Bulletins de l'Ilec

Editorial

Générations lettrée - Numéro 429

01/07/2012

« X », « Y » ou « Z », pour d’autres « C » plutôt qu’« Y », ou bientôt « e », telle a été ou serait la jeunesse ; oui, mais après Z ? s’est demandé notre Bulletin, inquiet que la prochaine génération ne soit promise à pis que l’analphabétisme, l’épuisement des lettres. Et, observant qu’autour de ces cryptogrammes élémentaires se déploient de savantes considérations sur les vagues de « migrants » ou de « natifs » du numérique, de s’interroger sur ce que veulent saisir ces typologies friandes de métaphores techniques.

Soit « Y » les 25-35 ans, la plupart entrés dans la vie active, et « Z » les 18-25, dont les plus nombreux ne travaillent pas encore. Pour Jean-Luc Excousseau, les natifs de 1990 (ou autour) se distinguent de ceux de 1980. Il n’y a hésitation que sur la couleur de la magie qui éloigne ces « sorciers » de « l’empirisme » de leurs devanciers. Génération « entrée dans la vie en pleine crise », les « Z » sont, pour cet auteur, « les mieux adaptés au monde d’aujourd’hui ».

A cette disposition, qu’Hervé Druais étend aux « Y », Joël-Yves Le Bigot ajoute un trait qui, pour le coup, n’a rien de générationnel : il tient à un moment de la vie, cet âge de 18-25 ans où « se manifeste le plus brutalement » la disparition, il y a déjà trente ans, de « la dynamique du progrès continu » qui garantissait aux jeunes de vivre mieux que leurs parents. En pratique, le « surchômage » se fait l’agent de cette brutalité en fracturant les jeunes classes d’âges, entre ceux qui s’en sortent et les autres. Autant dire que la théorie des digital natives est un « concept importé » aussi adapté à la société française qu’à nos estomacs le beurre de cacahuète.

Nathalie Damery, tout en refusant de se « focaliser trop sur la rupture », voit bien des traits générationnels distincts, associés au développement des NTIC, entre « Z » et « Y ». Hervé Druais, pour qui les « Z » ne font qu’accentuer les changements dont les « Y » ont été avant eux porteurs, se montre plus prudent.

Sur la culture de l’immédiateté, nos auteurs s’accordent : résultat des « nouveaux modes de communication qui amplifient le rapport à l’urgence », selon l’expression de Monique Dagnaud, elle instaure chez les jeunes une « nouvelle façon de construire [leur] identité ». Les natifs du numérique l’auraient tous éprouvée, les « Y » comme les « Z » – en quoi se remarque que le numérique n’est déjà plus si jeune.

Ce qui en revanche distingue les 18-25 ans aujourd’hui, selon Nathalie Damery, est une « nouvelle perception de la valeur des choses » qui fait une grande place à la gratuité et va affecter « la consommation et les modèles économiques ». Pour Hervé Druais, ces mêmes « Z » se signaleraient plutôt par leur forte inclination au « zapping ». Génération Z, génération instable ?

De façon récurrente ce type d’inquiétude se cristallise autour de l’entrée dans la vie active des jeunes. L’hypothèse que les traits juvéniles d’une génération perdureront à l’âge mûr n’est pas le moindre enjeu des discussions.

Que les jeunes préfèrent les modalités affinitaires de socialisation aux relations obligées ou purement fonctionnelles témoigne surtout qu’ils entrent plus tard que les générations précédentes dans le monde du travail, dont ces relations sont le propre. Cela n’exclut pas que, par vagues successives, ils y importent les autres. D’autant qu’ils y introduisent déjà le conflit de générations qu’ils n’ont pas vécu en famille, où « l’écoute » et le « soutien » mutuels, note Monique Dagnaud, l’auront désamorcé. A l’entreprise est échu d’assumer le rite de passage.

Il serait plus hasardeux de se demander si chez les futurs décideurs le court-termisme sera le myope horizon des enfants de l’immédiateté, qu’on pourrait appeler aussi bien enfants du développement durable. Assurément, ils n’en sont pas les inventeurs, mais sans la mixité des générations, le monde du travail, prévoit Hervé Druais, risquera d’avoir à choisir entre la célérité et l’excellence.

Il est en revanche probable que la « culture de l’affectif » que portent les « enfants du désir », dont parle Monique Dagnaud, soit promise à ne pas se dissiper au fil du temps que leur durcira l’écorce. Mais l’effet générationnel, là, est estompé : pour leurs aînés aussi, le domaine de « l’expression obligatoire des émotions » (Marcel Mauss) a annexé un vaste champ du social qui inclut le travail. Et, comme l’a ailleurs observé Alain Ehrenberg, dans l’affect « les différends doivent s’exprimer (…) car ce langage fait désormais autorité »1. En outre, cette « culture de l’affectif » correspond à ce que Joël-Yves Le Bigot appelle une « féminisation des valeurs » en quoi il est difficile de voir autre chose qu’une tendance de long terme2.

Une certaine pérennité alors. Après les « Z », les « Z’ » ? Il vaut mieux en être à « Z » qu’à « D ».

1. Alain Ehrenberg, « Société du malaise ou malaise dans la société », www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20100330_ehrenberg.pdf.
2.Il est notable qu’aucune des typologies générationnelles portant sur les jeunes ne s’intéresse aux différences éventuelles de comportement et d’aspirations entre filles et garçons, comme s’il allait de soi que la question était caduque.

François Ehrard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.