Bulletins de l'Ilec

Plaidoyer nuancé pour la mondialisation - Numéro 354

01/06/2004

La France est-elle en voie de désindustrialisation ? Non, mais… répond Max Roustan, député UMP du Gard, dans son rapport La Désindustrialisation du territoire, mythe ou réalité ?

Statsitiques rassurantes, perception inquiétante La France ne subit pas de désindustrialisation. L’atteste la part de l’industrie dans la création de richesses : 20 % , voire le double, si l’on inclut les services qui y sont liés. Pour autant, il n’est pas un jour sans qu’une usine ferme ses portes. « Il existe un décalage entre des statistiques rassurantes et la perception par le corps politique et social d’une situation plus brutale, faite de disparitions d’établissements et de délocalisations. » Perception souvent biaisée par l’amplification médiatique, qui met les projecteurs sur les faillites et les délocalisations et occulte – excepté Toyota à Onnaing – les nouvelles implantations. A ce débat d’ordre psychologique s’ajoute un problème de nature sémantique. Max Roustan regrette que « le débat mêle indifféremment les notions de désindustrialisation, de délocalisations, de non-localisations, de mutations, d’attractivité, tous termes qui recouvrent des réalités différentes, mais que l’on se doit de relier car ils nous renvoient au jugement sur la compétitivité de notre pays. Les mots ont certes un sens, et il n’est pas indifférent que les pouvoirs publics préfèrent parler de mutations, tandis que la plupart des acteurs économiques évoquent sans détours la désindustrialisation ». Plutôt que de parler de désindustrialisation du territoire, qualifiée de « mythe », Max Roustan préfère souligner la désindustrialisation de territoires, dont les retombées sociales changent selon la densité industrielle : les conséquences économiques et sociales de fermetures d’usines passent quasiment inaperçues dans les régions pluri-industrielles et sont catastrophiques dans les régions de mono-industrie. « Elles illustrent une problématique proprement française de la désindustrialisation. » S’il n’y a pas globalement de désindustrialisation du territoire, la perte d’emplois industriels dans certaines zones constitue une réalité indéniable. Statistiquement, neuf régions de métropole ont perdu des emplois industriels entre 1993 et 2001 : Centre (- 1,3 % ), Champagne-Ardenne (- 4,1 % ), Franche-Comté (- 2,8 % ), Ile-de-France (- 5,2 % ), Lorraine (- 1,8 % ), Nord-Pas-de-Calais (- 4,5 % ), Basse-Normandie (- 1,9 % ), Haute-Normandie (- 7,5 % ) et Picardie (- 5,1 % ). « La perte d’emplois ne signifie pas obligatoirement qu’il y a désindustrialisation. Gains de productivité, dynamisme des entreprises et pertes d’emplois coïncident souvent. La Haute-Normandie a subi de fortes diminutions d’emplois, mais elle demeure fondamentalement une région industrielle », explique le rapport. S’il faut sonner le tocsin, c’est en direction de l’Etat et des collectivités locales qui n’ont pas encore pris « la pleine mesure d’une économie en constante mutation ». Dans la mesure où l’Etat ne peut, en vertu des règles communautaires, soutenir des secteurs ou des filières, « seule l’approche territoriale peut permettre la modernisation de l’industrie », suggère le rapport. Année noire pour l’industrie, 2003 se singularise par une augmentation considérable des fermetures d’entreprises industrielles. Phénomène conjoncturel ou structurel ? Le rapport reconnaît l’incertitude. Qui, du ralentissement de la croissance économique, de la montée en puissance de la Chine, de l’élargissement de l’Union européenne à l’Est, de la financiarisation de l’économie ou des rigidités du droit du travail, est la cause première de la crise ? Question qui, au reste, n’est pas l’apanage de la France, comme en témoignent les fermetures d’usines aux Etats-Unis ou en Allemagne. Et le rapport de regretter que, sur le continent européen, le problème ne puisse être résolu dans le cadre national, puisque les Etats ont perdu prise sur la monnaie, le crédit et le financement de l’économie. L’ère des restructurations de secteurs en difficulté, comme la sidérurgie, le textile ou les chantiers navals, est derrière nous. L’heure est aux mutations, qui, souligne le rapport, « ne sont plus uniquement dictées par des raisons de survie, mais sont également initiées par des entreprises en bonne santé financière et touchent des usines souvent rentables. Il s’agit d’exigences de compétitivité, visant à améliorer encore la rentabilité d’une société, par anticipation de la concurrence, ou sous la pression des actionnaires ». Au-delà de la recherche de moindres coûts de production, raison traditionnellement avancée depuis l’économiste anglais David Ricardo – dans le seul secteur du textile, l’écart entre salariés français et chinois est de 40 –, la conquête de marchés émergents, l’obligation de suivre les donneurs d’ordres (particulièrement dans le domaine automobile) constituent d’autres motifs d’implantation. Ces mutations, aujourd’hui permanentes, induisent dans le jeu social « un principe d’instabilité auquel la France est d’autant moins préparée qu’elle ne dispose pas des outils d’anticipation et d’adaptation qui rendraient acceptable cette nouvelle donne ». Il revient au discours politique de dépasser « les hypocrisies de convenance » pour affirmer haut et fort que les mutations contribuent à la modernisation de notre société, que les secteurs qui délocalisent sont aussi ceux qui créent le plus d’emplois en France. Si le coût social est si élevé ici, « la raison s’en trouve dans les handicaps propres à notre société, dont la résultante est un taux de chômage structurel plus élevé que la moyenne des pays de l’Union européenne ». Sortir des créneaux traditionnels Si, entre 1978 et 2002, l’industrie française a, globalement, perdu 1,5 million d’emplois, il faut tenir compte de l’externalisation et de l’intérim dans les activités de service « qui ne se substituent pas à l’industrie mais accompagnent son essor ou son déclin ». Ils sont passés de 1,5 million de personnes en 1980 à 3,4 millions en 2000. Les créations d’emplois dans le secteur tertiaire proviennent en partie de la recomposition du périmètre des entreprises industrielles. Le rapport rappelle que « la montée en puissance de la Chine et de l’Inde n’est pas l’origine principale des difficultés de l’industrie française, sauf en quelques secteurs. Les investissements français à l’étranger – qu’il s’agisse d’implantations ou de délocalisations – sont infiniment plus importants en direction des Etats-Unis (40 milliards d’euros chaque année) et vers les autres pays de l’OCDE, où se trouve une demande solvable. Chine et Inde doivent plutôt être considérées comme des marchés sources de croissance ». En outre, il y a lieu de s’interroger, pour la France, de s’être maintenue dans des créneaux traditionnels où elle subit de plein fouet la concurrence des pays émergents, alors qu’elle n’est pas assez compétitive dans les secteurs à haute technologie. « Le risque d’une véritable désindustrialisation existe, si notre pays n’est pas capable d’évoluer. Il ne s’agit pas d’un choix entre industries traditionnelles et industries nouvelles, mais d’une obligation d’intégrer plus d’inventivité, de design et de technologie dans nos produits, afin de positionner notre économie vers des productions à haute valeur ajoutée », affirme le rapport. Pour autant, l’industrie maintient sa part dans la création de richesses. Depuis le début des années 90, la valeur ajoutée en volume des industries manufacturées augmente plus rapidement que celle de l’ensemble de l’économie. « Il n’y a donc pas désindustrialisation, mais au contraire croissance de l’industrie », tranche le rapport. Parallèlement, la part de l’emploi industriel n’a cessé de diminuer, passant de 24 % en 1980 à 15,9 % de la population active en 2002. Cette diminution provient, selon le rapport « des gains de productivité des salariés dans l’industrie française, qui ont été parmi les plus élevés du monde, à raison de 4,1 % par an depuis 1990. » Les gains de productivité se répercutent sur les prix, entraînant une baisse relative de la valeur ajoutée, qui réduit le poids relatif de l’industrie dans le PIB. « Ce que nous appelons désindustrialisation est en fait un effet d’optique qui résulte d’un dynamisme industriel. Les gains de productivité ont induit une baisse relative des prix industriels au bénéfice des autres secteurs. » Au nombre des principaux enjeux pour l’industrie française, le rapport préconise le développement des infrastructures de transport, la couverture du territoire par l’internet à haut débit, la réforme du droit du travail vers moins de complexité, la réforme de la taxe professionnelle, le soutien à la recherche et à l’innovation, la formation professionnelle, contrepartie de l’exigence de mobilité à laquelle les salariés sont soumis. Révolution culturelle oblige, « les élus, dépositaires de la souveraineté nationale, se sont enfin emparés du débat sur la désindustrialisation et ne le laissent plus aux seuls mouvements altermondialistes », souligne le rapport. Reste que le décalage entre l’approche macroéconomique et la perception des citoyens pose le problème de la fiabilité du modèle républicain, « dans un pays où l’Etat a toujours été considéré comme l’acteur de la promotion sociale par le système éducatif et le garant de la cohésion sociale par des mécanismes de prise en charge collective. » Face à des changements radicaux sur lesquels la France n’a pas de prise, l’Etat est contraint de redéfinir son rôle en symbiose avec les territoires, en bonne intelligence économique.

Jean Watin-Augouard

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