Bulletins de l'Ilec

Information partagée aujourd’hui, gains partagés de demain - Numéro 343

01/05/2003

Entretien avec Claude Charbit, conseiller d’entreprises, ancien président d’IRI-Sécodip.

Comment l’information peut-elle être bien partagée ? Claude Charbit : Tout dépend du périmètre que l’on veut donner à cette notion. L’information a toujours été plus ou moins partagée, mais aujourd’hui la tendance est à une ouverture beaucoup plus large. On ne peut s’échanger de l’information que si elle est disponible, exploitable, et si la partie qui la possède souhaite la communiquer de manière objective et positive. Une information partagée doit être fiable et utile, ni partielle ni partiale. Il est temps de retrouver la confiance perdue. L’information partagée permet de rationaliser le jeu et de le quantifier. Depuis quand le centre de gravité s’est-il déplacé ? C. C. : De 1960 à 1990, l’information était aux mains des industriels, alors les mieux placés pour bien connaître leur marché. Ils disposaient de structures d’accueil plus développées que celles des distributeurs. L’industriel a été le leader de l’information, longtemps, sans réelle opposition. Durant cette période, la distribution privilégiait la croissance quantitative, fondée sur l’extension des surfaces. Aujourd’hui, la concentration des acteurs et la fin de la multiplication tous azimuts des points de vente conduit la distribution vers une croissance qualitative, avec pour obsession les gains de parts de marché. Grâce aux nouvelles technologies et pour des raisons de gestion interne, la distribution a construit des systèmes d’information très élaborés, comme les cartes de fidélité, qui permettent à une enseigne de mesurer l’évolution des références à la journée et par magasin. Peu de professions disposent d’autant d’informations sur le consommateur final. Si la marque a conservé la primauté en amont (recherche-développement, études, communi-cation), la compréhension de l’information sur le marché et de ses catégories devient un atout grandissant des distributeurs, qui se sont structurés pour cela et qui en ont bien compris les enjeux stratégiques et commerciaux. Les distributeurs ne vont-ils pas devenir des donneurs d’ordres ? C. C. : C’est une possibilité. Aussi les industriels doivent-ils réagir, pour reprendre la main sur l’information qu’ils ont contribué à développer. Le rééquilibrage du pouvoir est nécessaire et possible. En témoignent les travaux menés au sein d’ECR, qui a réussi – et il faut lui rendre hommage – à réunir industriels et distributeurs autour de projets communs, et, surtout, à créer une culture de partage et de partenariat. Cela a été essentiellement le cas pour tout ce qui touche à la chaîne d’approvisionnement (logistique, échange de données informatiques…). Ces questions sont moins polémiques que la « chaîne de la demande », qui implique le pouvoir des marques, les achats, les ventes, la négociation. Nous sommes à l’aube de l’acceptation que l’information partagée doit devenir la règle. Jusqu’où aller dans le partage ? Doit-on tout partager avec tous les acteurs ? Le partage doit-il être sélectif au risque d’être discriminatoire ? C. C. : Toutes ces questions sont au cœur du débat. L’information n’est pas seulement externe, celle collectée par un tiers, un panéliste, elle porte aussi sur des données internes à l’entreprise : la structure des coûts, la rentabilité des promotions, les informations sur les cartes de fidélité. Cette mine d’informations est-elle une arme ou une source de dialogue ? Le cas Wal Mart est exemplaire : un premier niveau – le retail link – donne accès pour chacun des fournisseurs à de l’information sur ses propres ventes par magasin ; le deuxième niveau est celui où Wal Mart construit une relation plus étroite avec certains partenaires, relation normée par des objectifs quantifiés et agrées. Est-ce de la discrimination ? C’est d’abord une proposition contractuelle. Sur quels critères une enseigne choisit-elle ses partenaires ? C. C. : Chez certains distributeurs, la marge en valeur relative devient secondaire par rapport à la profitabilité en valeur absolue. Le distributeur va donc privilégier le partenaire avec lequel cette croissance sera optimale. De surcroît, cette croissance résulte davantage de la catégorie que de la marque en elle-même, d’où le rôle de plus en plus important, chez le distributeur, du directeur de catégorie, qui englobe les fonctions d’achat et vente. Il reste qu’un distributeur n’aura jamais la capacité d’être expert dans 350 catégories ! D’où l’opportunité formidable, pour les industriels, de reprendre la main sur le marché de l’information, et d’accompagner l’évolution plutôt que de la subir. Comment doivent-ils réagir ? C. C. : Les industriels doivent repenser complètement leur approche par rapport à l’information et inverser la tendance, motivée par des raisons de coût, à la réduction des structures d’accueil de cette information (marketing, études de marché, etc.). Ils doivent reconsidérer le rôle des forces de vente, qui sont le relais de cette information, en fonction des types d’enseignes. Aujourd’hui, les distributeurs ont l’œil rivé sur leur part de marché, qui se construit par addition des parts de marché magasin par magasin. L’industriel doit s’adapter à ce marketing de site, local, prochaine étape du partage de l’information, magasin par magasin. Celui qui gagnera sera celui qui se servira de cette information, dans une perspective non pas défensive mais avec le souci de faire mieux que ses concurrents.

Propos reccueillis par Jean Watin-Augouard

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