Bulletins de l'Ilec

JURIDIQUE - Un non-lieu pour l’Ilec - Numéro 365

01/09/2005

RAPPEL DES FAITS

Le 22 mars 1999, les distributeurs Leclerc et Système U se sont associés dans une «union de coopératives de commerçants détaillants» dénommée Lucie. Quelques mois plus tard, cette centrale d’achats a saisi le Conseil de la concurrence, estimant que l’attitude de l’Ilec à son encontre, à l’occasion des négociations qu’elle menait avec les adhérents de l’institut, s’apparentait à un boycottage, interdit tant par l’article L.420-1 du Code de commerce que par l’article 81 du traité CE.

Selon Lucie, les analyses et les consignes sous-jacentes de l’Ilec ont privé les fournisseurs de toute autonomie dans la négociation commerciale et les ont conduits à refuser d’accorder les remises qu’elle demandait : «En contribuant à imposer des niveaux de prix artificiels, ce comportement des fournisseurs, coordonné et dirigé par l’Ilec, aurait isolé le marché français des autres pays de l’Union européenne et favorisé le développement des importations parallèles.»

Près de six ans après le déclenchement de la procédure, le Conseil s’est donc enfin prononcé, par un non-lieu, en application de l’article L. 464-6 du Code de commerce.

L’activité d’un groupement professionnel au regard du droit de la concurrence

Le Conseil s’est livré à une étude détaillée de l’attitude de l’Ilec à l’égard de Lucie: les travaux du conseil d’administration, les Fax de l’Ilec à destination des adhérents, l’argumentaire établi par le comité juridique de l’association et les articles diffusés dans la Lettre de l’Ilec ont été examinés. Il s’agissait de déterminer si ces documents étaient bien constitutifs, comme le soutenait Lucie, d’un appel au boycottage et s’ils établissaient l’existence d’une entente illégale.

L’argument du boycottage

La pratique du boycottage a été définie par le Conseil de la concurrence comme consistant «à s’entendre, sans motifs légitimes, pour refuser, soit de fournir un client déterminé, soit de s’approvisionner auprès d’un fournisseur déterminé»(2). Pour l’autorité de contrôle, «le fait pour une centrale de référencement d’organiser entre les distributeurs indépendants qu’elle regroupe le boycott des produits d’un fournisseur qu’elle avait référencés pour la période en cours, et l’élimination de ces produits des linéaires est de nature à limiter artificiellement l’accès du fournisseur au marché et constituait une action concertée prohibée par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986»(3). Le Conseil de la concurrence a également qualifié de boycottage les consignes du Centre national des professions automobiles de la Moselle à ses adhérents, leur demandant de cesser leurs relations avec un établissement bancaire qui finançait des mandataires hors réseau(4).

En revanche, il a estimé qu’une lettre adressée par la Fédération française des sociétés d’assurances à ses adhérents, les appelant à surseoir momentanément à la confirmation de leur participation à un salon professionnel, n’avait pas eu d’objet anticoncurrentiel, dans la mesure où elle avait été motivée par le «désir, licite, de voir [ce] salon évoluer en une manifestation de nature différente, d’ailleurs plus ouverte sur le grand public», et n’avait pas eu davantage d’effet sensible sur la concurrence. Cette analyse a été confirmée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 octobre 2002(5) : « Attendu que le boycott constitue une action délibérée en vue d’évincer un opérateur du marché ; qu’ayant estimé que les pratiques arguées de boycott par la société Vidal ne pouvaient être ainsi qualifiées dès lors que la volonté d’éviction de la société Vidal par la FFSA n’était pas établie, la cour d’appel, qui s’est prononcée sur l’ensemble des faits dénoncés par la société Vidal, répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, a statué à bon droit.»

Pour le Conseil de la concurrence, « l’analyse des prises de position de l’Ilec montre que ce dernier s’est essentiellement borné à rappeler la jurisprudence des autorités de la concurrence relative aux centrales d’achat, notamment sur le fait que les remises supplémentaires demandées par Lucie à la suite de sa création devaient être assorties de contreparties réelles». De manière plus générale, l’autorité de contrôle a, à plusieurs reprises, rappelé ce que les associations professionnelles sont autorisées à faire : il est «loisible à un syndicat professionnel de diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l’exercice de leur activité»(6).

En l’espèce, l’Ilec est resté dans son rôle d’information et de conseil de ses adhérents, en analysant la jurisprudence relative aux centrales d’achat, en les informant de la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre de l’Economie et des Finances à l’encontre des centrales d’achat Lucie et Opéra, et en leur conseillant de garder des traces écrites des demandes de Lucie en prévision d’un éventuel contentieux. Pour le Conseil, «les prises de position de l’Ilec, la circulaire adressée à ses adhérents et l’argumentaire juridique visés dans la saisine ne contiennent aucun appel à ne pas négocier avec Lucie ou à ne plus approvisionner les adhérents de Lucie. D’ailleurs, aucun élément du dossier n’indique que des fournisseurs auraient renoncé à négocier avec Lucie. De nombreuses conventions ont été signées, dès 1999, entre Lucie et les fournisseurs, et aucune incidence de ces négociations sur les relations commerciales entretenues parallèlement avec les centrales d’achat de Leclerc et Système U n’a été relevée».

L’argument de l’entente

Lucie avait également dénoncé l’existence, au travers de l’intervention de l’Ilec dans ses négociations avec les fournisseurs, d’une entente horizontale visant à faire obstacle à la libre fixation des prix, par l’harmonisation illicite du comportement des membres de l’Institut, «  empêchant toute baisse des prix à la consommation  ».

A cet égard, le Conseil a relevé qu’en «limitant son intervention au débat juridique de portée générale, l’Ilec n’a pas outrepassé son rôle de groupement professionnel». Ainsi, en soutenant dans ses prises de position publiques et diffusées à ses adhérents que des ristournes sans contrepartie sont illégales, l’institut s’est borné à rappeler la jurisprudence développée par les autorités de la concurrence(7), ce qui ne saurait être tenu pour anticoncurrentiel. Enfin, le Conseil a estimé que l’Ilec ne s’est pas non plus immiscé dans le processus des négociations commerciales : «De fait, il n’a pas été constaté d’alignement des contreparties négociées par chacun des fournisseurs, chacun d’entre eux ayant négocié de façon autonome. Aucun élément du dossier ne démontre non plus que l’Ilec aurait été saisi par un de ses adhérents sur le contenu précis d’une convention de ristourne. D’ailleurs, les négociations avec les entreprises non adhérentes de l’Ilec ont suivi le même cheminement, confirmant l’absence de toute immixtion de l’Ilec dans les négociations relatives au contenu des conventions signées entre Lucie et ses adhérents». Dans le même esprit, les mises en garde de l’Ilec adressées aux fournisseurs n’ont ni empêché la signature des conventions de ristourne proposées par Lucie, ni provoqué une coordination du comportement des fournisseurs.

Pour conclure, le Conseil a fait écho à la discussion parlementaire sur la modification des règles de la concurrence qui a eu lieu de mai à juillet derniers. Il a rappelé que «les dispositions législatives sur le seuil de revente à perte ont favorisé le report des marges de négociation entre fournisseurs et distributeurs sur des ristournes conditionnelles et sur la coopération commerciale (marges arrière)», et que ce report «a favorisé une uniformisation des prix nets des rabais acquis à la date de la facturation (marges avant), pour un produit donné, dans tous les circuits de distribution et a de ce fait produit des effets analogues à ceux d’une entente horizontale»(8).

(1) Décision n° 05-D-33 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Ilec, sur le site du Conseil : www.conseil-concurrence.fr/pdf/avis/05d33.pdf.
(2)Conseil de la concurrence, Rapport pour 1993. (
3) Décision n° 94-D-60 du 13 décembre 1994
(4) Décision n° 03-D-68 du 23 décembre 2003.
(5) S.A. Vidal c/ FFSA, Bull. 2002, IV, n° 148, p. 169.
(6) Cf. par ex. décision n° 98-D-73 du 25 novembre 1998.
(7) Cf. en particulier les décisions n° 93-D-21 du 8 juin 1993 et n° 95-D-34 du 9 mai 1995.
(8) Avis n°04-A-18 du 18 octobre 2004.

Anne de Beaumont

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