Bulletins de l'Ilec

En avant, marges ! - Numéro 360

01/02/2005

Entretien avec Louis-Claude Salomon, président de l’Ilec

Quels objectifs avaient présidé à l’accord du 17 juin 2004 ? Louis-Claude Salomon : Le passage a l’euro avait perturbé les consommateurs, qui sont aussi des électeurs. Ne pouvant agir sur l’impôt pour augmenter le pouvoir d’achat des Français, le ministre des Finances, Nicolas Sarkorzy, a choisi de faire baisser les prix, et plus particulièrement ceux des grandes marques, qui augmentaient. De fait, la loi Galland interdisait tout transfert de la coopération commerciale, qui ne cessait de croître, dans les prix des grandes marques, creusant ainsi l’écart avec les marques de distributeurs et les premiers prix. L’objectif était à la fois politique et économique, pour relancer la consommation. La relance-t-on uniquement en augmentant le pouvoir d’achat ? L.-C. Salomon : Ce n’est pas suffisant. Sans la confiance, il n’est pas de relance possible et durable. Pourquoi la baisse des prix de 2 % concerne-t-elle des catégories spécifiques de produits (rayon alimentaire, hygiène-beauté et entretien, soit cinq mille produits) à marques d’industriels et exclut-elle les marques de distributeurs ? L.-C. Salomon : Rappelons que l’objectif premier de Nicolas Sarkozy était de faire baisser les prix de 5 %  ! Les catégories retenues sont celles où la fréquentation de l’achat est importante, ainsi que la perception du prix, et le texte de l’accord portait sur les grandes marques. Les marques de distributeurs en étaient donc exclues, mais les distributeurs se sont empressés de baisser leur prix, ajoutant à la surenchère à la baisse. Combien la baisse représente-t-elle, en termes de chiffre d’affaires, pour les adhérents de l’Ilec ? Combien ont signé ? L.-C. Salomon : Le coût est d’environ 400 millions d’euros par an, alors que les distributeurs sont allés au-delà du 1 % demandé sur les marques d’industriels, en faisant baisser le prix de leurs propres marques. Nous ne comptabilisons pas le nombre d’adhérents qui ont signé, puisqu’il s’agit d’un accord « volontaire », auquel chaque entreprise est libre de s’associer. Cependant, les remontées qui nous parviennent de la part des distributeurs nous laissent penser que 60 % de nos adhérents ont signé. Depuis le 1er septembre 2004, l’accord sur la baisse des prix s’est appliqué, mais sur une courte durée. Pourquoi ? Certains industriels traînent les pieds, des distributeurs ont péché par excès de zèle en affichant des baisses de prix sans concertation préalable avec les fabricants… L.-C. Salomon : Aujourd’hui, industriels et distributeurs n’ont pas encore trouvé un terrain d’entente. Michel-Edouard Leclerc proposait une baisse de 2 % linéaire, quand l’Ilec suggérait, pour qu’il y ait une incidence sur la perception des prix et un impact sur le volume, des baisses pondérées par catégories de produits. Sur le terrain, les deux propositions ont été appliquées, ajoutant à la confusion et créant des problèmes pour régler le cofinancement. Leclerc ne voulait pas cofinancer une baisse de 10 % du prix de Fructis ou de 18 % de celui d’Always, par exemple. Si certains industriels ont un peu traîné des pieds, c’est parce qu’ils avaient l’œil rivé sur leur compte d’exploitation, alors que les distributeurs, eux, étaient directement sous la pression des consommateurs. Comment partager le financement de la baisse des prix ? L.-C. Salomon : Des règles ont été établies, fondées sur le prix de facture de l’industriel, duquel 2 % sont déduits et financés à égalité par l’industriel et le distributeur. L’impact sur les consommateurs est pratiquement sans effet ! L.-C. Salomon : Faute d’une communication commune et d’une mise en œuvre cohérente, la perception des prix n’a guère été modifiée. D’autant moins que, dans le même temps, les NIP (nouveaux instruments promotionnels) ont proposé des baisses de 10 à 15 % qui ont ajouté à la confusion. La surenchère des distributeurs n’a pas clarifié l’offre. Qui doit fixer le prix de vente ? L.-C. Salomon : Le prix de revente, ou prix consommateur, est sous la responsabilité exclusive du distributeur. Il revient à l’industriel et à lui seul de fixer son prix de vente au distributeur. Depuis la loi Galland, le distributeur, pour ne pas être défavorisé par rapport à ses concurrents, a décidé, pour un certain nombre de produits de marques, d’aligner son prix de vente consommateur sur le prix d’achat. Il a donc une marge nulle ! Des milliers de produits de grandes marques, vendus à marge zéro par la grande distribution, ont conduit les distributeurs à augmenter la coopération commerciale avec des fausses prestations de service, ou avec des prestations au prix surestimé. La marge arrière est venue suppléer l’absence de marge avant. L’industriel s’est adapté aux nouvelles demandes de la distribution, espérant gagner sur l’effet volume. Aujourd’hui, les marges arrière atteignent 33 % et ne vont jamais dans le prix consommateur. Grâce à leurs marges garanties par les industriels, les distributeurs ont pu financer leur internationalisation. Quels sont les effets pervers de la revente à perte ? L.-C. Salomon : Les marques étaient prises en otage pour accélérer le trafic consommateur du distributeur. Leurs prix étaient entraînés vers le bas et les forces de vente des industriels jouaient les pompiers de service. Ce système créait un climat de suspicion autour de la marque, nuisait au compte d’exploitation des industriels, à la qualité de travail des forces de vente, et au sérieux des conditions commerciales. Quel bilan pour la loi Galland ? Que souhaite l’Ilec ? L.-C. Salomon : La loi Galland a eu le mérite de supprimer la revente à perte, mais elle a encouragé le dérapage de la coopération commerciale. Autant nous sommes favorables à la coopération commerciale utile, autant nous souhaitons sortir d’un système infernal qui ne profite pas aux consommateurs. Nous souhaitons conserver un seuil de revente à perte pour éviter les prix prédateurs et fixer un seuil en baisse de l’ordre de 15 % , ce qui permettrait de faire passer le montant de la coopération commerciale à un niveau tel qu’il oblige le distributeur à opérer une péréquation entre ses catégories de produits. Au-delà du problème des marges arrière, il serait bon de s’interroger sur les causes profondes. Aujourd’hui, la distribution française est très concentrée, puisque cinq grands groupes réalisent plus de 95 % des ventes. Il serait peut être opportun de s’interroger sur ce système, qui place les industriels dans une situation de dépendance. Deuxième cause : les centrales d’achat de type IRTS (Casino et Auchan) dont les conditions d’achat sont transparentes, ce qui heurte le principe de prohibition des ententes. Qu’a apporté le rapport de la commission Canivet ? L.-C. Salomon : Il a mis un peu d’ordre dans les déclarations contradictoires des partenaires. Il vise au rétablissement progressif la concurrence entre les enseignes, préconise de passer au « trois fois net », seuil de prix de revente à perte optimum pour donner à l’enseigne la possibilité d’établir ses propres marges. Le départ de Nicolas Sarkozy a-t-il changé la donne ? L.-C. Salomon : Nicolas Sarkozy voulait modifier rapidement la loi Galland de façon visible et mesurable, pour relancer la consommation. Son successeur, Christian Jacob, se fondant sur le cas hollandais où la baisse des prix a eu des effets pervers en termes de consommation et d’emplois, veut agir avec précaution. Le gouvernement souhaite toujours modifier la loi Galland, mais après réflexion. Ce qui a conduit à la création de la commission Chatel qui a refait le même travail que la commission Canivet mais avec d’autres interlocuteurs, dont certains hostiles à la réforme. Quels sont les points d’entente et les espaces de négociation ? L.-C. Salomon : Il n’y a aucune ligne directrice commune, aussi bien chez les industriels que chez les distributeurs. Des divergences apparaissent tant à l’intérieur de la FCD que chez les indépendants. Intermarché, en difficulté actuellement avec l’enseigne Spar en Allemagne, ne l’entend pas de la même oreille que Leclerc. Au sein de la FCD, Monoprix n’a pas le même discours que Carrefour car sa crainte est de devenir une enseigne très chère, si la loi Galland est réformée. Discours presque identique chez Casino. Chez Carrefour, les actionnaires renâclent. Du côté des industriels, la Feef rassemble les PME, fabricants de marques de distributeurs dont les intérêts divergent de ceux des grands marques. L’Ania ne parvient pas non plus à recueillir l’unanimité de ses adhérents, dont certains fabriquent des marques de distributeurs. S’il est un point commun à l’ensemble des partenaires, c’est le dialogue de sourd et la langue de bois ! Les pouvoirs publics sont donc devant un dilemme. Soit ils ne veulent mécontenter personne, politiquement, et la conséquence sera que rien ne changera, ou presque ; soit ils raisonnent économiquement, pour le bien du consommateur, et ils changent profondément la donne comme l’a recommandé la commission Canivet.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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