Bulletins de l'Ilec

Expertiser les experts - Numéro 414

30/10/2010

Une société a le marketing qu’elle mérite. Il lui revient de l’utiliser à bon escient pour que la traçabilité du consommateur privilégie, en toute transparence, le lien social. Entretien avec Thierry Maillet, chercheur à l’EHESS*

 

Le marketing personnalisé n’est-il pas voué à devenir intrusif ? Particulièrement via les réseaux sociaux ?

Thierry Maillet : Le monde n’a jamais été aussi riche, mais cela a un prix. Durant les Trente Glorieuses, le marketing a plutôt été utilisé comme un acteur de la libération, liberté du déplacement avec l’automobile et la mobilité qui en découle, libération de la femme grâce aux arts ménagers, etc. Pour autant, aujourd’hui, on peut se poser la question : le marketing est-il toujours libérateur ? Constatons qu’il ne fait qu’accompagner un mouvement de fond de la société, en tout cas du politique, qui se traduit par une demande sécuritaire de plus en plus forte.

Le marketing n’est qu’un outil, un réceptacle de la société, de l’économie et de la science, et rien d’autre. Il s’encastre aujourd’hui dans le politique, aussi le marketing personnalisé est-il voué à devenir intrusif. Il revient aux médiateurs importants, organisations professionnelles, journalistes et lieux de rencontre (salons, conférences, colloques), de s’interroger sur le degré de cette intrusion, sur la manière de la rendre transparente. Les systèmes de géolocalisation se multiplient, qui pistent aussi bien les salariés, les voitures, les téléphones, les cartes de crédit… La question est de savoir si les organisations professionnelles doivent prendre en main le dossier de la traçabilité ou si elles doivent l’abandonner au gouvernement.

Avec l’information sur les produits accessible sur mobile, est-ce surtout le produit qui va être plus traçable, ou le profil des consommateurs ?

T. M. : Si l’on s’en tient au mobile, le consommateur prime. Mais sur le plan général, c’est aussi bien l’information sur le produit que le profil du consommateur. Les pouvoirs publics sont très sensibles aux rappels de produits, comme l’atteste la crise qu’a vécue Toyota.

La possibilité de tracer les traceurs devrait-elle être étendue à l’univers du marketing ?

T. M. : Bien sûr, il faut expertiser les experts. C’est tout l’enjeu de l’encastrement du marketing avec l’autorité publique.

Quelles sont les limites techniques à l’exploitation mercatique des données (usages d’internet, sorties de caisses, moyens de paiement, etc.) ?

T. M : Il n’y a pas de limites techniques. Qui avait prédit internet ? La seule limite est fixée par le principe de précaution : de la même manière que les moteurs des motos sont bridés, on pourrait brider les téléphones pour des problèmes d’ondes et limiter les volumes de téléchargement.

Quelles sont les limites éthiques ?

T. M. : Je préfère le mot politique, associé à la vie de la cité. En permanence, la société agrée ou non des propositions, selon les influences de tous les contributeurs. Un sujet comme le neuromarketing peut aujourd’hui susciter le débat. Qui décide de l’autoriser, de le réguler ou de l’interdire ? Les professionnels ou le politique, ou les deux d’un commun accord ?

* Responsable d’un séminaire sur les relations entre consommation et citoyenneté à Sciences Po Paris.

Propos recueillis par J. W.-A.

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