Bulletins de l'Ilec

Traçabilité... garantie - Numéro 414

30/10/2010

La traçabilité, de documentaire, doit dorénavant être fondée sur des preuves authentifiées. Aux pouvoirs publics d’accompagner les associations dans leur fonction de contrôle. Entretien avec Alain Bazot, président de l’UFC Que choisir

Assiste-t-on à une montée de la défiance telle qu’au moindre soupçon ou rumeur relatif à un produit vont de plus en plus s’imposer des rappels de produits ruineux pour les entreprises ?

Alain Bazot : Toyota, Honda et Nissan ont rappelé des millions de véhicules pour des défauts avérés sur des pièces essentielles. Quand on parle de rappel, on pense à l’automobile, mais tous les secteurs industriels sont concernés. Les rappels sont loin d’être anecdotiques, par le nombre comme par le motif. Le rapport 2007 de Rapex, système d’alerte européen pour les produits non alimentaires dangereux, faisait état d’un accroissement de 53 % en un an des notifications. Le phénomène est-il lié à une défiance qui monte ? Pour l’UFC, la cause est tout autre. Il s’explique d’abord par l’obligation, depuis 2004 (art. L. 221-1-3), pour les entreprises d’informer les pouvoirs publics sur les rappels auxquels elles sont astreintes quand leurs tests de qualité révèlent que la sécurité est menacée (tous les professionnels ne jouent pas le jeu de la transparence, et les contrôles aux frontières ou en magasins restent à l’origine de plus de la moitié des rappels). Il est aussi la résultante d’une production de plus en plus mondialisée avec des procédures de contrôle interne qui n’ont pas été adaptées.

A l’inverse, la progression du nombre des rappels, qui ne repose pas sur la rumeur, ne peut que susciter une défiance croissante. Sont-ils ruineux pour les entreprises ? S’ils concernent des lots de plus en plus gros, le coût augmente. Ici, la traçabilité des produits et des contrôles de qualité internes est indispensable aux entreprises. Mais la question du coût dépasse le cadre économique, car comment estimer le coût de la mise en marché de produits qui mettent en danger les consommateurs ?

La mondialisation des entreprises n’ajoute-t-elle pas à la difficulté de tracer tout en rendant la traçabilité impérative ?

A. B. : Les rappels de produits ont trois causes : erreur de conception, défaut de fabrication ou problème d’étiquetage. Quand un produit est composé de centaines de pièces conçues et assemblées par des sociétés différentes implantées sur plusieurs continents, la probabilité des risques de malfaçon s’accroît. La mondialisation ajoute à la difficulté, pour les consommateurs, de tracer les produits et services. Pour autant, l’UFC ne tient pas à faire du « made in China » un bouc-émissaire. La moitié des produits dangereux rappelés en Europe sont fabriqués en Chine, mais c’est aussi en Chine qu’est fabriquée la majorité des produits manufacturés commercialisés en Europe. Il est de la responsabilité des marques de vérifier le respect de leur cahier des charges, et de celle des importateurs et distributeurs de vérifier que les produits  proposés à la vente ne font courir aucun risque. La traçabilité est le minimum que les consommateurs sont en droit d’attendre d’entreprises qui ont eu trop tendance à fermer les yeux sur les conditions de fabrication des sous-traitants. Pour elles, la traçabilité ne saurait être insurmontable si elles veulent maîtriser la chaîne de production, ne serait-ce que par souci de maîtrise des coûts et de contrôle de qualité.

La traçabilité serait-elle porteuse du principe de totale transparence, attribut d’une concurrence pure et parfaite ?

A. B. : La traçabilité est une condition nécessaire à la bonne information du consommateur, mais non suffisante, car il faut qu’elle soit garantie. Pour qu’il joue son rôle de régulateur du marché, le consommateur doit disposer de tous les éléments nécessaires à sa prise de décision d’achat. Les informations relatives à la fabrication du produit en font partie (ingrédients, matériaux, impact social et environnemental, origine géographique…). La traçabilité doit s’entendre au sens large de traçabilité de l’information relative à la fabrication d’un produit.

Dans l’optique de la concurrence, la fiabilité de cette traçabilité est une condition sine qua non, nécessaire tant au consommateur qu’à l’entreprise. Une entreprise qui fournit des renseignements de traçabilité erronés lèse le consommateur mais aussi instaure une concurrence déloyale avec celles qui jouent le jeu. Il est impératif de maintenir un fort contrôle de la DGCCRF et des douanes au-delà de la simple traçabilité documentaire. Les associations de consommateurs ont aussi leur rôle à jouer, et l’UFC-Que choisir réalise quotidiennement des analyses de qualité et de sécurité sur un grand nombre de produits. A la question de la nécessité de la traçabilité, l’UFC répond par l’affirmative, mais à la condition que cette traçabilité soit fiable, c’est-à-dire que les informations sur les produits soient vérifiées et authentifiées. En l’absence de contrôle fiable, la traçabilité devient synonyme d’allégation et s’apparente un outil de marketing. Oui à la « traçabilité garantie »,  la seule qui vaille. Le consommateur aspire à arbitrer ses achats selon les critères classiques (prix, qualité, spécificités techniques) mais aussi selon des critères de santé, de sécurité, d’impact environnemental et social. La « traçabilité garantie » répond à une aspiration de plus en plus importante.

Propos recueillis par J. W.-A.

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