Bulletins de l'Ilec

Transporter autrement et mieux - Numéro 341

01/02/2003

Entretien avec Gérard Serre, directeur logistique de Yoplait et président du comité logistique de l’Ilec.

Comment évolue la fonction transports dans le processus de fabrication ? Gérard Serre : Les industriels vont devoir en tenir compte de plus en plus. Historiquement, les prix du transport ont eu tendance à diminuer dans les coûts de fabrication des produits. Les entreprises ont mis en place des stratégies adaptées, fondées sur le principe de « l’usine européenne », dotée d’entrepôts nationaux. Aujourd’hui, ce modèle risque d’évoluer. Nous devons avertir les directions générales de la place croissante, en termes de coûts, de la variable transport et de son incidence dans la détermination du prix de vente. Dans un contexte marqué par une congestion des infrastructures de déplacement, les transports deviennent des ressources limitées et donc, demain, plus chères. Il n’est pas utopique de penser que le prix du transport va doubler, entraînant une rupture des équilibres économiques et moins de gaspillage. Comment partager les coûts ? G. S. : Aujourd’hui, c’est largement le contribuable qui finance les infrastructures routières, quand l’utilisateur demeure peu sollicité. Demain, le balancier risque de s’inverser en direction de l’usager ou de la communauté. Si les camions payaient l’usure des routes, le prix des péages serait multiplié par dix ! Comment concilier image de marque, mobilité des personnes, disponibilité des produits et refus des nuisances ? G. S. : C’est un vrai problème de notre société, dont un des ressorts est fondé sur le déplacement des personnes et des objets. Il serait illusoire d’espérer revoir, au coin de chaque rue de nos villes, l’épicier de quartier. L’heure est plutôt aux mesures concrètes qu’industriels, distributeurs et transporteurs peuvent mettre en œuvre pour conjurer les nuisances : mieux remplir les camions, revoir les politiques extrêmes de flux tendu. Les acteurs ne peuvent pas promouvoir une politique commerciale vantant la qualité, le bien-être, la santé et la commodité tout en acheminant leurs produits avec des moyens qui encombrent les routes, posent des problèmes de sécurité et participent à l’effet de serre ! Quel équilibre trouver entre transport et stocks ? G. S. : Les lois sur l’urbanisme commercial ont réduit de manière drastique les surfaces commerciales, transformant mécaniquement les surfaces de stockage en surfaces de vente. Aujourd’hui, un hypermarché de 20 000 m2 stocke sur ses linéaires. Il est approvisionné tous les jours, pour éviter les ruptures. D’où les norias de camions qui viennent engorger davantage nos routes. Le stock étant un mal nécessaire, les acteurs doivent apprendre à mieux le gérer, à anticiper le marché et à partager les informations. Cas d’école : le yaourt. Le chef de rayon commande pour le jour j + 1 en fonction des ventes de j – 1 ! Or les ventes ne sont pas les mêmes tous les jours de la semaine. Seul un historique des ventes permettrait de gérer au mieux, et en fonction du marché, les stocks nécessaires pour répondre à la demande réelle. Le Livre blanc de la Commission, publié en septembre 2001, préconise de découpler croissance des transports et croissance économique. Ne doit-on pas craindre un ralentissement de l’activité économique ? G. S. : Cette préconisation paraît trop générale. Il serait opportun de l’adapter selon les types de marché et de produits. Ainsi, le secteur du bâtiment peut difficilement répondre à cette injonction. Le vrai problème est ailleurs : les acteurs doivent trouver de nouvelles façons de transporter, autrement et mieux. Comment « réinternaliser » les coûts externes liés aux infrastructures ? G. S. : Réintégrer les coûts externes amène à s’interroger sur la répartition de la charge financière entre les usagers et la collectivité. La hausse des coûts de transport étant inéluctable, elle doit être anticipée et comprise. La prise en compte des coûts externes doit se traduire clairement par une politique fiscale adaptée et annoncée : ce qui ne sera pas payé par le contribuable le sera par le consommateur. Il reste à mettre en place les instruments d’évaluation nécessaires à la transparence des coûts. La hausse des prix du transport français n’aura-t-elle pas comme effet pervers de sacrifier le pavillon français à la concurrence des pays de l’Est, futurs membres de l’Union européenne ? G. S. : Le risque existe. Il est économique mais également politique. Dans les négociations avec les nouveaux entrants, les Quinze peuvent, par exemple, protéger leur agriculture en échange d’une liberté donnée aux nouveaux adhérents de développer leurs transports. Un des problèmes aujourd’hui est la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Quelles actions faut-il mener ? G. S. : De fait, l’analyse des conditions de chargement et de livraison révèle que les conducteurs sont mal considérés. Aussi, des efforts doivent être engagés pour revaloriser leur profession. La formation peut avoir deux effets positifs : abaisser le coût de l’insécurité routière et permettre au pavillon français de maintenir ses performances. Les conducteurs doivent devenir de véritables techniciens de la route. Quelles sont les mesures immédiates et à long terme que les industriels peuvent mettrent en œuvre ? G. S. : L’Ilec recommande sept mesures [cf. encadré]. Avec nos partenaires de la distribution, nous pouvons œuvrer pour mieux partager l’information, anticiper l’évolution de la consommation, éviter de travailler dans l’urgence, optimiser les palettes, aujourd’hui très mal remplies. À long terme, nous pouvons réfléchir sur les modes de transport. Carrefour mène une expérience dans le transport fluvial pour approvisionner en textile ses entrepôts. Le cabotage maritime, parent pauvre des transports en Europe, devrait retrouver ses lettres de noblesse. Conséquence de l’abandon du pavillon maritime européen, des norias de camions partent du Portugal pour aller en Hollande en traversant la France ! Que peut-on attendre des transports « intelligents » ? G. S. : Il faut en attendre une utilisation optimale des infrastructures que l’on sait limitées. Mieux anticiper permettra de désengorger. Situation pour le moins paradoxale, le premier transporteur routier, en France, est la SNCF avec Geodis et ses nombreuses filiales ! Que peut-on attendre du ferroutage ? G. S. : Au-delà du problème technique (infrastructures de transbordement, dimensions des ponts et de tunnels, petites roues des wagons…), tous les travaux mis en œuvre par la SNCF ne pourront qu’absorber l’augmentation des volumes, sans pour autant accroître sa part de marché. N’oublions pas, enfin, que le fer devient pertinent pour des transports supérieurs à quatre ou cinq cents kilomètres.

Jean Watin-Augouard

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