Bulletins de l'Ilec

Loi NRE et marge arrière - Numéro 336

01/06/2002

Apports et possibles effets pervers de la loi du 15 mai 2001.

LES MARGES ARRIERE : DE LA LOI GALLAND A LA LOI NRE Contrairement à ce que d’aucuns laissent entendre (1), la loi Galland du 1er juillet 1996 n’a pas créé les marges arrière, tout au plus a-t-elle contribué à leur développement (2). Sous le terme de marge arrière se cachent les services de coopération commerciale, c’est-à-dire les sommes versées par les fournisseurs en contrepartie des services que leur rendent les distributeurs, afin de promouvoir leurs produits. L’administration avait reconnu leur existence dès 1978, avec la « circulaire Scrivener » (3). Elle avait précisé leur contenu dans la « circulaire Delors » (4). Selon ces textes, le rôle directeur conféré aux conditions générales de vente du fournisseur n’empêche pas les distributeurs de proposer des services particuliers, ni aux deux parties de collaborer, dans le cadre de leurs politiques respectives, afin d’augmenter, à moindre coût, leur efficacité commerciale. à l’époque de l’adoption de ces textes, le taux de coopération commerciale dépassait rarement 2 % du chiffre d’affaires réalisé auprès d’un distributeur. La libéralisation des prix engagée par l’ordonnance du 1er décembre 1986 n’a pas accentué le phénomène de la coopération, mais, à cause d’une facturation devenue opaque, elle a permis à nombre de distributeurs d’intégrer les services qu’ils rendaient à leurs fournisseurs dans les factures de ces derniers, abaissant ainsi le seuil de revente à perte. C’est en voulant mettre un terme à cette facturologie (5) que la loi Galland, en instaurant la transparence des factures lors de la vente de marchandises, a transféré la négociation entre industriels et commerciaux de l’avant (la facture) vers l’arrière (la coopération commerciale). Au fil du temps, les budgets de la coopération commerciale ont explosé, atteignant en moyenne 35 % du chiffre d’affaires, avec des pics voisins de 50 %  ! (6) Dans leur rapport présenté à l’occasion des Assises de la distribution (7), les députés Jean-Paul Charié et Jean-Yves Le Déaut ont estimé que cette situation résulte en premier lieu de « l’inapplication des deux circulaires Scrivener et Delors ». Il s’est agi d’une dérive tacitement acceptée par les services du ministère de l’économie. Elle a porté aussi bien sur le contenu (ou absence de contenu) de la coopération commerciale que sur le montant de la rémunération des services achetés. La mission d’information sur l’évolution du commerce a identifié plusieurs anomalies touchant la coopération commerciale : des sommes importantes accordées à des distributeurs alors qu’aucun service véritable n’est rendu, des prestations fournies ne correspondant pas à celles convenues, ou n’ayant aucune traduction commerciale ou financière positive pour le fournisseur, un même service facturé plusieurs fois. La loi du 15 mai 2001 a eu pour objectif, entre autres, de lutter contre cette fausse coopération commerciale. LA LUTTE CONTRE LA COOPERATION COMMERCIALE ABUSIVE DANS LES NRE - Les comportements considérés comme fautifs Deux dispositions insérées dans le Code de commerce par la loi NRE visent les abus dans la coopération commerciale. En premier lieu, l’article L. 442-6, I, 2°, a dispose que la responsabilité du commerçant est engagée lorsque celui-ci obtient ou tente d’obtenir d’un partenaire commercial « un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial rendu ou manifestement disproportionné en regard de la valeur du service rendu ». Aux termes de l’exposé des motifs de la loi, cela signifie que toute coopération commerciale ou toute forme de marge arrière sans contrepartie, ou d’un montant manifestement disproportionné, constitue un avantage discriminatoire. En deuxième lieu, l’article L. 442-6, II, déclare nuls les clauses ou contrats qui prévoient des remises ou des accords de coopération commerciale rétroactifs, et ceux qui instituent un droit d’accès préalable au référencement. En pratique, si la nullité d’une clause n’entraîne pas celle du contrat, l’acheteur doit restituer les sommes perçues en application de celle-ci, après compensation avec la valeur des contreparties qu’il a accordées (8). - Les moyens de lutte L’article L. 442-6, III du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi NRE, autorise le ministre de l’économie ou le ministère public à faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, à demander la répétition de l’indu, la réparation du préjudice subi et le prononcé d’une amende civile pouvant atteindre 2 millions d’euros. L’administration peut donc désormais agir à la place de la victime, ce que la jurisprudence lui interdisait auparavant (9). Dès lors que les parties lésées n’agiront pas à l’encontre de leur co-contractant, par peur de représailles, l’efficacité des règles issues de la loi NRE sera subordonnée à la volonté d’agir du gouvernement. La mise en place de la Commission d’examen des pratiques commerciales (10) a été l’occasion, pour le ministre de l’économie, d’affirmer qu’il souhaitait partir « en guerre contre les fausses coopérations commerciales ». Il a présenté, le 4 avril, le contenu du programme de travail prioritaire de l’instance paritaire : elle recherchera des solutions visant à rendre à la coopération commerciale sa valeur réelle et à rétablir les capacités de développement des entreprises ; elle définira, pour les négociations 2003, « un nouveau cadrage permettant d’inverser les pratiques commerciales actuelles qui ont des répercussions sur les prix » ; elle étudiera les conditions générales d’achat, qui contiennent souvent des clauses facteurs de déséquilibre dans la relation producteur-distributeur. Sera-t-elle efficace là où la législation ne l’a pas été ? Seul le temps le dira. Le caractère anonyme des plaintes qui lui seront soumises incitera peut-être les victimes de pratiques abusives à les dénoncer. DES QUESTIONS QUI RESTENT EN SUSPENS - Les difficultés d’interprétation des nouvelles dispositions Plusieurs facteurs permettront aux juges de qualifier d’abusive ou non une pratique. En premier lieu, la responsabilité d’un distributeur sera engagée lorsque la rémunération qu’il aura obtenue sera manifestement disproportionnée. La disproportion s’appréciera-t-elle par rapport au service rendu lui-même (son rapport qualité/prix), ou en fonction des prix pratiqués par la concurrence ? Comment la valeur du service sera-t-elle appréciée ? S’agit-il du prix de revient dudit service, ou de ce qu’il représente pour l’industriel ? Quant à la nullité des accords de coopération commerciale rétroactifs, elle nourrit également des interrogations. La question des avantages rétroactifs réapparaît chaque fois qu’il y a signature tardive d’accords, portant sur l’année écoulée. Une lecture stricte de la loi NRE laisserait penser que de telles conventions sont désormais nulles. Les parties pourront cependant contourner cette difficulté en prorogeant avant le début de chaque année les accords de coopération commerciale conclus pour l’année précédente ou en signant des accords provisoires, en attendant l’aboutissement des pourparlers (11). - Vers de nouvelles demandes de la part des distributeurs ? Les contraintes nées de l’application des dispositions NRE seront l’occasion de nouvelles demandes de la part des distributeurs, pour « compenser » l’interdiction des rémunérations rétroactives, le doublement de la durée du préavis de rupture des relations commerciales avec les fabricants de MDD, l’obligation de fournir une lettre de change en cas de délai de paiement supérieur au droit commun (art. L. 441-7 du Code de commerce)... D’autres obligations nées de la loi NRE risquent de donner lieu à rémunération. Ainsi, l’article L. 112-6 du Code de la consommation dispose désormais que l’étiquetage d’un produit vendu sous marque de distributeur doit mentionner le nom et l’adresse du fabricant si celui-ci en fait la demande. Nul doute que d’aucuns profiteront de cette faculté pour vendre un espace publicitaire supplémentaire. Un autre effet pervers pourrait se faire jour : la mise en place de contrats de coopération commerciale à durée déterminée, qui serait préjudiciable à nombre de petites entreprises. Le discours sur la nécessité de la coopération commerciale élude une question importante : son prix. Pourquoi la marge arrière est-elle si élevée dans notre pays ? L’éventuelle possibilité de la remontée de la marge arrière sur facture, comme le réclame un grand distributeur, ne changera rien à la situation. Tant que les taux de coopération commerciale ne diminueront pas, les fournisseurs seront obligés de les compenser par des augmentations tarifaires. La loi, à moins de revenir à une économie administrée, ne peut pas s’immiscer dans la relation commerciale. C’est donc aux partenaires économiques qu’il revient, peut-être par l’intermédiaire de la Commission d’examen des pratiques commerciales, de régler le problème de la dérive des marges arrière. (1) Cf. « La loi NRE n’a pas répondu aux attentes », LSA, 13 juin 2002, p. 52. (2) Ce que confirme M.-E. Leclerc dans son plaidoyer contre la loi Galland paru dans les Échos du 29 mai 2002, p. 53. (3) Circulaire du 10 janvier 1978 relative aux relations commerciales entre entreprises, Code Lamy droit économique 2002. (4) Circulaire du 22 mai 1984 relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre entreprises, Code Lamy droit économique 2002. (5) C’est-à-dire à l’incertitude existant entre ce qui relevait de la coopération commerciale, et devait faire l’objet d’une facturation séparée (empêchant d’abaisser le seuil de revente à perte), et ce qui relevait des services inhérents ou annexes à la vente ou à l’achat qui pouvait figurer sur la facture (donc venir en déduction du prix de cession pour le calcul du seuil de revente à perte). (6) LSA 6 juin 2002, p.30 (7) AN, Rapport sur l’évolution de la distribution, Commission de la production et des échanges, 11 janvier 2000. (8) Louis et Joseph Vogel, la Loi NRE, éd. LawLex, 2002, p. 30. (9) CA Paris, 9 juin 1998, ITM c/ ministre de l’économie, confirmé p)ar Cass. Com., 5 décembre 2000. (10) Décret n°2001-1370 du 31 décembre 2001 et arrêté du 26 mars 2002. (11) Louis et Joseph Vogel, op. cit.

Par le cabinet Vogel & Vogel, avec la collaboration d’Anne de Beaumont

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