierre Georget, directeur général de GS1 France

Depuis quand parle-t-on de « traçabilité » ?

Pierre Georget : La traçabilité est un mot du xxe siècle, un des ces anglicismes venus jusqu’à nous avec les techniques de production de masse. Il est d’abord étroitement associé aux procédures d’assurance qualité. Puis, avec les grandes crises de sécurité alimentaire des années 1990 puis 2000, celle de la vache folle puis de la grippe aviaire, mais aussi les alertes industrielles fortement médiatisées qui touchent de grandes marques et enseignes agroalimentaires, la traçabilité  a pris une connotation de plus en plus logistique. La directive européenne 178/2002 a contribué à en faire une question logistique en instituant l’obligation pour les entreprises de tracer les marchandises venant de leurs fournisseurs (rang n – 1) et allant chez leurs clients (rang n + 1). 

Les outils de la traçabilité des produits en sont-ils encore à leur préhistoire ?

P. G. : Certainement, une traçabilité fragmentée qui va du fournisseur n moins un au client n plus un est à proprement parler préhistorique, puisqu’elle ne donne qu’un fragment de l’histoire du produit. Certes, une majorité d’entreprises, dans les produits de grande consommation, utilisent les standards GS1, codes à barres et EDI, pour tracer leurs réceptions et leurs expéditions, mais les bases de données restent entre leurs quatre murs. Et il est difficile, en cas de crise, de retracer rapidement la vie d’une marchandise en réajustant des tronçons de vie que chaque entreprise garde jalousement dans ses systèmes d’information.

L’avenir de la traçabilité est donc dans les réseaux, seul moyen de décloisonner les organisations et de permettre un partage des données de traçabilité entre tous les acteurs impliqués dans la vie de la marchandise. C’est sur la base de ce constat qu’est né, dans les laboratoires de MIT et de GS1, l’idée du code EPC (Electronic Product Code), un code purement sériel et garanti unique. Il est attaché à chaque objet par une étiquette électronique (RFID) ou par un code à barres, et les données sont accessibles par ce qui est appelé communément l’internet des objets.

L’espérance de nouveaux gains de productivité est-elle toujours un moteur de l’investissement dans les techniques de traçabilité ?

P. G. : Malheureusement non, beaucoup de dirigeants voient encore la traçabilité comme une source de coût et non de productivité. Le message de GS1 est qu’elle est le « plus produit » d’un système logistique performant. Nous avons montré qu’une gestion logistique fondée sur les standards GS1 permet de constituer des bases de traçabilité à l’expédition et à la réception des marchandises, d’automatiser ces opérations et de gagner deux euros par unité logistique. Les enjeux de la traçabilité vont bien au-delà des aspects économiques. Elle répond à des impératifs mercatiques et sociétaux : il n’y a en effet rien de plus facile que de détruire l’image d’une marque par une crise sanitaire, et de faire ainsi table rase, en quelques jours, d’années d’investissement.

Dans quel sens la traçabilité avance-t-elle le plus : la prise en compte d’une part de plus en plus exhaustive de l’amont, ou la facilité d’accès pour le public en aval ?

P. G. : L’amont est le segment de la chaîne d’approvisionnement où la traçabilité progresse le plus. Cependant, l’extension de la traçabilité se fait par fragments, et cette fragmentation est l’obstacle principal à un accès facile par le public en aval de la chaîne.

Le problème de la taille des puces est-il en voie d’être résolu, ouvrant la voie à la généralisation de la radiofréquence à tous les produits et composants ? La RFID se combinera-t-elle aux nano ou biotechnologies ?

P. G. : La taille des puces, moins d’un mm², et des étiquettes, deux à quatre cm² en incluant l’antenne, n’est pas un problème et ne l’a jamais été. Leur prix est un frein plus contraignant : entre sept et dix centimes d’euro, les étiquettes restent chères pour des produits de consommation courante. Et pourtant c’est sur les applications en magasins (inventaire journalier, réduction des ruptures en linéaire, antivol, lutte anticontrefaçon…) que le modèle économique de la RFID est le plus probant. La RFID ne peut pas être confondue avec les nano ou biotechnologies. La taille de la puce et surtout de l’antenne, nécessaire à l’alimentation électrique et à la communication entre l’étiquette et le lecteur, nécessite de travailler dans des dimensions comparables à celle des étiquettes code à barres.

L’exigence croissante de traçabilité ne pénalise-t-elle pas les plus petits producteurs, alors qu’on célèbre par ailleurs l’autoentreprise et les TPE ?

P. G. : Non, au contraire. Les nouvelles technologies sont plus faciles à assimiler par les TPE que par les PME ou les grands groupes. Ces derniers sont en réalité les entreprises où le processus de décision et la chaîne de commandement sont les plus complexes à mettre en œuvre, dès qu’il s’agit d’introduire de nouvelles méthodes de travail. La TPE et la PME sont plus flexibles, elles sont capables de répondre rapidement à une demande formulée par un donneur d’ordre, dès lors que celle-ci s’appuie sur un standard. Il est important que les développements d’une TPE pour servir un client soient réutilisables avec les autres. C’est un des rôles de GS1 d’assurer cette coordination, avec les fédérations et les associations professionnelles.

La mondialisation des entreprises n’ajoute-t-elle pas à la difficulté de tracer tout en rendant la traçabilité impérative ?

P. G. : Au contraire, la mondialisation des entreprises est la condition de l’affirmation d’un standard mondial de traçabilité, synonyme d’accès de tous à la traçabilité. GS1 travaille avec toutes les grandes marques pour que le standard ISO 22000 intègre les techniques GS1 et s’impose effectivement comme le cadre général de la traçabilité, englobant les initiatives privées comme IFS, BRC ou GAP.

Avec l’information sur les produits (nutritionnelle, environnementale, etc.) par téléphone mobile, est-ce surtout le produit qui est traçable, ou la curiosité (et le profil) des consommateurs ?

P. G. : Les applications sur téléphone mobile ne permettent pas encore d’accéder à une véritable information de traçabilité, au sens du pedigree du produit. Les informations nutritionnelles, allergéniques ou environnementales disponibles ne résultent pas à proprement parler de système de traçabilité. Elles proviennent des segments industrie et distribution de la chaîne d’approvisionnement. Ce sont les données de l’aval uniquement, et c’est pourquoi il y a encore beaucoup de discussion pour valider leur pertinence pour le consommateur. Elles ne donnent qu’une vue partielle du produit.

La prolifération des applications mobiles promettant des informations sur les produits est effectivement un indice d’une « googolisation » du téléphone portable. Ce ne serait pas tant la question que ce qu’elle révèle du questionneur qui importerait. C’est effectivement une dérive possible des réseaux sociaux. GS1 participe à un service sur mobile, Proxi-Produit, dont l’objectif est de  permettre aux marques de diffuser une information authentifiée par elles-mêmes concernant leurs produits. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Ilec, l’Ania, l’Afise, la Febea et la FCD, sous l’égide du ministère de la Recherche, le secrétariat d’Etat à l’Economie numérique et la Délégation à l’usage de l’internet, pour garantir au consommateur que l’information est fiable et que la protection de la vie privée est pleinement assurée.
 

Propos recueillis par J. W.-A.

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