Bulletins de l'Ilec

La fin du splendide isolement - Numéro 350

01/02/2004

La part la plus importante de la croissance du commerce en Grande-Bretagne est organique. Elle résulte de l’ouverture de nombreux magasins aux surfaces plus étendues. Il n’y a pas eu de fusions ou d’acquisitions importantes au cours de la période, alors qu’elles furent la principale cause de concentration durant les années 1970 et 1980. Safeway, actuellement au quatrième rang (et qui n’a aucun rapport avec la société Safeway établie aux Etats-Unis), est le résultat d’une acquisition, dans les années 1980, par Argyle, qui par la suite renomma tous ses magasins Safeway. Somerfield tenta une consolidation similaire en achetant Kwiksave en 1998, mais perdit des parts de marché et décida par la suite de conserver les deux entités, n’obtenant pas, de ce fait, les synergies attendues. Ce mariage entre opérateurs inconciliables fut la dernière fusion entre de grands distributeurs britanniques, jusqu’à la récente offre de Morrison sur Safeway. En 1999, Asda a été acheté par l’américain Wal Mart. PART DE MARCHE DES PRINCIPAUX DISTRIBUTEURS BRITANNIQUES (pour un total de 7144 magasins) Particularité de la distribution britannique : exceptés Asda, Waitrose et des coopératives, la majorité des principaux distributeurs sont des sociétés faisant appel à l’épargne publique dont les actions sont négociées à la bourse de Londres. Toutes les affaires cotées sont des cibles potentielles pour des acquisitions. L’augmentation des parts de marché de Tesco et de Sainsbury dans les années 1990 est due à leur politique d’ouverture de surfaces de vente plus importantes à l’extérieur des villes. Ce mouvement a coïncidé avec une uniformisation des habitudes d’achat des consommateurs britanniques, qui ont trouvé avantage à faire leurs courses une fois par semaine, dans un contexte marqué par le nombre croissant de femmes travaillant à plein temps ou à mi-temps. Les études effectuées par les autorités de la concurrence, au titre des enquêtes sur le commerce de détail, ont mis en évidence qu’il existait deux marchés, l’un pour les grandes courses hebdomadaires et l’autre pour l’appoint. Le besoin d’effectuer un ravitaillement hebdomadaire a été satisfait grâce à l’implantation de magasins en dehors des villes. Les parts de marché des grandes enseignes y sont significativement supérieures à ce qu’elles sont en moyenne (voir tableau ci-dessous), grâce à quoi Tesco et Sainsbury ont amélioré leur part globale. En 2000, le ravitaillement hebdomadaire représentait 72 % du commerce de détail, sur 26 % de la totalité des surfaces de ventes. En Grande-Bretagne, moins de 3 % des magasins représentent plus de la moitié de la valeur totale des achats. Par comparaison, en Allemagne, 2 % des magasins totalisent 23 % des achats. Les grandes surfaces de vente ont une part de marché disproportionnée, en Grande-Bretagne comme en France. Un débat sur le fait de savoir dans quelle mesure le commerce de détail peut être considéré comme une succession de marchés locaux a conduit les autorités de la concurrence britanniques à prendre position. Dans leur récente enquête sur le rachat de Safeway, elles ont conclu que le marché est national pour les raisons suivantes : les prix sont équivalents sur tout le territoire, des barrières existent à l’entrée sur le marché, du fait des économies d’échelle liées aux volumes et des rigidités résultant des règles de l’urbanisme commercial (la Grande-Bretagne et la France ont toutes deux strictement encadré le développement des grandes surfaces, respectivement avec le « PPG6 » et la loi Royer devenue Raffarin) ; la concurrence pour l’obtention de nouveaux sites s’effectue au niveau national et la puissance d’achat se manifeste au plan national, et même international, dans le cas Asda / Wal Mart. DECLIN DES PETITES SURFACES ET DES MAGASINS SPECIALISES La Grande-Bretagne et la France partagent la caractéristique de posséder un marché dominé par les grandes surfaces, hypermarchés en France et superstores en Grande-Bretagne. La conséquence en est la disparition de quantités d’épiceries. Le déclin du nombre d’épiceries est accompagné par la chute du nombre de magasins spécialisés. La boulangerie a mieux résisté en France qu’au Royaume-Uni. Alors qu’au cours des quarante dernières années, les magasins spécialisés français sont devenus deux fois moins nombreux, l’effectif de leurs homologues britanniques a chuté de 80 % . EXCELLENCE DANS L​‌’INTEGRATION DE LA CHAINE D​‌’APPROVISIONNEMENT L’intégration de la chaîne d’approvisionnement, fondée sur les principes du « juste à temps » et mise en œuvre sur la base des commandes enregistrées, est le domaine dans lequel la différence au niveau des pratiques commerciales est la plus importante, entre le Royaume-Uni et la France. Les distributeurs britanniques, emmenés par Tesco, mais incluant également des distributeurs de taille moins importante, tels que Waitrose et Marks & Spencer, ont excellé dans l’art de l’intégration de la chaîne d’approvisionnement. Cette opération, qui requiert une transparence complète de l’information tout au long de la chaîne d’approvisionnement, est guidée par les commandes des clients. Les éléments clés d’une telle chaîne consistent en la mise à disposition d’informations, régulièrement mises à jour, sur les ventes des magasins au stade de la référence ; l’intégration des données informatiques entre magasins, dépôts, sièges des sociétés et fournisseurs ; l’installation de grands centres d’éclatement. La méthode implique la généralisation de la lecture optique et l’adhésion sans réserve des magasins aux programmes marketing. Les magasins britanniques appartiennent entièrement aux enseignes et sont dirigés par des salariés qui, de ce fait, sont motivés pour agir selon les prescriptions, récupérer et transmettre l’information à travers la chaîne d’approvisionnement. Pour mesurer le succès de ce mode de travail, il suffit de constater les très faibles niveaux de ruptures de stocks sur les linéaires, la simplicité des inventaires, la faible quantité de produits en dépassement de date limite de vente et le rapide réapprovisionnement des magasins à partir des dépôts. LA MOITIE DES VENTES SOUS MDD Le développement des marques de distributeurs reflète l’adhésion des consommateurs à l’enseigne et contribue à en augmenter les profits. Les marques de distributeurs, en général, offrent des niveaux de marge plus élevés que les marques nationales. Le différentiel de marge est déterminé par la puissance d’achat et par l’aptitude à optimiser le prix de vente au détail. La plupart des distributeurs britanniques ont développé leurs propres marques, qui représentent désormais la moitié de leur chiffre d’affaires. Dans une large mesure, cet état de fait découle de l’importante proportion des produits frais ou ultrafrais, qui représentent la majorité des produits vendus sous marques de distributeurs. Pour ce qui est des produits emballés, le niveau est plus faible, à environ 35 % . L’importante part des marques de distributeurs (MDD) sur le marché britannique s’explique également par le développement des chaînes d’approvisionnement intégrées, qui permettent la collecte chez un grand nombre de fournisseurs, et non plus seulement auprès de ceux capables de livrer directement les magasins ou les dépôts. Une comparaison entre les distributeurs français et britanniques montre que la part des produits sous marques de distributeurs est plus faible chez les français. La priorité porte en France sur l’avantage prix des MDD pour le consommateur. ACNielsen a comparé la valeur et le volume des marques de distributeurs en France afin d’établir un indice de prix. Si la valeur et le volume sont identiques, l’indice est égal à 100. En Grande-Bretagne, la valeur de l’indice est de 96, comparée à 86 en France. Ainsi, tandis que la part de marché en volume des MDD atteignait 22 % en France, elle ne dépassait pas 19 % en valeur. DU QUANTITATIF AU QUALITATIF La stratégie de croissance organique des années 1990, via l’ouverture de nouveaux magasins, a été en grande partie freinée par la politique de planification (PPG6). La croissance par le biais d’acquisitions a été interdite aux principaux acteurs de la distribution par la décision des autorités de la concurrence, les empêchant de se porter acquéreurs de Safeway. Il reste pour certains la possibilité, bien que réduite, d’ouvrir de nouveaux magasins grâce aux réserves foncières que possèdent les grandes enseignes. Tesco et Asda maintiennent leurs politiques d’élargissement de leurs gammes à des produits sur lesquels existent des marges plus élevées. Vêtements, petit électroménager et, en ce qui concerne Tesco, les services financiers, sont privilégiés. Bientôt, les superstores anglais devraient ressembler aux supermarchés français. La deuxième stratégie consiste à capitaliser sur le marché de la proximité. Tesco a noué une alliance avec Esso, la compagnie pétrolière, afin d’ouvrir des points de vente sous l’enseigne Tesco Express. Sainsbury a contracté une alliance similaire avec Shell, et Safeway avec British Petroleum. Tesco a acheté une chaîne de magasins de proximité, alors que Sainsbury développe rapidement les petites surfaces de vente Sainsbury Local. L’orientation vers les magasins de proximité leur a permis d’allier une offre déjà très compétitive à un système de distribution sophistiqué. La troisième voie de croissance empruntée par les principaux distributeurs est le développement des achats sur Internet. Tesco s’est massivement engagé dans cette voie, grâce à la mise au point de logiciels très pointus. La diversification des canaux de distribution aide à consolider la puissance d’achat et à maintenir en place des barrières à l’entrée sur le marché.

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