Bulletins de l'Ilec

Un moyen de lever les yeux du guidon - Numéro 403

30/09/2009

L’originalité de l’Ilec est d’avoir agi, au-delà du courant d’affaires à court terme, non comme un syndicat professionnel, mais comme un lieu de réflexions et de propositions sur l’économie de marché. Dans son secteur, il en a depuis cinquante ans accompagné et souvent anticipé toutes les mutations. Entretien avec Georges Robin, président de l’Ilec de 1993 à 2000

En 1959, l’Ilec est porté sur les fonts baptismaux. Quels sont à l’époque le contexte commercial et les enjeux pour les industriels ?

Georges Robin : Il faut rendre hommage à Jean-Pierre Pernes, à l’époque président de la société Astra Calvé (margarine, huile et potage), au sein de laquelle j’assumais les fonctions de directeur des ventes. C’est à lui et à son esprit visionnaire que l’on doit la création de l’Ilec. Il sentait que la vie économique en général et le système commercial en particulier allaient changer, et qu’il fallait se préparer aux futures mutations. Les fabricants de produits de grande consommation, dont ceux qui ont créé l’Ilec, ont dû s’adapter à l’évolution du commerce, qui allait passer très vite de la petite épicerie à la grande surface et à son « îlot de perte dans un océan de profit ». Car il faut bien se rappeler qu’à cette époque un jeune directeur des ventes avait en face de lui près de 175 000 épiceries de détail, 45 000 boulangers-pâtissiers et une force de vente qui faisait à la fois la vente, la livraison et l’encaissement, avec mille quatre cents voitures et cent vingt dépôts. Nous livrions toutes les épiceries de détail et les succursalistes. La marge de gros était de 12 % et la marge de détail de 20 %. Leclerc voulait s’approprier les 12 % et ne conserver que 10 % au stade du détail, le reste allant en réduction de prix pour les consommateurs.

Comment la transformation s’est-elle faite ?

G. R. : Nous sommes partis de l’existant : une myriade de petits grossistes spécialisés dans le frais, les fameux « BOF » (beurre, œufs, fromages). Avec l’appui de l’Ilec, nous avons suscité la création d’une sorte de fédération de professionnels, appelée France Service Frais. Elle a complètement changé le paysage, avec l’aide directe de certains producteurs. Elle a permis l’apparition de grossistes régionaux ou même nationaux, auxquels nous avons pu transférer notre distribution. Avec des structures ainsi allégées, les groupes de produits de grande consommation se sont considérablement développés dans leur cœur de métier, parallèlement à la croissance du grand commerce moderne. N’oublions pas que cette évolution s’est déroulée malgré un lourd système de contrôle des prix, de nature anticoncurrentielle, placée sous la houlette de la direction des prix du Quai Branly. Il nous faudra attendre 1986 et l’ordonnance Balladur sur la liberté des prix pour, enfin, nous affranchir de ce carcan.

Quelle fut et demeure la spécificité de l’Ilec ?

G. R. : L’Ilec ne s’est jamais positionné comme un syndicat professionnel mais comme un lieu de réflexions, d’échanges et de propositions, sur l’économie de marché, son fonctionnement et son évolution. Notre institut n’a pas participé, de près ou de loin, à la mise en œuvre du contrôle des prix. Il a toujours eu la libre concurrence comme doctrine. Dans cet esprit, il a rassemblé des chefs d’entreprise d’horizons divers, ce qui a permis de poser les bons problèmes, d’appréhender les enjeux et de dégager les solutions.

Quels ont été ces enjeux durant votre présidence ?

G. R. : Durant le temps de ma présidence de l’Ilec, de 1993 à 2000, mais aussi pendant celui où j’ai siégé au Conseil de la concurrence, jusqu’en 2005, l’Ilec et les industriels furent confrontés au problème de la revente à perte de produits de marque. Nos meilleures références étaient les otages de la lutte sans merci que se livraient les grandes enseignes. Il fallut donc inventer des textes qui interdiraient la revente à perte. Pour autant, nous ne renoncions pas à notre foi dans la concurrence. Nous entendions seulement que celle-ci fût loyale. C’est ainsi qu’intervint la loi Galland.

La revente à perte a ainsi été éradiquée. De graves dysfonctionnements du marché continuèrent néanmoins à se manifester. C’est pourquoi l’Ilec participa activement à la préparation du texte qui allait être voté sous le nom de loi NRE. De nouveaux progrès furent alors accomplis, en vue de rendre le marché plus équilibré, loyal, et donc performant.J’ai aussi, durant ma présidence, contribué à la création du Conseil national de l’emballage, seule entité qui fédère tous les acteurs de la filière, les associations de consommateurs et celles qui ont en vue la protection de l’environnement. Mon combat fut la réduction à la source des emballages, avec non seulement des méthodes mais des résultats concrets. L’idée était de promouvoir non pas le systématique « moins d’emballages », mais le plus subtil « mieux d’emballage ».

Une autre création de l’Ilec sous ma présidence a été ECRF (European Consumer Response France). Cette organisation rassemble les fabricants et les distributeurs afin de créer le système physique de distribution le plus performant au service des consommateurs. Une fois la phase de concrétisation atteinte, l’Ilec a donné à l’ECR son indépendance

Comment voyez-vous l’Ilec demain ?

G. R. : Les entreprises ne doivent pas penser à court terme. Aussi ont-elles besoin de l’Ilec comme centre de réflexion, force de conception et de proposition sur les grands sujets de demain, l’avenir de nos systèmes de production et leur pertinence face au développement durable. Seules, par nécessité centrées sur elles-mêmes, les entreprises ont peu de légitimité pour être une force de proposition sur les enjeux de demain. Regroupées au sein de l’Ilec, elles sont davantage écoutées. Il ne faut pas perdre le sens de l’intérêt général, même si la crise conduit chaque acteur à se replier sur lui-même.

Vingt présidences, quinze présidents

  • 1960-61                         Bertrand de CASANOVE                       SainT-RAPHAEL
  • 1962-63                         Philippe DELOFFRE                               BEL
  • 1964                              Jean-Pierre PERNES                             ASTRA
  • 1965                              Robert LOSSEL                                    SOPAD
  • 1966                              Paul APPEL                                          CIBA GEIGY
  • 1967                              Rodolphe JOEL                                    C.D.C.
  • 1968-69                         Paul APPEL                                          CIBA GEIGY
  • 1970-71                         Bernard TREIZENEM                            GERVAIS-DANONE
  • 1972-73                         Bernard de LAUSIN                              GRINGOIRE BROSSARD
  • 1974                              Rodolphe JOEL                                    C.D.C.
  • 1975                              Philippe DELOFFRE                               BEL
  • 1976                              Paul APPEL                                          CIBA GEIGY
  • 1977-78                         Serge BENARD                                    POULAIN
  • 1979                              Pierre JECKER                                     L’OREAL
  • 1980-84                         Marc BASSET-CHERCOT                       L’OREAL
  • 1984-85                         Bernard CAMBOURNAC                        PERNOD
  • 1985-1992                      Philippe DELOFFRE                               BEL
  • 1993-2000                      Georges ROBIN                                   UNILEVER
  • 2000-2005                      Louis-Claude SALOMON                        PROCTER & GAMBLE
  • 2006-2009                              Olivier DESFORGES                             UNILEVER

Propos recueillis par J. W.-A.

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