Bulletins de l'Ilec

La revente à perte en tant que pratique restrictive état des lieux de la législation en Europe - Numéro 360

01/02/2005

La France été le premier pays européen à adopter des règles spécifiques en la matière. Ce sont les articles L. 442-2 et suivants du code de commerce qui posent le principe de l’interdiction de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit au-dessous du prix d’achat effectif, notion qui détermine le seuil de revente à perte. Le prix d’achat effectif est le prix unitaire figurant sur la facture, majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport. L’article L. 442-4 définit plusieurs exceptions à cette interdiction (1). Les manquements aux dispositions relatives à la revente à perte sont des délits punis d’une amende de 75 000 euros pour les personnes physiques et 375 000 euros pour les personnes morales. En outre, cette amende peut être portée à la moitié des dépenses publicitaires si l’annonce fait état d’un prix inférieur au prix d’achat effectif. D’autres pays se sont dotés de règles similaires. L​‌’ESPAGNE, LE BON ELEVE Des dispositions spécifiques ont été adoptées avec la loi n° 7/1996 relative à la protection du commerce de détail qui, dans son article 14, dispose qu’il y a « vente à perte lorsque le prix appliqué à un produit est inférieur à celui de l’acquisition selon la facture, déduction faite de la partie proportionnelle des remises y figurant, ou au prix de remplacement si celui-ci est inférieur au premier cité, ou au coût réel de production si l’article a été fabriqué par le commerçant lui-même, majorés des parts des impôts directs grevant l’opération ». Comme en droit français, certaines ventes sont expressément exclues du champ d’application de cet article. Il s’agit des ventes de produits détériorés, défectueux, démodés ou obsolètes, de denrées périssables, ainsi que des ventes liquidatives, c’est-à-dire ordonnées par décision de justice ou administrative. L’article 14 exclut de la prohibition l’hypothèse de l’alignement sur les prix d’un concurrent. Il précise le prix de référence à retenir pour le calcul du seuil de revente à perte : il s’agit de celui qui figure sur la facture, déduction faite des remises. Les sommes versées au titre de la coopération commerciale ne peuvent être prises en compte afin d’abaisser le seuil de revente à perte (article 14-3). Sous l’empire de la loi n° 7/1996, c’est surtout le portefeuille de l’auteur de l’infraction qui est visé. La vente et la revente à perte sont considérées par l’article 65 comme des « infractions graves », la récidive entraînant la qualification d’« infraction très grave (2) ». Enfin, l’Espagne étant constituée de régions autonomes, des législations spécifiques, inspirées du droit national, peuvent coexister avec celui-ci. Ainsi, l’article 40 de la loi n° 16/1999 du 29 avril 1999, relative au commerce intérieur de la communauté de Madrid, prohibe la vente et la revente à perte en se référant expressément à l’article 14 de la loi n° 7/1996. DES DISPOSITIONS CONTESTEES EN IRLANDE La revente à perte est prohibée en Irlande par le Restrictive Practices (Groceries) Order de 1987. Aux termes de son article 11, un distributeur n’est pas autorisé à commercialiser des produits à un prix qui, déduction faite de toute remise ou autre avantage obtenus lors de l’achat, est inférieur soit au prix net facturé par le fournisseur, majoré des frais de transport et d’assurance s’ils ne sont pas mentionnés sur la facture et ont été versés par le distributeur au fournisseur, soit au prix net facturé, TVA comprise dans les deux hypothèses. Dans un rapport publié en 2000 par un groupe de travail chargé d’une réflexion sur la réforme de ce texte (3), il a été proposé que l’ordonnance soit abrogée et que l’interdiction de la revente à perte ne soit pas réintroduite dans la législation irlandaise. En 2004 cependant, l’ordonnance, qui est mise en œuvre par la direction de la consommation et non par l’autorité de la concurrence, était toujours en vigueur. Elle a d’ailleurs été appliquée par le tribunal de Clonmel le 25 mai 2004 à l’encontre des magasins Dunnes, qui se sont vu condamner à deux amendes – symboliques – de 500 euros pour avoir vendu à perte des produits surgelés. UNE PROHIBITION QUI NE CONCERNE QUE LES MARCHANDISES EN BELGIQUE La loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur vise à garantir la loyauté de la concurrence et des relations commerciales. Son article 40, qui pose le principe de l’interdiction de la revente à perte, est plus détaillé que le droit français : « Il est interdit à tout commerçant d’offrir en vente ou de vendre un produit à perte. Est considérée comme une vente à perte toute vente à un prix qui n’est pas au moins égal au prix auquel le produit a été facturé lors de l’approvisionnement ou auquel il serait facturé en cas de réapprovisionnement. Est assimilée à une vente à perte toute vente qui, compte tenu de ces prix ainsi que des frais généraux, ne procure qu’une marge bénéficiaire extrêmement réduite. Pour apprécier le caractère normal ou exceptionnellement réduit de la marge bénéficiaire, il sera tenu compte notamment du volume des ventes et de la rotation des stocks. » Les exceptions à l’interdiction sont posées à l’article 41. Il s’agit, entre autres, des ventes en solde, en liquidation ou en vue d’écouler des produits susceptibles d’une détérioration rapide et dont la conservation ne peut plus être assurée. Dans certains cas, le roi peut déterminer la marge de bénéfice minimale en dessous de laquelle une vente est réputée à perte. Les dispositions belges ne s’appliquent qu’à la vente à perte de produits et excluent celle des services (4). DES EXCEPTIONS A LA PROHIBITION DETAILLEES EN ITALIE Aux termes de l’article 1 du décret présidentiel n° 218/2001, la revente à perte se définit comme toute « vente au public d’un ou plusieurs produits à un prix inférieur au prix d’achat, majoré de la TVA et le cas échéant de toute autre taxe et déduction faite de toute réduction se rapportant directement au produit ». Le même article considère la pratique comme illégale lorsque le vendeur détient 50 % ou plus de la surface totale de vente existant dans la province italienne concernée, que la vente à perte a lieu plus de trois fois par an, qu’elle dure dix jours et plus, ou qu’elle concerne plus de cinquante produits chaque fois. Le décret prévoit également, dans son article 2, que la prohibition de la revente à perte ne s’applique pas aux aliments frais et périssables, aux produits alimentaires dont la date de péremption est proche (trois jours), aux produits de fête traditionnels et à ceux dont la valeur commerciale est diminuée de manière significative, en raison de la modification de la technique de production utilisée. La revente à perte est également autorisée lorsque le siège social ou la marque de l’entreprise sont modifiés. Cette dernière exception ne peut cependant être invoquée qu’une fois tous les cinq ans. L’article 5 du décret prévoit que l’autorité de contrôle peut prononcer une sanction pécuniaire de 500 à 3 000 euros pour violation de l’interdiction. L​‌’ALIGNEMENT SUR LES PRIX D​‌’UN CONCURRENT TOLERE AU PORTUGAL L’article 3 du décret-loi n° 370/93 du 29 octobre 1993 interdit la revente ou l’offre de revente de produits à un opérateur économique ou à un consommateur à un niveau inférieur à leur prix d’achat effectif, augmenté des taxes applicables à l’opération et, le cas échéant, des coûts de transport. En application du paragraphe 2 de cet article, le prix d’achat effectif est celui qui apparaît sur la facture, déduction faite des remises qu’elle mentionne ou, à défaut, de celles qui figurent dans les conditions de vente ou dans les barèmes de prix du fournisseur, qui sont déterminables au moment de l’émission de la facture et qui sont directement liées à la transaction. Selon le paragraphe 3, sont directement liées à la transaction les remises quantitatives, les remises financières, ainsi que les remises promotionnelles, dans la mesure où elles sont identifiables quant au produit, aux quantités concernées et à la période pendant laquelle elles sont en vigueur. C’est au vendeur qu’il appartient d’apporter la preuve du montant du prix d’achat effectif, ainsi que, le cas échéant, des éléments de fait justifiant le recours, à titre exceptionnel, à une pratique de revente à perte. La prohibition des reventes à perte n’est pas applicable à certaines catégories de produits, tels les produits périssables ou obsolètes, ou lorsque le distributeur s’aligne sur les prix pratiqués par un concurrent. UNE INTERDICTION INTRODUITE EN GRECE EN 2001... Selon l’article 24 de la loi N2941/2001, la vente au détail de marchandises à un prix fixé en deçà du coût d’achat est interdite, lorsqu’elle met en danger un certain segment de marché ou si elle porte atteinte d’une façon substantielle aux principes de la concurrence et aux intérêts des consommateurs. Le coût d’achat est défini par le prix unitaire du produit mentionné sur la facture, déduction faite de toute remise concernant ce produit et TVA comprise, majoré de toutes les taxes et charges, tels les coûts de transport s’ils n’ont pas été inclus dans la facture. Dans le cas de vente par lot moyennant un prix unique, si le fournisseur ne facture pas celui-ci à un prix spécial, le coût d’achat est égal à la somme des coûts de chaque produit. Lorsque les produits proviennent de plusieurs fournisseurs, il est tenu compte de chacune de leurs factures respectives. Enfin, lorsqu’une réduction de prix mentionnée sur la facture porte sur plusieurs produits, elle est divisée à due proportion. Par exception, les reventes à perte sont autorisées pour les produits périssables dont la date de péremption est proche ainsi que pour les stocks entiers pour lesquels le tarif du fournisseur a été abaissé, quel qu’ait été le prix d’achat initial. Les ventes avec coupons de réduction abaissant le prix final du produit en deçà du coût d’achat sont autorisées, dès lors que les coupons sont crédités par le fournisseur. Le crédit du coupon du fournisseur doit être mentionné sur sa facture ou sur tout autre document qui émane de lui. La revente à perte est aussi autorisée lorsqu’elle intervient lors de la dissolution de la firme ou de l’une de ses branches. Enfin, les dispositions de la loi s’appliquent également sous réserve de celles prévues en faveur des ventes à prix réduits de produits en fin de saison ainsi que de celles autorisées dans le cadre d’offres spéciales. Le contrôle de l’application relève de la direction des prix alimentaires et des produits industriels du ministère du développement, ainsi que des départements du commerce dans chaque préfecture. Une pénalité de 0,5 % du bénéfice brut de l’année précédente est encourue en cas d’infraction. Ce taux peut atteindre 3 % en cas de récidive. ...ET AU LUXEMBOURG EN 2002 Une refonte significative du droit de la concurrence a été entreprise avec la loi du 30 juillet 2002, qui élargit la notion de vente à perte à l’offre et à la fourniture de prestations de services. L’article 20 dispose qu’il est « interdit à tout commerçant, industriel ou artisan d’offrir en vente ou de vendre au consommateur un bien ou une prestation de services à perte. La même interdiction s’applique au grossiste toutes les fois où le commerçant-détaillant se trouve sous la dépendance juridique ou économique du commerçant-grossiste ». Est considérée comme vente à perte « toute vente à un prix qui n’est pas au moins égal au prix auquel le produit a été facturé lors de l’approvisionnement ou auquel il serait facturé en cas de réapprovisionnement, si ce dernier prix est inférieur… Par prix facturé, on entend le prix effectivement déboursé, déduction faite des rabais ou remises de toute nature consentis par le fournisseur au moment de la facturation directement liés à l’opération. » Une exception a été ajoutée, qui concerne les biens spécialement offerts en vue de répondre à un événement ou engouement éphémère, s’il est manifeste que ces biens ne peuvent plus être vendus aux conditions normales du commerce lorsque est passé l’événement. L’infraction est susceptible de faire l’objet d’une action en cessation devant le magistrat présidant la chambre du tribunal d’arrondissement siégeant en matière commerciale et d’une amende de 251 à 120 000 euros en cas de non-respect de l’injonction du juge. La pratique de revente à perte peut aussi tomber sous le coup du droit de la concurrence en raison de ses effets sur le marché, lorsqu’elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante. Il ne s’agit plus alors d’une pratique restrictive de concurrence mais d’un comportement anticoncurrentiel, constitutif d’un abus (5). Elle peut enfin être appréhendée sous l’angle de la concurrence déloyale (6). Le bien-fondé de la prohibition de la revente à perte est régulièrement remis en cause par les institutions communautaires. En 2001, la Commission avait déjà proposé, sans succès, sa suppression dans sa communication relative aux promotions des ventes (7). Elle a récidivé en 2004 dans une proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur (8). Le texte encadre précisément les exigences des États membres pour autoriser l’établissement d’un prestataire de service ou l’exercice d’un service. A propos de la revente à perte, la proposition invite les États membres à évaluer « les interdictions et obligations en matière d’activités de ventes à perte et de soldes » au regard des principes posés par la directive (9). (1) Liquidation, fins de saisons, obsolescence technique, réapprovisionnement à la baisse, alignement sur un prix plus bas légalement pratiqué dans la même zone d’activité par les magasins dont la surface de vente n’excède pas 300 m2 pour les produits alimentaires et 1 000 m2 pour les produits non alimentaires, produits périssables menacés d’altération rapide. (2) Les infractions graves sont punies, aux termes de l’article 68, par 3 000 à 15 000 euros d’amende. Les infractions très graves se voient gratifiées d’amendes comprises entre 15 000 et 600 000 euros, la troisième récidive pouvant entraîner la fermeture temporaire du commerce pour une durée maximale d’un an. (3) Competition Authority, Response to the Competition and Merger Review Group - Report on the 1987 Groceries Order, Discussion Paper n° 10, février 2000. (4) Jugement du tribunal de commerce de Charleroi du 16 janvier 1998. (5) Cf. l’article 35§1,5) de la loi autrichienne de 1988 sur les cartels ; l’article 9-2-b de la loi maltaise de 1994 ; l’article 8-2-1 de la loi slovaque 15 décembre 2000 ; aux termes de l’article 20-4 de la loi allemande sur les restrictions de concurrence, amendée en 1999 : « Les entreprises qui sont en position de force sur le marché vis-à-vis de petits et moyens concurrents ne doivent pas exploiter cette position afin d’entraver, directement ou indirectement et de manière inéquitable, les activités de ces concurrents. Il y a pratique anticoncurrentielle au sens de la première phrase notamment si une entreprise qui offre des marchandises ou des services commerciaux pratique des ventes à perte systématiques, à moins que cela ne soit justifié par les faits. » (6) Cf. par ex. l’article 17 de la loi espagnole n° 3/1991 du 10 janvier 1991 sur la concurrence déloyale qui prohibe la vente et la revente à perte lorsqu’elle sont susceptibles d’induire en erreur sur le niveau de prix des autres produits commercialisés, et lorsqu’elles visent à discréditer ou à éliminer la concurrence. (7) COM(2001)546 final. (8) COM 2004/2 final. (9) Non-discrimination ; nécessité (justification par une raison impérieuse d’intérêt général) ; proportionnalité (l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante).

Anne de Beaumont

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