Bulletins de l'Ilec

Une constitution “écolo” ? - Numéro 358

01/12/2004

C’est par ces mots que le président de la République s’est engagé auprès des Français à donner à la protection de l’environnement une valeur constitutionnelle. Le 26 juin 2002, le Premier ministre installait la Commission de préparation d’une charte de l’environnement adossée à la Constitution. Présidée par le paléontologue Yves Coppens, la mission a rendu publique, le 15 avril 2003, une proposition de texte constitutionnel. Un an plus tard, le Sénat adoptait, en première lecture et sans modification, le projet de loi constitutionnelle voté par l’Assemblée nationale. Il ne reste plus aux deux chambres qu’à se réunir en Congrès à Versailles, et la Constitution française sera écologiquement correcte. L​‌’ENVIRONNEMENT DANS LE DROIT FRANCAIS Une multitude de textes La prise de conscience de l’importance de la prise en compte des questions environnementales remonte aux années 1970, avec la création d’un ministère de la Protection de la nature et de l’environnement sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas. La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature a ensuite marqué le franchissement d’une étape dans la législation française, avant de servir de modèle pour le droit communautaire. A compter des années 1980, le législateur est intervenu dans de nombreux domaines, donnant lieu à une prolifération juridique. Il fallait à la fois des principes fondamentaux et une codification, ce qui fut fait dans un premier temps en 1995, avec l’adoption de la loi Barnier, maintenant incluse dans le Code de l’environnement. L’influence du droit international et européen « Le silence de la Constitution française sur la question environnementale est devenu d’autant flagrant que le droit international et le droit communautaire, normes concurrentes de la Constitution, ont accueilli toujours plus largement les questions environnementales. » Multiples sont les déclarations de principe qui ont été destinées à fixer la ligne générale de l’action des États en matière d’environnement. Parmi elles, la déclaration de Stockholm de 1972, la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, ou encore la déclaration de Johannesburg de 2002 sur le développement durable. Le Conseil de l’Europe est pour sa part à l’origine de la déclaration de principe sur la lutte contre la pollution de l’air de 1968, de la Charte des sols de 1972 ainsi que de la Charte européenne des ressources en eau de 2001. Conscients de la portée pratique limitée de ces déclarations, les participants des conférences internationales ont recouru à un type d’instrument plus original dans le droit international : les programmes d’action, définissant des tâches à mener par les États et des méthodes à suivre. Ainsi, le programme « Action 21 », adopté à Rio en 1992, s’adresse aux gouvernements des États, aux organisations internationales, et aux acteurs économiques et sociaux de la société civile. La portée symbolique de ces documents et leur influence sur les opinions publiques ne sont pas négligeables. Toutefois, l’insertion de leurs principes dans le droit positif reste à la merci de la bonne volonté des États. En droit européen, le texte le plus important en la matière est l’article 174 du traité CE qui dispose que les objectifs de la Communauté en matière d’environnement sont « la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement, la protection de la santé des personnes, l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement ». Il incorpore les principes retenus lors de la cconférence de Rio : « La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur ». Le droit communautaire a également inspiré une grande partie du droit interne : directive Seveso sur les installations classées, directive Natura 2000 sur la préservation des habitats naturels et des habitats d’espèces… Les directives doivent être transposées dans la législation nationale et s’assimilent alors au droit interne. En outre, la jurisprudence européenne a érigé en principe général du droit communautaire le principe de précaution. Il faut également mentionner la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui, dans son article 37, déclare qu’un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe de développement durable. La future Constitution européenne renforce aussi les possibilités de protéger l’environnement en consacrant comme un droit fondamental l’obligation d’intégrer la dimension environnementale dans toutes les politiques européennes. Enfin les constitutions de plusieurs pays font référence à la protection de l’environnement. Il en est ainsi des constitutions espagnole (art. 45 et 46), portugaise (art. 66) et hollandaise (art. 48.). D’autres constitutions ont été plus récemment modifiées pour intégrer de telles préoccupations, par exemple la Constitution finlandaise en 1999 (art. 20). La Constitution suisse contient, elle aussi, une section IV consacrée à l’environnement et à l’aménagement du territoire. LE CHOIX D​‌’UNE CHARTE A VALEUR CONSTITUTIONNELLE Expression de la volonté présidentielle, le projet de charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité a été développé par la commission Coppens. Une législation insuffisante Le droit français contient, dans le Code de l’environnement, un principe fondamental : « Les espaces, ressources, milieux, sites, paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation. Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration et leur remise en état sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui visent à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. » Suit l’énoncé des quatre principes qui doivent inspirer les politiques de l’environnement : précaution, action préventive et correction, pollueur-payeur, participation. Le droit des Français à un environnement sain, organisé par les lois et règlements, et le devoir de chacun de veiller et contribuer à la sauvegarde et à la protection de l’environnement sont également rappelés. Cependant, la portée juridique de ces principes est fort limitée. L’article L. 110-1 du Code de l’environnement contient dans son propre texte ses limites : il dispose en effet que des lois définissent la porté des principes qu’il énonce. Par conséquent, le juge saisi d’un contentieux sur le respect de ces principes ne peut actuellement se prononcer que sur celui des lois adoptées pour leur application. Une force juridique exceptionnelle La solution retenue a donc été celle d’une charte entièrement contenue dans le préambule de la Constitution et comportant un exposé des motifs assez solennel, attirant l’attention sur les risques liés à l’évolution des sociétés et à leur usage de la planète, suivi de dix articles organisés selon un ordre très cohérent reconnaissant certains droits et affirmant certains devoirs et principes d’action dans le domaine de l’environnement. L’intégration au bloc de constitutionnalité de la Charte aura pour principal effet qu’aucun texte, qu’il soit issu du droit interne, communautaire ou international, ne puisse être rendu exécutoire s’il est contraire aux principes consacrés par la Charte. LA CONSTITUTIONNALISATION DE PRINCIPES ENVIRONNEMENTAUX Le préambule de la Constitution énoncera désormais : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. » Suivent dix articles destinés à établir les droits et devoirs des Français en matière d’environnement, précédés par sept considérants. Ces derniers, qui figurent à l’article 2 du projet de loi, forment la partie déclaratoire de la Charte. Ils visent à éclairer les Français sur le contenu de la Charte. Ils n’ont en revanche aucune force normative. Expression d’une écologie humaniste, les considérants comportent la reconnaissance de l’importance des ressources et des équilibres naturels pour l’avenir de l’être humain. Ils constatent l’influence croissante de ce dernier sur les conditions de vie et sur son évolution : partant des questions globales de l’humanité, ils se focalisent progressivement sur les orientations politiques qui doivent guider la nation dans le présent. Comme l’a relevé le professeur Michel Prieur, l’homme ou l’humanité figurent dans six considérants sur sept, illustrant le choix d’une écologie humaniste. En revanche, on ne relève aucune mention suggérant une personnification de la nature, considérée en soi. Les générations futures sont visées au titre du développement durable. Prudente, la Charte de leur reconnaît pas de droits, mais rappelle que les choix actuels ne doivent pas compromettre leur capacité à satisfaire leurs propres besoins. Enfin, l’article 3 du projet de loi inclut la préservation de l’environnement dans le champ de compétence du législateur défini à l’article 34 de notre Constitution. Les droits et devoirs reconnus dans la Charte Le droit à un environnement de qualité En premier lieu est reconnu le droit pour « chacun » de « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Ainsi, la protection de l’environnement n’est pas assurée pour la nature en elle-même, mais pour l’homme. L’utilisation du mot « chacun » n’est pas anodine : elle signifie que ce droit n’est reconnu qu’aux personnes physiques. Par ailleurs, le législateur devra déterminer les modalités d’application de ce droit. Le devoir de préservation de l’environnement Pendant du droit définit à l’article 1 de la Charte, le devoir, pour toute personne – c’est-à-dire non seulement les personnes physiques mais aussi les personnes morales –, de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement est volontairement exprimé en termes généraux (article 2). La Charte pose donc une obligation de participation de tous à la protection de l’environnement, selon les moyens de chacun. Le principe de prévention Le principe de prévention est affirmé à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Il est repris dans la charte à l’article 3 : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. » Là encore, l’objectif fixé est de portée générale. Il s’applique aux personnes physiques comme aux personnes morales. En outre, il est expressément fait appel au législateur pour en déterminer les conditions de mise en œuvre. Enfin, le principe ne présente pas un caractère absolu. Si les atteintes à l’environnement ne peuvent être empêchées, « à défaut » il convient d’en « limiter les conséquences ». La réparation des dommages L’article 4 précise le devoir de réparation qui s’impose à toute personne. Ce nouveau devoir va au-delà du principe de « pollueur-payeur » connu en droit de l’environnement, notion à laquelle la Charte ne se réfère d’ailleurs pas expressément. L’obligation est posée dans des termes plus larges : elle permet la réparation de dommages écologiques purs, à distinguer des dommages patrimoniaux. Dès lors que l’article 4 pose une exigence générale de réparation, prenant en compte l’ensemble des dommages directs et indirects à l’environnement, il ne pouvait pas imposer une réparation intégrale. Il fixe donc l’orientation générale : la contribution de toute personne aux dommages qu’elle cause à l’environnement. À charge pour le législateur d’en définir les conditions. La première condition a trait à l’étendu de l’obligation de réparation : toute personne doit « contribuer » à la réparation du dommage, en fonction de sa gravité, de son caractère direct, éventuellement de son caractère volontaire (dégazage en mer par exemple) ; la réparation pourrait être partielle ou totale. La deuxième condition a trait à la mise en œuvre de l’obligation de réparation, laissée au choix du législateur : écotaxe, remise en état ou fixation de normes antipollution… La promotion du développement durable L’article 6 assigne aux politiques publiques le devoir de promouvoir le développement durable et de concilier à cette fin la protection de l’environnement, le développement économique et le progrès social, sans en donner la définition, laquelle se trouve à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement : l’objectif de développement durable « vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs ». Le développement durable repose sur trois piliers : économique (objectif de croissance et d’efficacité économique) ; social (recherche de l’équité et de la cohésion sociale) ; écologique (amélioration et valorisation de l’environnement). La Charte invite à une conciliation équilibrée entre ces trois éléments. L’obligation vise le législateur et le pouvoir réglementaire, seuls à même de mettre en place des « politiques publiques ». L’éducation et la formation à l’environnement L’article 8 dispose que l’éducation et la formation doivent contribuer à l’exercice des droits et des devoirs prévus par la Charte. Il s’agit essentiellement de l’expression d’une volonté politique forte, que les orientations pédagogiques pourront relayer dans l’élaboration des programmes. Le concours de la recherche et de l’innovation Aux termes de l’article 9, la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement. Le constituant souligne ainsi que la recherche, au rebours des craintes parfois exprimées, peut et doit jouer un rôle positif sur l’environnement. Elle paraît en second lieu indispensable, compte tenu de la part dévolue à l’expertise scientifique dans la mise en œuvre des principes de prévention et de précaution. L’action européenne et internationale de la France L’article 10 rappelle que la défense de l’environnement ne prend tout son sens que dans le cadre d’une action internationale. La référence à l’action européenne et internationale de la France traduit également le rôle exemplaire que notre pays entend jouer pour promouvoir les questions liées à l’environnement dans les enceintes internationales. La Charte, par la valeur qu’elle confère à plusieurs principes essentiels du droit de l’environnement, renforcera les positions défendues par notre pays. Les limites Le recours au principe de précaution dans des conditions exceptionnelles Dans la législation française, l’expression « principe de précaution » a été employée pour la première fois dans la loi Barnier. Elle est aujourd’hui affirmée dans l’article L. 110-1 du Code de l’environnement, qui prévoit que les politiques de l’environnement s’inspirent du principe de précaution, « selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économique acceptable ». Ce principe a été étendu à d’autres domaines, telles la santé ou la sécurité alimentaire. Le régime de l’application du principe de précaution établi par la Charte dans son article 5 est cependant défini de façon stricte, ce qui en limite grandement la portée. En effet, la mise en œuvre de procédures de précaution ne pourra être possible qui si trois conditions sont réunies simultanément, ce qui n’arrivera vraisemblablement que dans des cas exceptionnels. Il faut à la fois : un risque de dommage à l’environnement, une incertitude scientifique sur l’existence de ce risque, des effets éventuels à la fois graves et irréversibles. Il faut par conséquent souligner que le principe de précaution reconnu dans la Charte ne vise que les dommages environnementaux, et non pas ceux causés à la santé publique. La mise en œuvre du principe de précaution est en outre conférée aux autorités publiques uniquement. Ce sont elles qui seront chargée de veiller à l’adoption de mesures de précaution et la mise en œuvre de procédures d’évaluation. Lesdites mesures devront être « provisoires » et « proportionnées ». Le droit à l’information et à la participation L’article 7 de la Charte reprend sur ce point les obligations fixées dans la convention d’Aarhus, entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002. Il pose, d’une part, un droit d’accès aux informations obtenues par les autorités publiques dans le domaine de l’information et, d’autre part, un droit de participation à l’élaboration des décisions publiques susceptibles de présenter un impact sur l’environnement. S’agissant de ces droits, le législateur est appelé non seulement à en déterminer les conditions, mais à en fixer les limites. Car ces droits doivent être conciliés avec d’autres droits fondamentaux, tels le secret de la vie privée, la propriété, les intérêts de l’État relatifs à la sécurité publique et à la défense nationale. Par ailleurs, le principe de participation est limité aux informations et aux décisions relevant des autorités publiques. L’absence de sanctions Seule le principe de précaution posé à l’article 5 de la Charte est de portée directe. Lui seul pourra donc être directement invoqué par les justiciables devant les juridictions. Les autres droits et devoirs définis par la Charte ne sont accompagnés d’aucune sanction en cas de violation. Ils ne seront applicables qu’en cas de saisine du Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi.

Anne de Beaumont

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