Bulletins de l'Ilec

Hier, c’est parfois demain - Numéro 357

01/10/2004

Par Jean Watin-Augouard

Enfin ! Pour la première fois, un livre de marketing (Au cœur de la marque, Dunod, 2004) consacre quelques lignes à « l’histoire des marques, outil de communication ». Même tardive, saluons cette prise de conscience. L’auteur, Géraldine Michel, souligne qu’« en faisant appel à leur histoire, les marques cherchent à créer une certaine émotion chez les consommateurs, elles veulent également les rassurer sur leur savoir-faire, leur compétence ». Pour autant, ces observations sont-elles suffisantes pour convaincre les entreprises du rôle du patrimoine dans la valorisation de leurs marques en tant qu’actifs immatériels ? Il suffit de prononcer le mot « histoire » pour que les portes de l’entreprise se referment. C’est oublier que le patrimoine (patermonium) n’est autre que l’héritage du « père », fondateur de l’entreprise. Il revient aux écoles de commerce de sensibiliser les futurs responsables de marques en intégrant, dans leur cursus universitaire, une formation à l’histoire et à la culture qui, aujourd’hui, fait défaut. La marque est un chef-d’œuvre. Hier, le chef-créateur relève un défi – King Gillette invente le rasoir, Louis Renault la prise directe, Dunlop le pneu, Henri Nestlé la farine lactée, etc. –, et ce défi, devenu destin, se prolonge aujourd’hui dans l’œuvre. C’est dans le trait d’union qui unit le chef à l’œuvre que résident le capital de la marque, les racines de sa longévité et certaines clés de sa modernité. Son capital patrimonial n’est autre que celui des hommes et des femmes qui ont construit la marque et continuent de le faire, son savoir-faire, ses produits, sa communication… Animer la marque avec son histoire permet de légitimer son discours pour renforcer son crédit, d’enrichir son imaginaire pour proposer une autre visibilité, de la singulariser pour la distinguer dans un univers concurrentiel, de fidéliser autrement les consommateurs pour en faire des ambassadeurs de la marque, enfin et surtout, de valoriser la marque en tant qu’actif immatériel. Autrefois, quand l’entreprise utilisait son histoire, elle le faisait à deux fins, passéistes : célébrer un anniversaire ou illustrer à travers un livre, toujours hagiographique, les grandes étapes de son histoire. Dans les deux cas, l’histoire était destinée à l’interne et n’était donc pas utilisée comme média de communication. Signe que les temps changent, certains responsables des départements marketing et communication se posent aujourd’hui deux bonnes questions : « Ma marque a-t-elle une histoire, et à quoi peut-elle servir ? » Légitimer le discours. Le consommateur n’achète plus seulement un produit pour satisfaire un besoin ou un plaisir, il achète du sens et du lien. Il achète également de la sécurité et de l’assurance. Il revient alors aux entreprises de forger de nouveaux outils de fidélisation. Et de remiser au placard des accessoires un marketing qui fut d’abord « de masse » (années 60), « de segmentation » (années 80), « de niche » (années 90), pour lui préférer celui nommé aujourd’hui marketing « relationnel » et, demain, marketing « de l’authentique ». Par son patrimoine, la marque s’adresse aux cinq sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût. Autant d’atouts pour s’attacher durablement le consommateur, tisser une relation affective et créer une mémoire des sens. Pourquoi dépenser des millions d’euros dans la construction d’un imaginaire, quand tout est déjà écrit dans l’histoire de la marque ? Et puisque la qualité du produit est devenue le contrat de base de toutes les marques, les entreprises doivent promouvoir leur marque en se fondant sur d’autres avantages comparatifs. Le patrimoine de la marque en est un. Légitimer la prime de marque et créer la préférence. L’entreprise doit proposer un « bénéfice consommateur ». Le patrimoine culturel vient légitimer la prime de marque, sa valeur ajoutée, et donne un avantage concurrentiel évident aux marques de fabricants, un atout majeur que n’ont ni les marques de distributeurs ni a fortiori les premiers prix : leur histoire. A condition de jouer cette carte sur les linéaires, qui manquent cruellement de lisibilité, à cause de la pléthore de l’offre. Légitimer le savoir-faire. Grâce à son histoire, la marque témoigne que le contrat de confiance passé avec ses consommateurs est fondé sur des raisons légitimes et tangibles. A l’heure où l’on parle de traçabilité des produits, preuve de leur qualité, l’histoire n’est-elle pas la meilleure des « traces » ? Elle témoigne des racines de la longévité de la marque et donne des clés pour sa modernité. Légitimer la culture d’entreprise. Comme une nation, une entreprise n’est pas pérenne sans lien social ni mémoire collective. La culture d’entreprise peut être appréhendée comme un outil de gestion en interne, gardien de la mémoire, et comme un outil de prospection. Légitimer la stratégie. Connaître les raisons des succès et des échecs passés, retrouver les chemins de la croissance (Lillet, le Coq sportif, Poulain, Dop, Mini…), remettre au goût du jour d’anciens produits (la 206 CC de Peugeot, adaptation du modèle Eclipse de 1930), être en mesure de gérer une crise, combattre les contrefaçons et les imitations en prouvant l’antériorité, sont autant de raisons qui militent en faveur de la valorisation du patrimoine. Hier, c’est parfois demain ! Pour autant, toutes les marques n’ont pas vocation à promouvoir leur identité à travers leur histoire. Au reste, certaines souffrent de ne pas en avoir, et fabriquent du kitch historique en faisant croire qu’elles ont des racines, alors qu’elles n’ont pas su marquer en profondeur leur temps. Reste à la marque à éviter cinq pièges : la marque « parvenue » se crée une fausse culture, la marque « mensonge » travestit son histoire, la marque « rentière », fière de son passé, oublie d’innover, la marque « secte » prétend normer l’univers mental et social, et la marque «frileuse» qui s’enferme dans son passé. Miroir de son temps, la marque est aussi un acteur incontournable. Il lui revient de tisser avec ses clients un lien affectif durable. Pour créer de la valeur, justifier le contrat de confiance et vendre davantage... Dix-sept outils pour valoriser une marque - Marquer le produit : le nom du créateur, la date de création, un élément du patrimoine publicitaire, le logo, un emballage lié à l’histoire ; - Le personnage publicitaire (mettre au goût du jour le tirailleur sénégalais de Banania, le petit écureuil de la Caisse d’épargne, Bibendum, M. Propre), pour que la marque ne vieillisse pas avec ses consommateurs ; - Le slogan, qui peut rappeler les origines de la marque (Danone signe « depuis 1919 ») ; - Le goût (le parfum d’antan de Bonne Maman) ; - La communication média (presse, affichage, TV, radio) ; - Le dossier de presse : les 70 ans de Dop, les 150 ans de Louis Vuitton… ; - Les objets publicitaires, produits dérivés et déclinaisons à collectionner ; - Les supports audio (CD, DVD) ; - Les supports audiovisuels (films institutionnels) ; - L’événement : exposition Citröen Air France, Orangina… ; - Le livre ou la monographie sur l’histoire d’une marque : Maille, Maggi, Lacoste... ; - Les supports multimédias (musée virtuel Orangina) ; - Des magasins en propre : Maille, Nescafé… ; - Les lieux de vie ou flagships : Peugeot, Renault... ; - Les musées : Perrier, Cointreau... ; - Les Journées du patrimoine (tourisme industriel) ; - Le Louvre des marques, en attente... d’ouverture !

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