Bulletins de l'Ilec

De l’échange au partage - Numéro 343

01/05/2003

Entretien avec Jean-Pierre Zablith, directeur logistique de Nestlé

Comment définissez-vous le partage de l’information ? Jean-Pierre Zablith : Le partage de l’information est né du concept d’entreprise étendue au sein de laquelle les processus, comme l’acheminement du produit aux consommateurs, dépassent le cadre d’une entreprise seule. Pour rendre ces processus les plus efficaces, les acteurs de la chaîne sont conduits à partager de l’information et à collaborer. C’est, au reste, la vocation de l’ECR que de réfléchir sur ce concept. De quelles informations s’agit-il ? J.-P. Z. : Lorsqu’on veut travailler sur l’activité auprès du consommateur, les informations portent sur l’évolution du chiffre d’affaires, la performance des promotions, la diffusion des produits, etc., mais la vraie question n’est pas tant le partage de l’information que son utilisation. Deux axes sont à privilégier : l’approvisionnement du consommateur (supply chain) et le développement des ventes, ou gestion de la demande (demand side). Il y a également deux manières de concevoir les relations entre industriels et distributeurs : l’échange et le partage. L’échange de l’information implique une certaine transparence entre les acteurs, mais chacun traite l’information de son côté. Ce stade est un premier pas, comme en témoigne la gestion partagée des approvisionnements (GPA) : recevoir l’information sur les stocks de nos produits chez le distributeur conduit à une meilleure gestion de l’ensemble de la chaîne, depuis l’usine jusqu’à l’entrée du magasin. Avec le partage de l’information, les acteurs travaillent ensemble sur une même base d’informations. C’est par exemple le travail sur la disponibilité en linéaire, où se mesure vraiment la performance du processus. L’information est plus facilement échangée dans d’autres pays : des distributeurs comme Ahold donnent gratuitement des sorties de caisses avec obligation de les exploiter. En revanche, le partage semble moins développé. Qui détient l’information détient le pouvoir. Ne doit-on pas craindre un abus de pouvoir ? J.-P. Z. : Il faut respecter les limites de la libre concurrence. Un industriel ne peut pas donner à un client des informations qui porteraient sur un autre client. Même contrainte pour un distributeur, qui ne peut pas confier à un industriel des informations qui concernent ses concurrents. Le partage des informations pose donc un problème de confidentialité. Il manque aujourd’hui des règles du jeu pour maintenir les principes de la concurrence. Le maître-mot est réciprocité, il faut donc éviter l’asymétrie de l’information. Cela implique-t-il une évolution des mentalités ? J.-P. Z. : Certainement, car cela oblige à déplacer le domaine de l’effort concurrentiel. La concurrence ne se fait plus sur la détention de l’information mais sur son utilisation. D’où la notion de partage, qui permet de dépasser l’aspect conflictuel – l’information utilisée comme arme de négociation –, pour élaborer ensemble la meilleure façon d’utiliser l’information. Sur quels cas concrets travaille aujourd’hui Nestlé ? J.-P. Z. : Nous œuvrons dans le domaine du taux de service au consommateur en linéaire. Une bonne partie de l’information sur l’état du linéaire est détenue par le distributeur, mais, pour analyser et résoudre les problèmes, chaque acteur détient une partie de l’information. Nous mettons ensemble nos informations, et de plus nous associons un tiers à notre réflexion, un panéliste, pour avoir une vision plus complète et plus efficace. Nous travaillons aujourd’hui avec Auchan à partir d’un outil d’analyse des sorties de caisse développé par IRI. Le panéliste les exploite et retransmet aux deux partenaires des informations neutres. Nestlé et Auchan complètent ces données d’identification des points de vente en rupture par leurs caractéristiques : l’industriel apporte les relevés de linéaire et le distributeur donne des informations sur son ircuit d’approvisionnement, l’organisation du point de vente et la stratégie de mise en rayon. Le segment choisi à titre pilote est l’ensemble culinaire-épicerie. Certains distributeurs, comme Carrefour, proposent de vendre leurs statistiques et des études ad hoc. Est-ce leur vocation ? J.-P. Z. : Je suis contre le principe de vente pure et simple, car cela implique que chacun travaille de son côté. D’autres distributeurs, comme Wal Mart, veulent faire de l’exploitation des données un élément concurrentiel. Puisque le coût de traitement des données est important, autant le prendre en charge ensemble et partager la réflexion sur leur utilisation. Quel est l’avenir des sociétés d’études ? J.-P. Z. : Il faudrait d’abord définir des standards, afin d’éviter que chaque couple industriel-distri-buteur ne traite de manière personnelle les données et que cela n’augmente les coûts globaux. Parallèlement, les sociétés de panels doivent évoluer, pour apporter des outils plus innovants dans le traitement de la confidentialité, tout en appliquant ces standards. Mais, pour moi, elles ont une valeur ajoutée du fait de leur savoir-faire et de leur neutralité. L’information partagée ne relève-t-elle pas encore davantage du concept que de la réalité ? J.-P. Z. : Aujourd’hui, l’information demeure très fragmentée, sans possibilité pour les acteurs d’avoir une vision globale. Des réticences au partage s’expriment chez certains distributeurs, qui ne veulent pas perdre leur pouvoir, et parmi les industriels. Ma perception est que les distributeurs ne veulent pas donner leur information tant qu’ils ne voient pas comment les industriels vont les utiliser. Les industriels, de leur côté, pensent que les distributeurs vont faire profiter leurs marques propres des informations qu’ils vont obtenir par le partage. Concrètement, la question porte sur la synchronisation des données de base produit, c’est-à-dire sur la nécessité qu’a un instant donné les deux partenaires commerciaux aient exactement la même définition d’un produit et de ses caractéristiques. Le deuxième stade aura pour axe de réflexion les informations sur les promotions. Nous progresserons sur des cas concrets et non par des déclarations de principe. Le partage de l’information conduit-il à la naissance de nouveaux métiers et à un décloisonnement des fonctions dans l’entreprise ? J.-P. Z. : Nous ne sommes pas aujourd’hui organisés pour exploiter au mieux l’information. Le travail en processus est transversal par rapport aux métiers. Il oblige à un décloisonnement. Nous évoluons donc vers des équipes pluridisciplnaires et la naissance de nouveaux fonctionnements, car les sorties de caisses concernent aussi bien la logistique, le commercial et le marketing. Il faut avoir ces trois regards pour bien les exploiter.

Propos reccueillis par Jean Watin-Augouard

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