Bulletins de l'Ilec

Le marketing revisité par la logistique - Numéro 343

01/05/2003

Entretien avec Dick Bell, membre associé, Oxford Institute of Retail Management, Templeton College, consultant à l​‌’AIM.

Comment passe-t-on de la « chaîne d’approvisionnement » à la « chaîne de la demande consommateurs » ? Dick Bell : La chaîne d’approvisionnement (supply chain) comprend toutes les étapes entre la production et l’achat par le consommateur. L’acte d’achat se confond avec le lieu de vente, qui peut être un magasin ou un site internet marchand. Le nombre d’étapes entre la production et la consommation varie en fonction de la construction de la chaîne. En principe, celle-ci inclut la source de production (l’usine), l’entrepôt de gros ou de detail, et le point de vente (le magasin). Elle peut comprendre les fournisseurs de l’usine, tels les agriculteurs ou d’autres producteurs et fabricants d’emballages. L’entrepôt, intermédiaire entre l’usine et le magasin, peut être géré par un grossiste ou par un détaillant. Il détient un stock qui constitue un « tampon » entre la distribution et la production. Une organisation identique peut exister entre le producteur et l’usine, et peut être gérée soit par un grossiste, soit par l’usine. L’essence d’une chaîne est de lier en même temps chaque étape à la suivante et à la précédente. La liaison entre ces étapes est assurée par l’information, sur les entrées et les sorties à chaque étape, dans une période de temps donnée. La chaîne peut répondre à l’impulsion de la production (producer push) ou des achats (consumer pull). Dans le second cas, elle est gérée par un distributeur, qui utilise les données sur les ventes en magasins. Dans tous les cas, la chaîne d’approvisionnement opère au plus petit niveau du produit, représenté par l’unité de stock. Les chaînes d’approvisionnement consumer pull sont déterminées par les achats du consommateur, eux-mêmes influencés par la disponibilité du produit. Si le magasin se trouve en rupture de stock, ou ne référence pas le produit recherché, le consommateur ne peut l’acheter, mais peut acquérir un produit de substitution. Les chaînes d’approvisionnement sont ainsi liées au comportement du consommateur. La « chaîne de la demande consommateurs » (demand chain) est différente. Elle s’organise selon les besoins et les désirs des consommateurs. Ces derniers déterminent le design et le développement du produit. En ce sens, elle est plus influencée par les désirs et les motivations des consommateurs que par leurs comportements. La demand chain qui réussit est celle qui a identifié correctement leurs besoins et assuré leur traduction en comportements, à travers le développement et la disponibilité des produits. Comment est définie l’intégration ? D. B. : L’intégration peut être réalisée par une société qui détient et contrôle les actifs physiques de chaque étape de la chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire la production, le stockage et la distribution. Benetton est un exemple d’intégration verti-cale. L’intégration est définie comme le processus qui détermine la compatibilité des niveaux de production avec les ventes et assure l’écoulement de la production à chaque étape. On peut mesurer l’intégration effective par le niveau des stocks à chaque étape : des niveaux élevés sont associés à une intégration réduite. L’intégration peut être aussi réalisée en effectuant la liaison entre des étapes de la chaîne par l’utilisation de l’information. Chaque maillon connaît les mouvements des produits et des stocks à toutes les autres étapes de la chaîne. De cette façon, la production et les flux produits sont déterminés en dernière instance par le niveau des ventes. Chaque étape de la chaîne peut continuer à être une entité commerciale indépendante, mais opérant de manière synchronisée avec les autres étapes, pour leur profit commun. On mesure aussi l’efficacité de cette forme d’intégration par la réduction du niveau de stock. Son optimisation peut également conduire à une réduction de la capacité de production et de la surface de stockage. Quelles conditions réunir pour rendre le système optimal ? D. B. : La condition essentielle pour que la chaîne d’approvisionnement consumer pull fonctionne de manière efficace est la connaissance en temps réel des ventes par produit dans chaque magasin. En pratique, cela suppose que chaque magasin soit équipé de scanners, et que les données soient transmises à l’entrepôt et à toutes les autres étapes de la chaîne. Pour que cela soit possible, chaque étape doit bénéficier de systèmes d’information compatibles et de codage des produits. Un membre de la chaîne, idéalement le distributeur, doit déterminer les solutions techniques de la transmission des informations. Cela suppose que tous les magasins de l’enseigne opèrent d’une manière compatible. Les distributeurs les plus performants sont ceux dont les actifs fixes sont intégrés. Ceux qui réussissent en Europe sont ceux qui contrôlent à la fois les magasins et les centres de distribution. Tesco et Albert Heijn sont des exemples de distributeurs intégrés, tandis que Leclerc et Kesko, dont les magasins sont détenus par des indépendants, sont moins intégrés. Le centre de gravité du pouvoir s’est-il déplacé ? D. B. : Dans chaque chaîne d’approvisionnement consumer pull le pouvoir appartient au distributeur. Il détermine la forme ainsi que les caractéristiques opérationnelles de la chaîne d’approvisionnement et saisit les données à partir des scanners. Une question se pose : pourquoi les producteurs de marque participent-ils à de telles chaînes ? La réponse est donnée par l’importance de celles-ci par rapport à la disponibilité des produits et au volume des ventes. Le succès d’un distributeur de marques propres réside dans la construction de chaînes d’approvisionnement intégrées qui facilitent le flux de produits de l’usine au point de vente. Alors que des fabricants de marques ont investi dans des moyens de distribution pour que leur produits arrivent au point de vente, d’autres ne l’ont pas fait. L’existence des systèmes de distribution permet ainsi à tout producteur de fournir des produits à sa marque et aux distributeurs d’élargir leur gamme de produits sous leur marque. Certains circuits de distribution sont fortement intégrés mais ne disposent pas de chaînes d’approvisionnement consumer pull. La distribution de produits électriques diffère ainsi de l’épicerie sous deux aspects. D’une part, le domaine de la marque propre est réduit, car l’innovation technique provient des fabricants. D’autre part, cette gamme de produits a une durée de vie plus importante, leur rotation en magasin est moindre. Le pouvoir est dès lors principalement détenu par l’industriel. La fonction marketing va-t-elle changer? D. B. : La fonction du marketing est de comprendre les besoins et les désirs du consommateur, de développer des produits et de faire valoir leurs avantages. Développer des produits et des emballages appropriés est essentiel si les marques veulent se différencier et garder leur unicité. Dans ce contexte, une fonction marketing efficace est essentielle pour les marques. L’accent doit être mis sur une différenciation significative et efficace en termes de coûts. Le marketing de la marque demande une approche plus stratégique que tactique. À partir du moment où le marketing est orienté vers la compréhension des besoins et des désirs des consommateurs, il doit accepter que ces derniers interviennent sur la pertinence même du produit. Les changements dans le mode de vie et le manque de temps sont fondamentaux pour les consommateurs. Cela se traduit dans leur comportement. Ils recherchent la commodité, et souhaitent trouver l’essentiel en un seul lieu, ce qui peut prévaloir sur la recherche d’un produit procurant une satisfaction totale. Ce changement des comportements réduit la propension du consommateur à chercher ailleurs ou à changer de produit, lorsqu’il a besoin d’économiser son temps. Le marketing doit alors aborder les aspects « en situation » du comportement du consommateur, et investir davantage dans la recherche de nouvelles voies d’accès au marché et de technologies telle que le e-commerce. Il doit aussi s’attendre à être impliqué dans un dialogue direct avec les distributeurs, pour optimiser la présentation, l’emballage et les promotions. Quels sont les bénéfices des chaînes consumer pull? D. B. : On peut dégager trois bénéfices : une diminution du niveau des stocks, des produits plus frais et une moindre incidence de la date limite de consommation, enfin, moins de ruptures de stocks, d’où une satisfaction accrue des consommateurs. (1) L’Association des industries de marque, représente les fabricants européens de produits de marque. Elle regroupee 1 600 entreprises de toutes tailles, soit directement, soit par l’intermédiaire d’ associations nationals, présentes dans vingt pays européens. LA POSITION DE L​‌’AIM L’association européenne des industries de marque a adopté en décembre 1993 un document intitulé Principes de bonne conduite commerciale, qui inspire son action et celle de ses membres. « Les distributeurs et les industriels, y lit-on, coopèrent en vue d’assurer entre eux un accès libre et égal à l’information, en particulier pour ce qui est des perspectives de ventes à court et à long terme. Le partage de l’information est essentiel de façon à assurer la réduction des stocks, à optimiser le système de réapprovisionnement, et aussi à présenter au consommateur les produits dans les meilleures conditions. Sans cette coopération les parties n’auront pas de bénéfices à se partager. »

Propos reccueillis par Jean Watin-Augouard

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