Bulletins de l'Ilec

La marque employeur, ou le nouveau contrat moral - Numéro 365

01/09/2005

Entretien avec Didier Pitelet, P-DG du cabinet Guillaume Tell, groupe Publicis

Comment définir la «marque employeur»? Didier Pitelet  : Le concept de marque employeur, au cœur de la marque de groupe, est le seul à même de fiabiliser tous les discours de la marque, qu’ils soient de nature commerciale ou institutionnelle. De fait, l’entreprise, loin d’être l’entité froide tant décriée, est constituée d’hommes et de femmes qui donnent chair à tous ses engagements. L’enjeu de la démarche tournée vers la marque employeur est d’établir une correspondance entre les engagements pris par l’entreprise et les comportements des salariés. Une entreprise qui se décline au «je» et prend des engagements face à ses publics n’est rien sans la valeur objective, émotionnelle et prospective de ses salariés. Pour prendre la parole en tant que sujet employeur et pour être entendue des publics cibles, l’entreprise a besoin de créer autour de son nom d’employeur un univers bien précis, évocateur d’opportunités et rendant compte d’un environnement. La marque employeur oblige l’entreprise à définir ce qu’elle a de différent. Comment est né ce concept  ? D. P. : J’ai eu l’idée de la marque employeur au début de 1993, au moment où les jeunes, diplômés ou non, incarnaient la première génération Kleenex. Je l’ai déposée en tant que marque en 1998. Depuis une vingtaine d’années, la relation salarié-employeur est fondée sur la logique sans précédent du Yo-yo social. Entre 1985 et 2005, nous ne comptons que deux périodes d’accalmie sociale:1987-1990 et 1997-2000. Périodes durant lesquelles le chômage n’est pourtant jamais descendu au-dessous de 9%. Durant ces deux décennies, le chômage des cadres a explosé, les jeunes ont vu leur situation se paupériser à l’entrée dans le monde du travail. La relation à l’employeur est devenue progressivement une relation de méfiance. Elle a fait émerger des notions d’individualisme et de repli sur soi, incarnées par la génération du «moi, je». Pourtant, l’entreprise est un formidable espace de liberté à conquérir. Est-ce synonyme de culture d’entreprise  ? D. P.  : La marque employeur relève davantage d’un état d’esprit, qui est celui du mouvement permanent, de la remise en question. Ce n’est pas tant la fierté d’appartenance, aujourd’hui totalement dépassée, qui prime, que la volonté d’adhérer à un projet. La fierté d’appartenance met en exergue la relation dominant-dominé, la fierté d’adhésion est fondée sur le partenariat. Danone est à la fois marque commerciale et marque de groupe. Est-elle aussi une marque employeur  ? D. P.  : Danone est une marque employeur très forte. C’est une des rares entreprises à avoir compris, depuis très longtemps, l’utilité de l’engagement qui associe l’humain et la performance. La communication a toujours été centrée sur l’humain pour mobiliser. On peut également citer L’Oréal, mais également Michelin, qui, soulignons-le, n’a pas de direction des ressources humaines. Chez Michelin, la seule «ressource», c’est, depuis toujours, le caoutchouc. Le nom de la marque est-il déterminant  ? D. P.  : Chez les jeunes qui ont une faible connaissance des entreprises, l’impact de la marque produit peut être fort et valoir un succès d’estime à l’entreprise comme employeur naturel. La marque employeur peut aussi cautionner la marque commerciale, comme dans le cas de Renault, qui transcende tous ses métiers par sa signature «Créateur d’automobiles». Quel est l’enjeu lié à la marque employeur  ? D. P.  : L’enjeu est d’amener l’entreprise à affirmer sa différence émotionnelle. Un chef de produit qui veut travailler dans la grande consommation peut rejoindre deux concurrents qui vont lui offrir la même définition de poste, le même salaire, les mêmes avantages sociaux, et pourtant il ne vivra pas du tout son emploi de la même manière chez l’un ou chez l’autre. Cette diversité traduit la différence émotionnelle et demeure valable pour tous les secteurs d’activité. L’environnement prime le métier. Cette distinction crée la marque employeur et légitime le marketing social. Reste que la plupart des entreprises sont capables de faire des efforts considérables pour structurer leur marque commerciale ou institutionnelle, mais rencontrent les plus grandes difficultés pour mener le travail introspectif nécessaire à l’émergence de cette différence émotionnelle. Elles sont davantage portées à préserver des certitudes, qui fossilisent la pensée, dans un monde qui réclame, lui, des convictions. Sous les impulsion de la société civile et de sa fragmentation en tribus, l’entreprise unie, homogène, cohérente, relève aujourd’hui du mythe. La réalité polymorphe de l’entreprise impose aux dirigeants une capacité à s’adapter en permanence, aussi bien dans le verbe que dans l’action. Comment justifier le marketing social  ? D. P.  : Soixante-huit pour cent des jeunes de vingt-cinq ans ne croient pas aux valeurs des entreprises, et 41 % des managers trentenaires déclarent ne pas y adhérer. Nous sommes en présence d’une crise de langage entre salariés et employeurs. Il revient au marketing social de ne pas appliquer une recette toute faite, mais d’instaurer une logique d’action dans l’entreprise qui ait pour seul objectif la cohérence entre toutes les expressions d’un employeur, vis-à-vis de ses publics tant internes qu’externes, et ce, pour atteindre la performance. Le marketing social ne relève pas du seul département des ressources humaines, puisque c’est un projet global de l’entreprise, qui doit s’interroger sur l’environnement professionnel qu’elle souhaite faire partager. Le marketing social décloisonne l’entreprise, mais il revient aux dirigeants d’incarner la différence émotionnelle de l’entreprise et de s’impliquer dans son expression. Concrètement… D. P.  : Le marketing social est fondé sur une logique de confrontation positive, permanente, qui intègre dans l’univers des ressources humaines et du management la rigueur du marketing. Le message délivré par l’employeur à des candidats ou à des collaborateurs doit être fondé, fiable, inattaquable. Il doit être cautionné par ceux qui travaillent déjà sous son égide. Deuxième étape essentielle de cette confrontation : définir les zones de force et de progrès de l’environnement professionnel, afin de structurer une plate-forme sémantique, sinon linguistique, entre toutes les générations. Autant la majorité des présidents s’implique dans les campagnes de publicité commerciales, autant ils sont très peu nombreux à promouvoir leur marque employeur. Situation pour le moins dommageable quand, à l’heure du capital durable, on ne cesse de dire: «ma richesse, c’est les hommes». La démarche orientée vers la marque employeur et le marketing social se doit d’être transparente, cohérente et éthique. Et d’avoir pour objectif de replacer l’homme au cœur des organisations. Le salarié doit être reconnu comme un individu à part entière, et non comme un clone d’une armée dogmatique. Utopie aujourd’hui, réalité demain. * Auteur de la Nouvelle Parole de l’entreprise, essai sur le marketing social, Médialivre, 2005.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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