Bulletins de l'Ilec

L’industrie des produits de grande consommation : la belle inconnue - Numéro 322

01/03/2001

Entretien avec Simon Parienté, Professeur à l’Université de Toulouse I.

Le « cadrage économique des industries de biens de consommation » est annoncé comme étant un « rapport d’étape ». Quel est l’objectif de cette étude préliminaire ?

Simon Parienté : Ce premier volet de l​‌’étude révèle les tendances lourdes de telles industries. On trouve des points de repère sur la contribution productive des fabricants de biens de consommation courante, leur politique en matière d​‌’emploi et d​‌’investissement, des indices de concentration et, enfin, des éléments sur la potentialité des marchés rattachés aux catégories de produits. Outre cette première partie macroéconomique, l​‌’étude finale livrera des informations sur les déterminants de la création de valeur par segment d​‌’activité ainsi que des mesures de perception boursière concernant les sociétés cotées. L’ensemble de l’étude sera disponible en juin prochain.

Combien de sociétés avez-vous retenues et sur quelle méthode vous-êtes vous fondé ?

Simon Parienté : Les tendances lourdes ont été largement extraites des Comptes de la nation, de 1978 à 1998. Outre ces données INSEE, j’ai constitué un échantillon homogène et consolidé de 4 369 sociétés à partir de la base de données Dun et Bradstreet (CD-Risk). Une autre source d​‌’information a été utilisée pour vérifier les résultats acquis. Il s’agit de la base de données du Secrétariat d’Etat à l’industrie issue de l’enquête annuelle du service des études et des statistiques industrielles (SESSI). Ces échantillons spécifiques, formés de données examinées sur trois ans (1996-1998), reconstituent entre 40 et 60 % de la production totale des deux branches INSEE portant sur les industries alimentaires et de biens de consommation. Isabelle Ducassy, Ater à Toulouse I, a collaboré à ce gros travail de collecte de l​‌’information.

Comment se décompose l’échantillon ?

Simon Parienté : L’échantillon a été scindé en deux catégories : les industries alimentaires (IAA) et les industries de biens de consommation courante non alimentaire (IBC). Dans la première catégorie, figurent les industries de corps gras, les produits laitiers et le travail des grains, le secteur des boissons et les autres industries alimentaires, soit un total de 1 616 sociétés. La deuxième catégorie – 2 753 entreprises –, comprend l’équipement du foyer, l’habillement, le secteur des accessoires et, enfin, les activités parfums et produits d’entretien. Une telle segmentation a été effectuée par référence à la nomenclature des activités françaises (NAF).

La durée de trois ans est-elle suffisamment longue pour être pertinente ?

Simon Parienté : Comme cela a été dit, l​‌’extraction des tendances lourdes s​‌’est faite sur une période beaucoup plus longue (1978-1998). Les résultats obtenus sur la fenêtre récente, de 1996-1998, sont destinés à compléter le dossier spécialement en matière d​‌’investissement et de concentration. Il est difficile en pratique de former un échantillon comptable sans biais, comportant le même nombre d’entreprises sur une très longue période. Obtenir sur trois années autant d​‌’entreprises identiques, avec des exercices de douze mois et des informations comptables comparables, n​‌’est déjà pas une mince affaire. C​‌’est sur cette période de 3 ans que je me suis fondé pour étudier la performance des acteurs.

Quels sont les faits saillants qui se dégagent de ce rapport d’étape ?

Simon Parienté : On peut en dégager quatre. Le premier porte sur la contribution des secteurs IAA et IBC à l’ensemble de la production industrielle. Sur le long terme et en valeur nominale, elle demeure identique. Même constat pour la croissance de la production qui, en prix courants, a été multipliée par environ trois pour IAA, IBC et l’ensemble de l’indusrie. Ce constat de première lecture est toutefois à nuancer. En prix constant, et compte tenu de la hausse très modérée des prix dans IAA, la croissance réelle du secteur agro-alimentaire a été plus forte que celle de IBC du moins jusqu’au début des années 1990. Durant cette période, le bloc IAA est également dominant en termes de contribution nationale. A partir de 1996, la tendance s’inverse : le territoire IBC, connaît une croissance réelle plus forte qui peut s’expliquer par des déplacements de consommation vers les biens d’équipement du foyer et une restructuration à l​‌’intérieur de l​‌’ensemble IAA. La montée en puissance de la grande distribution n​‌’est probablement pas étrangère au constat effectué pour l​‌’agro-alimentaire, jusqu​‌’au milieu des années 1990.

Les graphiques 1 et 2 témoignent de cette évolution qui vient d​‌’être décrite.

Graphique 1 Croissance réelle comparée de la production sur longue période ; 1978 = 100

Graphique 2 Croissance réelle comparée de la production sur courte période ; 1992 = 100

Le déclin des emplois dans l’industrie, en général, a-t-il également affecté IAA et IBC ?

Simon Parienté : c’est le deuxième fait saillant de ce rapport qui constate une diminution des emplois, en équivalent temps plein, dans IBC tout comme dans l’industrie en général. Le déclin est moins significatif dans l​‌’industrie agro-alimentaire (graphique 3) qui a maintenu l​‌’emploi en le salariant davantage (graphique 4) ce qui, semble-t-il, a pénalisé la productivité horaire du travail dans ce secteur. Cette option stratégique se retrouve dans l​‌’analyse des variations comparées de la valeur ajoutée (VA) et du chiffre d​‌’affaires (CA). En effet, le rapprochement de séries temporelles calculées sur des variations de VA, rapportées aux déformations corrélatives de CA, montre une évolution plus favorable, sur cette catégorie de revenu intermédiaire, pour les industries agro-alimentaires (graphique 5). La domination porte sur l​‌’industrie manufacturière en général, IBC compris. Autrement dit, les industriels de l​‌’agro-alimentaire ont probablement cherché à compenser le tassement de la croissance de leur production, au début des années 1990 spécialement, par la fabrication de produits à plus forte valeur ajoutée. Cela dit, cette tendance n​‌’a pas changé le poids relatif des frais de personnel, en pourcentage du chiffre d​‌’affaires ou de la valeur ajoutée. Celui des industriels agro-alimentaires reste encore très en retrait de celui des fabricants de bien de consommation courante non alimentaire, dénotant ainsi une production à dominante plus capitalistique pour les premiers.

Graphique 3 Croissance du nombre total d​‌’emplois en équivalent plein temps selon les Comptes de la nation ; 1978 = 100 * * BRC = total des branches selon les Comptes de la nation ; IND = toute l​‌’industrie selon INSEE.

Graphique 4 Emploi salarié sur emploi total d​‌’après les Comptes de la nation ; équivalent plein temps * * BRC = total des branches ; IND = toute l​‌’industrie selon l’INSEE.

Graphique 5 Croissances annuelles comparées de la valeur ajoutée et de la production selon les Comptes de la nation ; 1978 = 100 pour chaque série *

* Rapport entre les séries de la valeur ajoutée et de la production.

Quelle importance les IAA et les IBC accordent-elles aux investissements ?

Simon Parienté : Si l​‌’on considère les seuls investissements corporels, les industries de biens de consommation courante, non alimentaires surtout, font moins bien que le secteur industriel tout entier. En revanche, si l​‌’on ajoute aux acquisitions corporelles les dépenses immatérielles, les taux d​‌’investissement deviennent favorables aux industriels de l​‌’Ilec. C​‌’est très significatif pour les fabricants de produits alimentaires dont les investissements immatériels, très importants, sont quasi exclusivement représentés par de la publicité. Les dépenses immatérielles sont mieux réparties, entre publicité et R&D, dans le secteur IBC (voir graphiques 6 et 7).

Graphique 6 Investissements matériels et publicité en pourcentage de la valeur ajoutée pour IAA et IBC ; base SESSI (chiffres de 1998) * *MAT = investissements matériels ; PUB = dépenses de publicité.

Graphique 7 Taux d​‌’investissement, avec et sans immatériel, pour IAA , IBC et INDustrie (sauf énergie) ; 1996 *

* MATIMAT = investissements matériels et immatériels ; MAT = investissements matériels.

Comment les IAA peuvent-elles fabriquer des produits à plus forte valeur ajoutée quand leur budget de recherche-développement est si faible ?

Simon Parienté : Les entreprises peuvent aussi valoriser leur offre par la qualité, la notoriété ou l​‌’image du produit et, par la contraction des consommations intermédiaires, en agissant sur la chaîne de valeur. Plus généralement, le secteur savons, parfums et produits d​‌’entretien est le plus mature de notre échantillon. C​‌’est celui qui semble le mieux valoriser son offre de produits, probablement grâce à beaucoup de R&D. A l​‌’opposé, le sous-ensemble constitué des équipements du foyer semble, pour l​‌’instant, davantage préoccupé par la conquête de nouveaux territoires (marchés potentiels importants) que par le résultat. Ce secteur affiche, à la fois, la plus grande contribution au chiffre d​‌’affaires et la plus petite contribution au résultat du portefeuille d​‌’activités IBC. La France s’honore d’être au premier rang mondial en termes d’exportation par habitant.

Quelle est la contribution des IAA et des IBC à la balance commerciale ?

Simon Parienté : L’étude constate une croissance des exportations dans le domaine agro-alimentaire mais elle demeure moins forte que pour l’industrie en général. La contribution de IAA, au secteur industriel tout entier, a donc diminué, signifiant ainsi une baisse des relais de croissance. Pour sa part, le bloc IBC a maintenu sa contribution au chiffre d’affaires exporté par tout le secteur industriel (graphique 8).

Graphique 8 Parts respectives de IAA et IBC dans la production totale exportée par tout le secteur industriel ; Comptes de la nation 1992-1998.

Quel est leur degré de concentration ?

Simon Parienté : le tissu industriel de IBC est plus contracté que celui de IAA et cette concentration dans IBC est allée en s​‌’affermissant. Selon notre propre échantillon (base SP-DB), le premier centile de sociétés appartenant à IBC représente, à lui seul, près de 50 % du chiffre d​‌’affaires total de l​‌’ensemble, contre un peu plus de 34 % pour IAA (chiffres 1998). Une comparaison avec tout le secteur industriel manufacturier paraît donner des niveaux de concentration comparables. Hors secteur automobile, très important et oligopolistique, les échantillons IAA et IBC deviennent franchement plus concentrés que les autres branches industrielles (biens d​‌’équipement et biens intermédiaires).

Jean Watin-Augouard

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