Bulletins de l'Ilec

Transport en Europe : l’horizon 2010 - Numéro 341

01/02/2003

Par le cabinet Vogel & Vogel, avec la collaboration d’Anne de Beaumont

L​‌’état du secteur des transports en Europe Le Livre blanc commence par une constatation objective : « Longtemps, la Communauté européenne n’a pas su, ou voulu, mettre en œuvre la politique commune des transports prévue par le traité de Rome. » Ce n’est qu’en 1992 que la Commission a publié un premier livre blanc, intitulé Le Développement futur de la politique commune des transports. Il prônait l’ouverture du marché des transports, objectif globalement atteint en dix ans, secteur ferroviaire excepté. Cependant, plusieurs distorsions de concurrence subsistent, en raison d’un manque d’harmonisation fiscale et sociale. L’absence de développement harmonieux de la politique commune explique que le système de européen est confronté à des difficultés majeures : la croissance inégale des modes de transport, en raison de la non-prise en compte de l’ensemble des coûts externes dans le prix du transport et du manque de respect de certaines réglementations sociales et de sécurité, en particulier dans le transport routier ; la congestion sur certains grands axes routiers et ferroviaires, à l’intérieur des villes ou dans les aéroports ; les nuisances vis-à-vis de l’environnement ou de la santé des citoyens. L’objectif affiché par la Commission dans le Livre blanc de 2001 est le rééquilibrage du transport en Europe, qui nécessite une stratégie d’ensemble allant au-delà de la politique européenne des transports, par des mesures prises dans le cadre d’autres politiques, au niveau national ou local. Les propositions du Livre blanc Le Livre blanc comporte un programme d’action composé de mesures s’échelonnant jusqu’à 2010, avec des clauses de rendez-vous, en particulier un mécanisme de suivi et un bilan à mi-parcours en 2005, pour vérifier si les objectifs chiffrés fixés par la Commission ont été atteints. Revitaliser le rail Il s’agit pour la Commission de réaliser un véritable marché intérieur du rail. Il commencera par l’ouverture à la concurrence, en mars 2003, des services internationaux de fret sur les 50 000 km de lignes appartenant au Réseau transeuropéen en fret ferroviaire (2). Il est prévu que l’ouverture à la concurrence soit totale en 2008 : le Parlement européen a voté, le 14 janvier 2003 en première lecture, en faveur d’une libéralisation totale du transport ferroviaire d’ici au 1er janvier 2008, y compris pour le transport de passagers (3). La Commission estime que l’arrivée de nouveaux opérateurs renforcera la compétitivité dans le secteur et devra être accompagnée de mesures encourageant la restructuration des compagnies, en tenant compte des aspects sociaux et des conditions de travail. La Commission annonce également une proposition d’extension des droits d’accès à l’ensemble des services de fret, incluant la possibilité de cabotage. Cette réforme fait partie du « deuxième paquet » de réformes prévues par le Livre blanc. Cinq actions ont été proposées dans une communication du 23 janvier 2002 (4) : développer une approche commune de la sécurité, en garantissant que la sécurité ferroviaire soit assurée par des règles publiques et compréhensibles par tous ; compléter les principes fondamentaux de l’interopérabilité, afin de faciliter la circulation transfrontalière et de réduire les coûts du matériel sur le réseau à grande vitesse ; doter l’Europe d’un outil de pilotage efficace, l’Agence européenne pour la sécurité et l’interopérabilité ferroviaire ; étendre et accélérer l’ouverture du marché du fret ferroviaire à l’horizon 2006 ; enfin, adhérer à l’Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OTIF). Dans sa communication, la Commission a en outre déclaré vouloir ouvrir le débat avec les acteurs concernés sur une série de mesures supplémentaires, en particulier en vue d’améliorer la performance environnementale du transport ferroviaire de fret et consacrer progressivement au fret un réseau de lignes ferroviaires. Maîtriser la croissance du transport aérien Le Livre blanc le reconnaît : « Il n’existe pas de ciel unique en Europe. » Pour remédier à cet état de fait, la Commission envisage de combattre la saturation du ciel. Celle-ci n’est pas seulement due à un nombre croissant d’avions. Elle résulte aussi de la non-harmonisation des services de navigation aérienne, qui exercent leurs responsabilités à l’échelon national avec des normes de gestion du trafic disparates. La création du ciel unique européen est donc la principale préoccupation de Bruxelles. La Commission a publié une communication et une proposition de règlement destinées à atteindre cet objectif le 31 décembre 2004 (5), par une régulation communautaire du trafic aérien et une coopération efficace, tant avec les autorités militaires qu’avec Eurocontrol (l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, qui compte trente et un membres, à laquelle la Communauté européenne a adhéré, le 8 octobre 2002). Le Livre blanc propose également de repenser les capacités aéroportuaires et leur utilisation, ainsi que de réconcilier la croissance du transport aérien avec l’environnement. Sur ce dernier point, une des mesures envisagées est la suppression de l’exemption des taxes sur le kérosène pour les vols intracommunautaires ; une autre projette de moduler les redevances de navigation aérienne en prenant en compte l’impact environnemental des avions. Faire de l’intermodalité une réalité Si rien n’est fait, l’Europe se trouvera rapidement menacée « d’apoplexie au centre et de paralysie aux extrémités » (6). La Commission propose de mettre fin aux tendances actuelles et de rééquilibrer la répartition entre les modes de transport. Elle entend promouvoir un programme communautaire de soutien, appelé « Marco Polo », d’une dotation annuelle de 30 millions d’euros. Supprimer les goulets d’étranglement Face à la saturation de certains grands axes et à ses conséquences en termes de pollution, il est essentiel, pour la Commission, que l’Union réalise les projets transeuropéens qui ont déjà été décidés. Bruxelles propose de concentrer l’actualisation des orientations communautaires sur la suppression des goulets d’étranglement dans le domaine ferroviaire, et sur l’aménagement d’itinéraires prioritaires, afin d’absorber les flux liés à l’élargissement, en particulier dans les régions transfrontalières, et de renforcer l’accès des régions périphériques. Pour améliorer l’accès au réseau transeuropéen, le développement du réseau secondaire restera une priorité des fonds structurels. La Commission annonce qu’elle présentera en 2004 une révision du réseau transeuropéen de plus grande ampleur, visant en particulier à introduire le concept d’autoroutes de la mer, à développer les capacités aéroportuaires, à mieux relier les régions périphériques du continent et à interconnecter les réseaux des pays candidats avec ceux des pays de l’Union. Placer les usagers au cœur de la politique des transports La prise en compte des usagers passe en premier lieu par le renforcement de la sécurité routière. La Commission a décidé de prendre deux initiatives limitées au réseau transeuropéen : harmoniser la signalisation des lieux particulièrement dangereux et uniformiser, pour le transport commercial international, les règles relatives aux contrôles et aux sanctions pour excès de vitesse et alcool au volant. Il s’agit également de renforcer la sécurité dans les tunnels. La Commission a annoncé, le 16 janvier 2003, la proposition d’une directive visant à assurer un niveau uniformément élevé et constant de protection des citoyens européens dans les tunnels du réseau routier transeuropéen. Les risques se sont accrus ces dernières années du fait d’un vieillissement des tunnels qui sont utilisés de manière de plus en plus intensive. De récents exemples ont montré qu’en cas d’accident grave les usagers étrangers encouraient davantage de risques à cause du manque d’harmonisation de l’information, des communications et de l’équipement de sécurité. La Commission propose des exigences minimales de sécurité harmonisées en matière d’infrastructure, d’exploitation, de règles de circulation et de signalisation (7). Il s’agit également de présenter des tarifs transparents aux usagers. Les prix doivent refléter les coûts imposés à la collectivité dans toute l’Europe. À l’heure actuelle, les systèmes de péages ou de redevance, qu’ils soient autoroutiers, aéroportuaires ou ferroviaires, ont été conçus pour chaque mode de transport et pour chaque pays, ce qui aboutit à des situations incohérentes ou gênantes pour le transport international. La Commission annonce dans le Livre blanc qu’elle va proposer en 2002 une directive-cadre établissant pour tous les modes de transport des principes de tarification de l’usage des infrastructures ainsi que la structure des redevances. Cette déclaration est restée sans effet jusqu’à présent. La seule directive existante a été adoptée en 1999, avant la parution du Livre blanc. Elle instaure un système de tarification pour les poids lourds appelé « eurovignette ». L’harmonisation de la fiscalité des carburant est également à l’ordre du jour. Les particuliers ne sont pas oubliés. La Commission songe à développer l’intermodalité en leur faveur, par la mise en place de billetteries intégrées entre compagnies ou entre modes de transports. Elle entend faire reconnaître les droits et devoirs des usagers, en association avec les organisations de consommateurs. Aussi espère-t-elle qu’avec la charte des droits du passager aérien une voie a été ouverte, qui va se poursuivre dans les autres modes de transport. Les usagers, en contrepartie, verront leurs devoirs précisés, en particulier en matière de sécurité. Il s’agit enfin d’assurer un service public de qualité. À cette fin, une proposition de règlement (8) prévoit que les autorités nationales ou locales doivent veiller à la mise en place d’un service approprié de transports en commun fondé sur des critères minimaux, tels que la santé et la sécurité des passagers, l’accès des services, le niveau et la transparence des tarifs, une durée limitée des concessions. Maîtriser la mondialisation des transports La réglementation des transports est par essence internationale. « C’est une des raisons des difficultés rencontrées par la politique commune des transports, pour trouver sa place entre la production de règles internationales au sein d’organisations bien établies et les règles nationales, souvent protectrices des marchés internes », reconnaît la Commission. Avec la perspective de l’élargissement, c’est-à-dire l’extension de la politique des transports à tout un continent, l’Europe doit repenser son rôle sur la scène internationale. À cette fin, Bruxelles propose de renforcer la place de l’UE au sein de l’Organisation maritime internationale, de l’Organisation de l’aviation civile internationale ou de la Commission du Danube. L’Union ne dispose, dans la plupart des organisations internationales, que d’un strapontin d’observateur. La Commission est d’avis que la radionavigation par satellite mérite d’être développée au niveau européen, afin de ne plus être tributaire des techniques américaine (GPS) ou russe (Glonass). Un programme, appelé « Galileo », est destiné à être complémentaire avec les systèmes existants, tout en permettant à l’Europe de rester indépendante vis-à-vis de ces derniers. Des propositions non exemptes de critiques Les propositions de la Commission méritent d’être saluées. Dans son Livre blanc, elle tente d’identifier tous les problèmes auxquels sera confrontée l’Union dans les dix prochaines années, tout en reconnaissant les progrès accomplis. Le document a cependant reçu un accueil contrasté. Le Comité des régions (9) a accueilli avec satisfaction les mesures préconisées, tout en rappelant qu’elles ne doivent pas pénaliser les régions d’Europe qui ne peuvent profiter de modes de transport alternatifs, en particulier les territoires insulaires, qui ne bénéficient pas de liaison ferroviaires pour assurer l’intermodalité avec les autres formes de transport. Le Comité économique et social (CES), dans un avis du 18 juillet 2002 (10) a, rejeté certaines propositions, non qu’il ne les estime pas pertinentes, mais parce qu’il les juge irréalistes pour l’instant. Il considère que le problème de la congestion est abordé sans tenir compte du fait qu’elle n’affecte qu’une infime partie du territoire communautaire, même si la densité de la population y est très élevée (c’est l’une des causes du problème), ou si l’impact environnemental y est particulièrement fort (Alpes et Pyrénées). Il estime par conséquent inopportun de concevoir une politique générale et uniforme des transports pour l’ensemble du territoire, et prône une politique spécifique pour chacune de ces zones. Il considère que le Livre blanc ne tient pas suffisamment compte des différences entre les pays de l’Union, en proposant des solutions générales qui pénalisent les États périphériques et, à l’intérieur de ceux-ci, les « zones éloignées » qui constituent la « périphérie de la périphérie » (il n’est pas envisagé de solution leur permettant de mieux s’intégrer dans l’espace communautaire et d’accroître leur compétitivité). Enfin, le CES juge qu’il n’y a pas d’évaluation adéquate, en termes de congestion, de l’incidence respective des trois catégories génératrices de trafic : transport privé de voyageurs, transport public de voyageurs et transport de marchandises. Cette incidence varie d’une zone à l’autre (incidence plus grande du transport de voyageurs à proximité des centres plus peuplés), et connaît des variations horaires et saisonnières. Cela ouvre, selon le CES, des possibilités d’une meilleure utilisation des infrastructures existantes, par l’établissement de priorités dans l’espace et dans le temps, qui ne sont examinées dans le Livre blanc qu’en rapport avec la tarification de l’utilisation des infrastructures. Comme le relève le CES, il est également surprenant que la Commission ait intégré l’élargissement dans la partie du Livre blanc consacrée à la mondialisation. Les pays candidats à l’adhésion ou membres en 2004 ne doivent plus être considérés comme des États tiers, puisque le Livre blanc définit des orientations qui s’étendent bien au-delà de leur date d’adhésion. Le Livre blanc, premier texte communautaire sur la question des transports depuis dix ans, ne doit pas être lu comme la position de l’exécutif européen. Il s’agit d’un document de travail qui a pour objet de présenter un programme institutionnel pour la décennie. Les propositions qu’il contient vont servir de base à des discussions en 2003, « l’année des choix »… (1) COM (2001) 370 final, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2001, ISBN92-894-0342-X. (2) Directive 2001/12/CE du 26 février 2001, JOCE L 75 du 15 mars 2003, pp. 1-25. (3) Legalnews.fr, 20 janvier 2003. (4) Vers un espace ferroviaire européen intégré, COM (2002) 18 final, 23 janvier 2002. Cette communication a été discutée par le Parlement le 26 mars 2002 et a obtenu un avis favorable du Comité des régions le 10 octobre 2002. Cf. également trois propositions de directive, JOCE C126E du 28 mai 2002, p. 312 et s. (5) Programme d’action pour la réalisation du ciel unique européen, COM (2001) 123 final et proposition de règlement, JOCE C362E du 18 décembre 2001, p. 251 et s. (6) Communiqué de presse IP/01/1263 du 12 septembre 2001. (7) COM (2002) 769 final. (8) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’action des États membres en matière d’exigences de service public et à l’attribution de contrats de service public dans le domaine des transports de voyageurs par chemin de fer, par route et par voie navigable, COM(2000) 7. (9) Avis 2002/C192/03, JOCE C 192 p. 8. (10) Publié au JOCE C 241 du 7 octobre 2002.

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