Bulletins de l'Ilec

Casino : la concertation, point de passage obligé - Numéro 336

01/06/2002

Entretien avec Christian Couvreux, président du directoire de Casino.

Quelles réactions vous inspire la campagne des Centres Leclerc lancée le 19 mai contre la loi Galland, qui serait, selon Michel-Édouard Leclerc, à l’origine de la hausse des prix ? Christian Couvreux : Ce n’est pas à grands coups de pages publicitaires que le débat progresse. C’est surtout une opération de communication de marque sous un prétexte « pseudo-citoyen ». Le niveau du débat n’est pas celui-là. Nous menons avec les industriels un travail de fond en commun, auquel ne participe d’ailleurs pas Leclerc, pour améliorer la mise en œuvre de la loi Galland. L’idée est de mettre en place un système de bonnes pratiques pour trouver de nouveaux équilibres et, surtout, éviter un travers bien français qui consiste à faire une nouvelle loi tous les trois ans. Les prix des grandes marques ont-ils augmenté ? D’où provient la dérive des prix ? De la hausse des coûts de production ou de la dérive des budgets de coopération commerciale ? C. C. : Il est surprenant d’entendre parler de dérive des prix. Lorsqu’on met en perspective l’inflation des produits alimentaires sur plusieurs années, on n’observe pas vraiment de dérive, mais plutôt une stabilité des prix. Les écarts les plus sensibles sont dus aux variations de prix des produits frais, comme les fruits et les légumes. En revanche, force est de constater que nos prix d’achat ont évolué de façon plus sensible, particulièrement en ce qui concerne les grandes marques, là où ils ne sont plus véritablement négociables. Nous avons jusqu’à maintenant réussi à ce que les répercussions au niveau des prix de vente consommateur soient les plus faibles possibles. Lorsqu’on se livre à une sérieuse analyse de la valeur, ce que nous faisons au quotidien avec les produits Casino, on mesure sans difficulté l’influence des différents facteurs de hausse, et il est plus facile alors d’arbitrer. Cela dit, le rôle des grandes marques est fondamental, car elles génèrent une forte dynamique commerciale, grâce notamment à leurs investissements marketing et au développement des chiffres d’affaires qu’ils entraînent. Il est important que les industriels prennent pour objectif de pratiquer des évolutions de tarifs modérées. La loi Galland cautionne-t-elle des marges élevées. Est-elle à l’origine de l’augmentation des marges arrière ? Doit-on les réintégrer dans le calcul du prix de vente ? C. C. : Les équilibres fondamentaux n’ont pas changé, et nos préoccupations sont toujours les mêmes : nous devons toujours couvrir nos coûts d’exploitation et améliorer la productivité de notre outil qu’est le linéaire, dans un contexte concurrentiel très tendu. Nos clients continuent de placer le prix comme un des premiers critères de choix de leur magasin. Aucun système n’est parfait, et les environnements évoluent, mais la loi Galland permet sans doute un meilleur pilotage des prix et de la marge, autant par le distributeur que par l’industriel fournisseur, et a eu pour effet une stabilisation des prix. L’enjeu de la collaboration entre fabricants et commerçants, c’est bien de créer une dynamique de valeur par une croissance rentable et donc de satisfaire au mieux nos clients en magasin. Nous partageons souvent les mêmes objectifs, de gain de parts de marché et d’amélioration de la rentabilité, même si nous ne plaçons pas tous les curseurs au même endroit. Ce qu’il faut, c’est préserver un espace de négociation, notamment dans le partage de la valeur ajoutée, et faire jouer la concurrence. Il est souvent dit qu’à cause de la loi Galland, les PME seraient pénalisées, car elles ne pourront pas suivre la surenchère dans laquelle sont engagés les grands … C. C. : La loi crée un cadre d’exercice de la concurrence, qui peut être, à certains moments, plus favorable aux uns qu’aux autres. Mais cette concurrence reste horizontale entre acteurs du même métier, et non verticale. Les PME se voient effectivement imposer par leurs grands compétiteurs un rythme concurrentiel qui prendrait d’autres formes dans un autre contexte réglementaire. Notre rôle est de préserver et développer la richesse qu’elles apportent, en tenant compte de leur relative fragilité. Il existe en France un formidable gisement d’entreprises capables de nous apporter des produits performants, innovants et compétitifs, au plan local, régional ou même national, dès lors qu’on leur donne les moyens d’innover et de se développer. Nos partenariats, comme le « contrat de croissance » mis en place par Opéra, par exemple, sont construits sur la durée pour leur donner de la visibilité et des réelles perspectives de croissance. Modifier le cadre réglementaire de façon brusque déstabiliserait ces perspectives et aurait un effet destructeur sur ces entreprises. Historiquement, leur capacité d’adaptation aux changements législatifs a toujours été plus faible que celle des très grands groupes. Peut-on déconnecter la baisse des prix des seuls gains de productivité ? À trop vouloir défendre le « pouvoir d’achat », campé sur l’obsession du « prix bas » , on oublie le « devoir d’achat » : « les prix bas tuent l’emploi ». Selon une enquête du Crédoc (avril 2002) les consommateurs acceptent, aujourd’hui, de payer plus cher des produits de qualité… C. C. : Cette attitude nouvelle des consommateurs est très rassurante. Cela donne du sens au travail que nous faisons sur les produits frais ou avec les produits Casino, par exemple, et aux investissements réalisés dans nos équipes qualité. Notre métier de base est d’offrir à nos clients un choix large et compétitif à tous les niveaux de prix, et nous nous appuyons pour cela sur un réseau diversifié de formats de magasins dans lesquels nous investissons en permanence. L’évolution de nos performances très supérieure aux indices du secteur nous conforte dans le bien-fondé des politiques mises en œuvre ces dernières années. Mais le Crédoc rappelle dans la même étude que, pour les deux tiers des Français, consommer est avant tout une nécessité. Cet attachement des consommateurs aux prix bas est encore plus flagrant si on regarde les performances actuelles du hard-discount. C’est aujourd’hui le format qui progresse le plus vite, prenant des parts de marché à tous les autres. Pour autant, cela ne signifie pas mauvaise qualité : au contraire, le concept des magasins Leader Price, fondé sur une marque discount unique et qualitative, le prouve, avec une croissance à deux chiffres à magasins comparables ! Doit-on supprimer la loi Galland et le volet commercial de la loi NRE ? Les pouvoirs publics doivent-ils, de nouveau, intervenir par une loi, ou doit-on laisser les professionnels régler la question ? C. C. : La réaction la plus dangereuse serait de modifier brutalement les équilibres en cours, surtout par la loi. Si les choses doivent évoluer, c’est de façon progressive et par un travail conjoint et concerté entre les acteurs économiques. Une nouvelle strate réglementaire ne changera pas fondamentalement les choses si son seul rôle consiste à encadrer davantage. Les discussions que nous avons en ce moment avec les uns et les autres montrent bien qu’il y a une véritable volonté d’avancer de manière concertée, en préservant les équilibres économiques. Il faut voir le système de façon globale et sortir de l’anecdote. Il y aura toujours un mauvais exemple quelque part, mais je crois que nos métiers ont évolué dans le bon sens. Les acheteurs sont aujourd’hui bien plus que de simples négociateurs, de même que leurs interlocuteurs commerciaux industriels. Si la Commission d’examen des pratiques commerciales est une chambre d’instruction à charge pour la distribution, nous n’arriverons à rien de bon. En revanche, si elle devient un espace de dialogue ouvert qui a pour ambition le progrès économique des entreprises, grandes et petites, et la diffusion des bonnes pratiques, alors je suis convaincu qu’elle jouera un rôle efficace.

Jean Watin-Augouard

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