Bulletins de l'Ilec

Les abus de la puissance d’achat - Numéro 350

01/02/2004

Par John Noble, directeur du British Brands Group

Pratique persistante de la revente à perte, existence de différences de prix selon les zones géographiques, en fonction des conditions locales de concurrence, pratiques avec les fournisseurs de nature à affecter leur compétitivité : dans ces trois domaines, la Commission de la concurrence a relevé des entraves au libre jeu du marché. Selon le principe que toute intervention doit être proportionnée et contrarier le moins possible la concurrence par l’imposition d’une réglementation, la Commission estima, dans son rapport sur les grandes surfaces, qu’aucun remède ne devait être apporté aux deux premières pratiques, sachant que toute solution serait pire que le problème. En revanche, les difficultés rencontrées par les fournisseurs retinrent l’attention. La rédaction d’un code de bonne conduite fut considérée comme le meilleur moyen de régler la question de la puissance d’achat. CINQUANTE-DEUX PRATIQUES POTENTIELLEMENT PREJUDICIABLES La Commission de la concurrence identifia cinquante-deux pratiques imposées par les distributeurs à leurs fournisseurs et potentiellement susceptibles de fausser la concurrence. Ces pratiques, appliquées par les centrales d’achat, avaient des effets pervers : les fournisseurs étaient moins enclins à investir dans l’innovation et le développement de produits, provoquant une baisse à la fois de la qualité des produits et du choix offert aux chalands. L’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché en serait réduite et la compétitivité des plus petits détaillants compromise, ce qui, à terme, conduirait à limiter le choix des consommateurs. Les aspects négatifs de ces pratiques devaient être balancés par des effets bénéfiques, tels que l’établissement d’un contrepoids à l’influence des fournisseurs disposant d’une puissance de vente ou la réduction des prix à la consommation. Après avoir établi ces effets bénéfiques, la Commission a conclu que vingt-sept pratiques incriminées nuisaient aux intérêts des consommateurs si elles étaient le fait des distributeurs bénéficiant d’une puissance d’achat. Afin de définir celle-ci, la Commission a examiné une série de facteurs, y compris les conditions d’achat obtenues par les principales enseignes, et a mis en évidence le fait que celles représentant plus de 8 % du marché de l’approvisionnement étaient en mesure d’obtenir de meilleurs tarifs de leurs fournisseurs, et que ces prix n’étaient pas seulement le résultat de meilleures performances dans la conduite des opérations. Le rapport sur les grandes surfaces a spécifiquement indiqué les dispositions que devrait contenir le code de bonne conduite, précisant en outre qu’un code volontaire ne serait pas approprié. Il devait s’imposer à tout distributeur représentant 8 % ou plus du marché de l’approvisionnement et répondre aux problèmes identifiés. Il était souhaitable qu’il fût rédigé par les distributeurs et les représentants des fournisseurs, et en tout état de cause reconnu par le directeur général du commerce, l’autre autorité de la concurrence dans le système britannique, comme répondant aux objections de la Commission de la concurrence. Le 10 octobre 2000, le secrétaire d’Etat pour le Commerce et l’Industrie accepta les conclusions de la Commission. Il précisa plus avant la substance du code et donna instruction au directeur général du commerce d’apposer son visa sur le code et d’établir un rapport dans les trois mois. LE FADE RESULTAT D​‌’UN LABORIEUX PROCESSUS C​‌’est un an plus tard, le 31 octobre 2001, que le secrétaire d​‌’Etat a finalement publié le code de pratique. Si les fournisseurs ont été consultés sur la rédaction, la longueur de la procédure et le nombre de versions non soumises aux industriels témoignent de la difficulté de l’OFT à rédiger un texte acceptable par les grandes enseignes. Indubitablement, la version finale du code était très différente de ce qu’avaient proposé la Commission de la concurrence et le précédent secrétaire d’Etat. L’objectif, qui au départ consistait à répondre aux problèmes identifiés par l’enquête, a changé de nature pour clarifier et établir sur une base objective les relations entre les grandes enseignes et leurs fournisseurs. L’imprécision du vocabulaire est caractéristique du texte, qui insiste beaucoup sur l’idée que les distributeurs et leurs fournisseurs se montrent « raisonnables » dans la négociation de leurs accords. Enfin, tandis que la Commission avait proposé que certaines pratiques soient interdites, le code les autorise à certaines conditions. Le texte est entré en vigueur le 17 mars 2002, au terme d’un délai permettant aux distributeurs de signer des engagements relatifs au respect de ses clauses et donnant également le temps aux enseignes de former leur personnel. A l’époque, le code s’appliquait à Tesco, Sainsbury, Asda et Safeway, les quatre chaînes disposant d’une part supérieure à 8 % sur le marché de l’approvisionnement. Somerfield, inclus à l’origine dans la recommandation de la Commission, en fut par la suite exclu, ayant vendu certains magasins. Les trente-deux articles du code s’appliquent à tous les fournisseurs, quelle que soit leur taille. Le code institue un dispositif de résolution des conflits comprenant, dans un premier temps, des négociations bilatérales et, en cas de désaccord persistant, durant quatre-vingt-dix jours, une médiation indépendante à la charge du distributeur. Les fournisseurs ont accueilli le code avec scepticisme. L’affadissement de son dispositif durant sa longue gestation et la rareté des consultations menées avec eux instillèrent le soupçon d’un manque de volonté politique de combattre les excès de la puissance d’achat. Au demeurant, il paraissait peu vraisemblable qu’aucun fournisseur dénonce une infraction au code, ce qui l’eût conduit au suicide commercial, étant donné la dépendance à l’égard de la puissance d’achat (une petite compagnie pouvant réaliser plus de 80 % de ses ventes auprès d’un seul distributeur). Dans son rapport, la Commission avait souligné « le climat d’appréhension » des fournisseurs à l’égard des distributeurs, idée qui donnait à penser qu’un code serait utile. Elle avait aussi formulé des doutes sur la manière de mesurer l’efficacité du code. Ainsi, l’absence de litiges peut être interprétée comme le signe d’un succès total ou comme celui d’un échec complet. UN TEXTE SANS EFFETS En février 2003, quatre ans avant la date initialement prévue, dans un climat de nervosité croissante, l’OFT a lancé, avec les organisations de fournisseurs, une évaluation du code. Il en est résulté que peu de changements sont intervenus depuis l’introduction du texte, si ce n’est, parfois, dans le sens de la détérioration. Aucun litige n’a donné lieu à médiation et beaucoup de pratiques que le code avait pour objectif d’arrêter perduraient. Il en va ainsi des déductions sur factures hors accord des parties, de l’obligation faite aux fournisseurs de financer des promotions, et de la demande de paiements compensatoires adressés aux fournisseurs lorsque leurs articles se montrent moins rentables que prévu. A l’époque même où l’OFT lançait son évaluation, une série d’offres d’achat fut présentée à l’égard de Safeway, la quatrième chaîne de distribution au Royaume-Uni, des enchères étant présentées par tous les autres distributeurs soumis au code. Quand ces offres furent portées à la connaissance de la Commission de la concurrence, l’OFT annonça qu’il s’accordait un délai supplémentaire avant de publier ses conclusions sur le code, car chacune des concentrations envisagées impliquait un changement majeur de structure sur le marché. Dans le cadre de son enquête sur Safeway, la Commission a envoyé aux fournisseurs des questionnaires sur le code de conduite. Le bénéfice essentiel du code était que, pour les fournisseurs, les conditions de la négociation commerciale étaient demeurées constantes. En revanche elles ne s’étaient pas améliorées puisque 80 à 90 % des entreprises affirmaient que le code n’avait eu aucun effet. En définitive la situation s’était plutôt détériorée depuis l’introduction du code, et la Commission ne put trouver aucun indice suggérant que les fournisseurs oeuvraient mieux avec le code que sans lui. Les conclusions de la Commission ne sont pas surprenantes, dans la mesure où le code est très différent du projet suggéré en 2000. La porte est désormais ouverte à l’OFT, s’il le souhaite, pour se montrer plus sévère dans ses recommandations, espérées depuis longtemps. Le rapport était attendu pour Noël. Il l’est encore. Rien n’a filtré de son possible contenu. Les fournisseurs espèrent au moins un durcissement des objectifs, et que la rédaction du code reflète plus exactement les recommandations originales de la Commission. En outre, il paraît nécessaire d’instaurer une procédure de résolution des conflits qui réponde aux inconvénients du « climat d’appréhension » régnant parmi les fournisseurs. L’OFT pourrait ainsi disposer d’un agent doté de pouvoirs d’enquête en ce qui concerne les éventuelles infractions, de façon à protéger l’anonymat des fournisseurs en cause. La question fondamentale est de savoir si un code de bonne pratique a des chances de jamais pouvoir réguler un domaine de tension persistante entre la distribution et ses fournisseurs. Il est impératif pour les commerçants d’être performants à l’achat : un avantage de 3 % obtenu à l’achat représente deux points de plus sur les profits, soit une hausse de 40 % . Il est impératif pour les fournisseurs d’articles de marques d’obtenir leur référencement, leur emplacement sur les gondoles et leurs opérations promotionnelles, dans un univers où les chalands prennent de plus en plus leur décision d’achat dans le magasin. Nous trouverons les premières réponses à ces questions une fois publié un code qui réponde aux orientations indiquées à l’origine par la Commission de la concurrence. En tout état de cause, un code de bonne pratique est une meilleure solution que celle recommandée par la Commission pour régler la question de la revente à perte, à savoir rien du tout… EXEMPLES DE PRATIQUES APPLIQUEES PAR LES PRINCIPAUX DISTRIBUTEURS 2) Demander ou exiger des fournisseurs des participations financières pour le stockage et la mise en rayon de leurs produits, ou comme condition préalable au référencement. 3) Demander ou exiger des fournisseurs une participation financière pour un meilleur positionnement de leurs produits en rayon. 4) Demander ou exiger des fournisseurs une contribution plus élevée, en contrepartie de l’augmentation de la largeur ou de la profondeur de leur gamme en magasin. 9) Demander ou exiger une contribution financière d’un fournisseur en contrepartie de l’organisation de promotions de ses produits durant l’année. 10) Demander aux fournisseurs des ristournes supplémentaires ou leur versement par anticipation. 11) Chercher à obtenir des fournisseurs des ristournes rétroactives, de manière à diminuer le prix convenu au moment de l’acte de vente. 13) Demander ou exiger une compensation financière d’un fournisseur quand les profits obtenus sont inférieurs aux prévisions (à l’exception des opérations promotionnelles visées au paragraphe 48). 14) Chercher à obtenir le soutien financier d’un fournisseur de façon à être concurrentiel par rapport à l’offre d’un autre détaillant. 16) Demander ou exiger des fournisseurs de couvrir le coût de la détérioration des produits. 17) Demander ou exiger des fournisseurs de racheter les invendus, ou refuser de payer lesdits invendus, hors le cas d’un accord écrit disposant du contraire. 19) Demander ou exiger des fournisseurs qu’ils contribuent au coût de la prospection de nouveaux fournisseurs, à celui d’agences de stylistique ou d’études consommateurs. 21) Ne pas compenser des frais engagés par les fournisseurs en raison des erreurs de prévision du distributeur ou de la modification de sa commande. 22) Imposer aux fournisseurs des charges supérieures aux frais des distributeurs, en raison des plaintes exprimées par les consommateurs ou à cause d’incidents qui ne sont pas dus aux produits, ou pour des prétextes dont le fournisseur n’a pas été averti par écrit. 23) Demander ou exiger des fournisseurs qu’ils participent financièrement à la modernisation ou à l’ouverture de points de vente. 24) Modifier les procédures de la chaîne logistique dans des conditions dont raisonnablement on pouvait escompter qu’elles augmenteraient les charges du fournisseur, sans lui offrir de compensation ni partager avec lui les économies réalisées. 25) Repousser les règlements aux fournisseurs au-delà des conditions contractuelles ou dans un délai supérieur à trente jours date de facture, quand les livraisons ont été faites conformément aux conditions reçues par le fournisseur. 26) Procéder à des discriminations entre fournisseurs par la longueur des délais de paiement. 27) Changer les quantités ou les qualités préalablement convenues d’un produit avec un fournisseur dans un délai inférieur à trois jours, sans lui offrir une compensation pour la perte encourue. 32) Exiger des fournisseurs qu’ils achètent des biens ou services d’entreprises nommément désignées. Dans l’affirmative, le distributeur est prié d’indiquer s’il a reçu une commission et s’il en a fait état à son fournisseur. 38) Imposer aux fournisseurs un prix renégocié à la baisse en contrepartie d’une augmentation de volume, lorsque celui-ci est substantiellement réduit. 39) Augmenter les commandes à prix promotionnels revendues au prix fond de rayon sans offrir de compensation au fournisseur. 40) Vendre un produit étiqueté comme provenant des îles britanniques quand il a été seulement emballé au Royaume-Uni et que ses composants ont été importés. 45) Exiger des fournisseurs de financer de manière préférentielle les coûts de promotions telles que « un acheté, un gratuit ». 46) Lancer une promotion sans l’accord du fournisseur et exiger rétrospectivement de lui qu’il finance ladite promotion. 47) Demander ou exiger des fournisseurs qu’ils réduisent durablement le prix convenu des produits, de façon à soutenir les initiatives marketing initialement programmées. 48) Demander ou exiger des fournisseurs de financer une promotion de leur initiative qui n’aurait pas atteint les objectifs attendus. 49) Exiger du fournisseur qu’il supporte le coût additionnel des emballages commandés par les distributeurs quand les ventes n’atteignent pas les objectifs attendus. 50) Demander ou exiger des fournisseurs de contribuer au coût d’un changement de code à barres ou de prise en charge d’emballages marqués à prix réduits. 51) Inviter les fournisseurs à contribuer à des œuvres caritatives. 52) Demander ou exiger des fournisseurs des paiements pour des promotions telles que têtes de gondole ou frais publicitaires, lorsque lesdites contributions dépassent les frais engagés par les distributeurs.

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