Bulletins de l'Ilec

Refus de consommer ou consommation du refus - Numéro 353

01/05/2004

Par Chris Scott-Wilson, président du comité consommation de l’Association des industries de marque (AIM)

Je ne suis pas particulièrement intéressé par la mode (ni même, oserai-je ajouter, particulièrement à la mode) et je fais rarement attention à ce que portent les gens. Hier, mon regard a pourtant été attiré par l’anorak d’une personne qui marchait devant moi dans la rue. Il portait la devise « No logo ». Cela m’a amusé. No logo, bien sûr, est le titre d’un livre dans lequel Naomi Klein fait le procès des marques. Il est d’une plaisante ironie, par conséquent, que « no logo » soit devenu un logo ! Je me suis alors demandé si l’expression avait été correctement enregistrée, en tant que marque déposée ou en tant que dessin. Après tout, s’il existe un marché pour la marque No logo, madame Klein pourrait se retrouver à la tête d’une multinationale de la mode, tout comme son homonyme Calvin. Ce serait une seyante conclusion. Quoi qu’il en soit, mon camarade à l’anorak exprimait involontairement le sens fondamental de la querelle antilogo. Par sa tenue, il se transformait en sa propre vitrine, une vitrine politique peut-être, mais également une vitrine de mode. Rien ne l’obligeait à affirmer sa position par des procédés agressifs de marketing. Il avait choisi de porter le logo comme un insigne. Le besoin de signe distinctif est profondément enraciné en chacun de nous. Dans toute société et à travers l’histoire – des tatouages tribaux aux blasons des barons féodaux –, les gens ont porté des signes extérieurs liés à leur identité. Si la société a changé, ce n’est pas le cas des individus. Notre apparence constitue toujours un élément essentiel d’interaction sociale. Nous utilisons les vêtements que nous portons afin de faire de nous-mêmes des vitrines, de délivrer des jugements à propos des autres. Le besoin d’insigne joue un rôle important dans le marché des vêtements de marque ; et les fabricants cherchent vraiment à tailler sur mesure leurs produits, afin d’établir une relation particulière, de répondre à un besoin spécifique du consommateur. Toutefois, alors qu’une entreprise, à travers son marketing, peut chercher à associer ses produits à un message, c’est au consommateur de décider si cela correspond à la pertinence du slogan. La suggestion, implicite dans la campagne « no logo », selon laquelle les gens ne choisissent pas librement et rationnellement est d’une folle arrogance. A l’en croire, les fabricants sont en désaccord avec les habitudes de consommation des autres et veulent imposer leurs choix au chaland. Bien sûr, la campagne n’adresse pas ses critiques à des consommateurs individuels. Ce serait leur dénier toute liberté individuelle. Elle prétend que les consommateurs font de mauvais choix, parce que la liberté de choisir est artificiellement contrainte par le marketing des compagnies. Mais cette vision paternaliste des consommateurs, assimilés à des moutons dont on aurait lavé les cerveaux, n’a guère de rapport avec la marque et le marché. Dans le monde réel, la maxime « le consommateur a toujours raison » tient toujours bon. La recette de la réussite en mercatique consiste à trouver ce que veulent les gens, et à le leur donner. Aucun produit n’est lancé, aucune campagne de promotion n’est annoncée, sans de nombreux et coûteux essais destinés à simuler l’accueil par le consommateur. Le produit n’arrivera sur le marché que lorsque ses concepteurs penseront l’avoir bien défini. L’arbitre final sera toujours le consommateur, qui décidera d’acheter ou non. Loin de tenir les consommateurs pour des veaux, les fabricants de biens de consommation et les publicitaires consacrent d’énormes quantités de temps et d’argent à les écouter ; parce qu’en fin de compte une marque à succès n’est pas une marque déposée ni même un produit. C’est l’expression de la volonté du consommateur d’acquérir un objet, la manifestation d’un « droit du consommateur ». Pour conserver ce droit sur un marché concurrentiel, et le marché du vêtement l’est particulièrement, un fabricant doit se distinguer pour faire aux consommateurs une offre valable. L’offre peut être un produit agréable et bon marché, concurrentiel par son prix, ou un produit pour lequel un prix élevé est justifié par une plus grande qualité. Il peut contenir un élément d’identification. Mais quelle que soit la proposition, le succès ou l’échec dépendra du nombre des acheteurs potentiels. Non seulement le consommateur est libre de choisir entre différentes propositions intéressantes, mais différents consommateurs feront des choix différents. La principale charge retenue contre les industries de marque est tout simplement fausse. La marque n’élimine ni le choix ni la concurrence. Pas plus qu’elle ne dénie aux gens l’option de choisir des produits génériques. Il suffit d’observer le succès des marques de distributeur pour s’en convaincre. A contrario, l’existence d’une pluralité de marques offre à chacun un large éventail de choix – des produits bon marché ou génériques aux biens les plus luxueux – et garantit qu’il y en a pour tous. En tout état de cause, si d’aucuns entendent réduire le choix des consommateurs, ce sont ceux-là mêmes qui cherchent à se débarrasser des marques. Restreindre la différenciation entre les produits équivaudrait à réaliser un alignement concurrentiel par le bas, sur les caractéristiques du produit le moins cher, et pas nécessairement le plus satisfaisant. La concurrence par la différenciation qualitative est essentielle, dès lors qu’il s’agit de proposer un choix. Cette évidence a connu récemment au Royaume-Uni une illustration éloquente, au sein du Conseil des admissions à l’Université, qui a fait valoir que les critères de sélection devaient être renforcés. En effet, le nombre croissant de candidats réputés réunir les critères de qualité requis rendait impossible l’identification des meilleurs. Il n’y avait plus moyen de les départager et donc de choisir. La même observation vaut pour le marché des produits. Il y a quelques années, Aer Rianta, l’autorité aéroportuaire irlandaise, a ouvert des boucheries à Moscou. Elle découvrit alors que cette activité devait respecter deux obligations légales. Selon la première, toutes les viandes devaient être vendues au même prix, qu’il s’agît d’un kilo d’aiguillette ou de cartilage. Selon la seconde, aucune marchandise ne pouvait être gaspillée, tout le cartilage devait être vendu. Le résultat de pareil système de contrainte fut la disparition des boucheries. Il n’y avait rien à gagner à la vente de viandes de qualités différentes et rien à espérer de la différenciation qualitative. Surtout, la double obligation légale ôtait tout repère au consommateur. Une politique commerciale de « taille unique » est incompatible avec une demande où s’expriment des besoins, des ressources et des goûts différents. Celui qui est disposé à dépenser un peu plus pour un moreau plus fin éprouve, s’il est obligé de payer moins cher une viande générique, autant d’insatisfaction que celui qui aurait préféré dépenser moins en se contentant de plus bas morceaux. La meilleure façon de satisfaire la demande d’une population hétérogène est de laisser au fournisseur la latitude de différencier son offre en fonction des profils repérables parmi les consommateurs, autrement dit à développer la mercatique de la marque. D’un point de vue personnel, je dois dire qu’une telle conclusion ne m’a pas paru aller de soi, en particulier à propos des vêtements. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis guère sensible à la mode. Avoir été élevé dans une ferme des Pennines me porte d’instinct à privilégier l’aspect utilitaire des choses, et je serais assez porté à partager l’attitude « no logo », n’était qu’elle est fausse. Elle l’est, en premier lieu, parce qu’elle refuse d’admettre la vérité démontrable qu’un marché segmenté et marqueté donne plus de croissance économique, plus d’emplois, et pour chaque consommateur le moyen de trouver ce qu’il souhaite. Il suffit de comparer le marché européen du vêtement avec celui de la Chine communiste. Celui-ci a répondu à une certaine logique, selon un critère strictement utilitaire, en équipant tout le monde de l’habit à col mao. Celui-là est autrement frivole et changeant, mais il produit une richesse considérable et offre aux consommateurs un choix fabuleux. Elle est fausse, de surcroît, parce qu’elle revient à dénier au consommateur la liberté de choisir. Un fabricant de marque qui présente un produit nouveau ne porte pas préjudice à cette liberté. On n’en peut dire autant d’un démiurge qui affirme que le consommateur ne devrait pas exercer son choix comme ci ou se voir proposer un choix comme ça. Le problème avec ce genre d’idéologie populiste est qu’elle entend plier le monde réel et le retailler aux mesures d’une idée simple, voire simpliste. Il n’existe pas plus de recette toute faite que de monde parfait. Le mieux que nous puissions espérer est un monde ouvert au changement, qui soit capable d’adaptation aux besoins des hommes et ainsi d’amélioration. Ce peut être une économie compliquée et frustrante, mais une économie de marché où un choix de produits concurrents se disputent notre attention et nos inclinations offre une meilleure voie que toute autre pour y parvenir. Aussi, bon vent à notre camarade à l’anorak « No logo », à l’ado en survêtement Nike, au cadre tiré à quatre épingles en Armani. Je ne me serais jamais habillé comme eux, mais je souhaite à chacun d’entre eux de tirer satisfaction de son choix.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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