Bulletins de l'Ilec

Les voies d’un nouvel hypermarché - Numéro 361

01/03/2005

Entretien avec Philippe Cahen, consultant en prospective

L’hypermarché traverse-t-il une crise conjoncturelle ou durable ? Philippe Cahen : Les causes de l’essoufflement du modèle hypermarché sont de nature démographique, géographique et économique. Sur le plan démographique, deux grandes catégories de population se distinguent: les moins de 35 ans et les plus de 50 ans. Ces derniers, qui ont vu naître l’hypermarché, le considèrent comme un signe de modernité, ils sont fidèles à ce concept qui leur a permis de bénéficier des Trente Glorieuses, grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat mais le nombre de personnes dans leur foyer ne justifie plus de s’y rendre aussi souvent. Pour les moins de 35 ans, l’hypermarché est une contrainte, une obligation, une image du passé liée aux courses du samedi après-midi avec papa et maman. Sur le plan budgétaire, il occasionne des dépenses supplémentaires que les moins de 35 ans jugent superflues. La crise de l’hypermarché tient une de ses causes dans une rupture générationnelle. Sur le plan géographique, les hypermarchés, pour la plupart implantés durant les années 1960 à 1980 à la périphérie des villes, se situent aujourd’hui dans des zones résidentielles, habitées par une population au pouvoir d’achat supérieur à la moyenne. De périphériques, ils sont devenus urbains. Parallèlement, les catégories sociales à faible revenu ont migré vers la quatrième ou cinquième couronne, là où il n’y a pas d’hypermarchés mais des commerces de proximité, des petits supermarchés et des discompteurs. Le concept de l’hypermarché a donc vieilli avec sa clientèle, qui ne s’identifie plus avec la consommation de masse. Enfin, la société de consommation a changé, comme l’atteste l’évolution du budget des ménages, où la part des PGC est passée de 30 % à moins de 15 % , alors que d’autres dépenses sont apparues qui ne concernent pas les hypermarchés (téléphone, internet, télévision par abonnement). De surcroît, les premiers prix et marques de distributeurs, jadis de qualité bien inférieure à celle des marques nationales, offrent aujourd’hui un très bon rapport qualité/prix. La différence de prix vaut-elle la peine d’aller dans un hypermarché ? Le concept du « tout sous le même toit » est-il encore pertinent ? P.C. : Ce concept qui a fait la force et la singularité de l’hypermarché a lui aussi évolué. Dans un centre commercial, il est présent trois fois : une fois dans l’hypermarché, une autre dans la galerie, et une troisième avec les GMS spécialisées, autour du parking. Comment l’hypermarché peut-il être compétitif, dans l’univers du sport face à Décathlon, dans celui du bricolage face à Leroy Merlin ? Comment peut-il être moins cher face au maxidiscompte ? P.C. : L’erreur est de se polariser sur le critère du chiffre d’affaires au m2 et non sur celui de la marge au m2. Aldi et Lidl vendent de la marge et des références au m2 : une référence par m2. Mais l’hypermarché en vend dix : il ne peut plus tenir la promesse qui fit son succès, car son offre commerciale est trop dense pour être gérée efficacement. Aujourd’hui, sa seule force, c’est sa surface de vente. Tant que la loi limite l’extension des surfaces, il est protégé. Soulignons que l’essoufflement affecte différemment l’hypermarché selon sa taille et son offre : un Champion de 8 000 m2 avec moins de références et sans services à la coupe (boucherie, charcuterie et fromage) est plus rentable qu’un Carrefour de même surface. Au-delà de 10 000 m2, le concept n’est plus rentable. Le maxidiscompte va-t-il encore croître ? P.C. : Depuis quatorze ans, il a pris un point de part de marché par an, et atteint aujourd’hui 14 % . Il n’en est qu’à ses débuts. Il existe dans le bricolage, le textile, le bazar et va se spécialiser par niveaux de gammes. Il présente un atout considérable : le gain de temps. Si vous ajoutez au temps des courses (cinquante minutes pour acheter une vingtaine de produits) celui du déplacement en voiture et de l’attente aux caisses, près de deux heures sont dévorées par l’hypermarché. En hard discount, le panier moyen est d’une quinzaine de produits achetés en quinze minutes. Il faudrait changer le mot « hard discount » et lui préférer, par exemple, « minitemps », car sa fonction est de retenir les consommateurs le moins longtemps possible, alors que celle de l’hypermarché, « capteur de temps », est de les faire rester. Ce nouveau nom le ferait regarder sous un angle autrement positif. Personne n’appelle hard-discounter une compagnie aérienne de low-cost. C’est pourtant bien ce qu’elle est, en proposant un achat rapide et un choix limité. Le concept d’hypermarché est-il voué à disparaître ? P.C. : L’hypermarché actuel est un non-sens. Aujourd’hui, personne ne le créerait. Que faut-il en faire ? Quatre hypothèses de réadaptation peuvent être envisagées, en fonction de la culture propre à chaque enseigne. On peut scinder l’hypermarché en plusieurs surfaces de vente, plus petites et plus lisibles : vente rapide, vente exclusive de produits de qualité, etc. On peut le recentrer sur sa fonction historique, comme le fait Kaufland (filiale de Lidl), en simplifiant l’assortiment et en étant par conséquent moins cher. Le coût d’une centrale d’achat n’est-il pas devenu prohibitif ? L’heure n’est-elle pas venue de traiter les industriels non comme des fournisseurs, mais comme des partenaires, ainsi que le fait très bien Tesco ? Troisième hypothèse : refondre l’hypermarché en deux surfaces, l’une pour les marques de distributeur, l’autre pour les marques grandes et petites, afin de laisser l’innovation s’exprimer. Enfin, pourquoi ne pas abandonner le concept ? Le Monoprix d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y a vingt ans. L’hypermarché de 2005 n’a plus rien à voir avec celui de 1975, mais il n’ose pas couper le cordon : qu’il ose, plutôt que de se laisser balader entre les premiers prix et les produits rares ! Cependant, le commerce en ligne ne se substituera jamais à l’hypermarché, car le contact avec le produit, surtout dans l’univers des PGC, est primordial. Là se joue l’avenir d’une enseigne : être un point de vente, un point de contact ou un point d’achat.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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