Bulletins de l'Ilec

Valeur ajoutée, la ligne de partage - Numéro 371

01/04/2006

Entretien avec Frédéric Pérodeau, délégué général de l’Institut français du merchandising (IFM)

Existe-t-il une part optimale de marques de distributeurs dans l’assortiment des magasins, une limite au développement des « non-marques » ? Frédéric Pérodeau : De manière générale, le seuil optimal de la MDD est déterminé par la catégorie. Moins celle-ci est impliquante aux yeux des consommateurs, plus la MDD est légitime. Il en est ainsi des produits tels que le papier aluminium, les mouchoirs ou le papier toilette, pour lesquels la valeur ajoutée de la marque nationale n’est pas clairement perçue par le consommateur. Les marques de distributeurs et les premiers prix ont, ici, non seulement leur place mais leur chance. A l’inverse, quand la valeur ajoutée est justifiée, par exemple pour les crèmes de soins capillaires, les marques nationales sont préférées. D’après une étude réalisée l’année dernière par DiaMart pour l’IFM, portant sur la question « comment rendre de la valeur à l’assortiment de produits de grande consommation ? », on observe que, pour une recette à base de pâtes, la consommatrice achète des pâtes premier prix ou MDD, mais qu’elle choisit des lardons de grande marque, parce que ce sont eux qui donnent son goût au plat. Les recettes, elle sait les accommoder en fonction de la valeur ajoutée de chacun des produits. Les distributeurs doivent impérativement prendre en compte la maturité des consommateurs. Ce seuil peut-il varier selon le type de magasin ? Si un grand choix est un facteur d’attraction, trop de références n’ont-elles pas des effets pervers ? F. P. : Le seuil varie également selon le type de surface. La première raison pour laquelle les consommateurs fréquentent les grandes surfaces n’est pas le prix, variable commune à toutes les enseignes, mais la proximité et le temps passé. Le temps est la première raison de fréquentation du maxidiscompte. Plus les rayons d’une grande surface sont riches en références, donc moins lisibles, et plus le consommateur se trouve obligé de consacrer du temps au décryptage de l’offre. Et moins il va revenir ! Le rayon jambon en est l’illustration : le nombre de références y est trop important au regard de l’attente du consommateur, qui s’en tient à trois ou quatre options, et préfère aller chez le traiteur pour un jambon de qualité. Est-il également nécessaire de lui offrir sept références de farine ? Qui, aujourd’hui, peut comprendre l’assortiment du rayon yaourt, du rayon confiture ? Les enseignes n’offrent pas aux consommateurs ce qu’ils sont venus chercher. La sophistication n’est plus, dans certaines catégories, la stratégie idoine. La réduction des assortiments concerne-t-elle tous les produits ? F. P. : Non, bien sûr, en particulier dans les catégories où le plaisir est primordial. Elles doivent, au contraire, proposer de la variété. Dans les produits de beauté, par exemple, le consommateur en veut toujours plus. La sortie de crise des enseignes pourrait passer par autre chose que par la seule réponse au maxidiscompte et à la « loganisation » des produits. Là où est la valeur ajoutée, là est la clé du succès, comme l’atteste Monoprix. Le prix ne doit pas être l’axe majeur de défense des enseignes face au maxidiscompte, car elles n’auront jamais le dernier mot sur ce terrain. Les enseignes ne devraient-elles pas fonder davantage leur stratégie sur la relation avec le client pour définir un assortiment pertinent ? F. P. : C’est plus que jamais indispensable, ainsi qu’un géomarketing. Le consommateur recherche l’individualité. On ne peut plus plaire à tout le monde, ni vendre tout à tout le monde. Les enseignes qui, aujourd’hui, affichent de bons résultats sont celles qui ont fait le choix d’un assortiment qui les singularise. Le succès des Centres Leclerc vient en particulier du fait qu’ils fédèrent 550 patrons qui sont autant de directeurs de marketing responsables de leur offre. La centralisation a fait long feu, l’heure est au géomarketing, pour bien connaître les clients et définir la cible, afin de construire un assortiment pertinent. N’assiste-t-on pas à la fin du « distributeur » et au retour du « commerçant » ? F. P. : Qui sont mes clients, et qui sont les gens qui devraient devenir mes clients ? Voilà les deux questions fondamentales que toutes les enseignes doivent se poser, pour redevenir de vrais commerçants et proposer des offres spécifiques. Le non-alimentaire l’a bien compris ! Chaque enseigne – Leroy-Merlin, Castorama… – a trouvé sa place, sa particularité, en se singularisant. Les enseignes alimentaires raisonnent encore avec la vieille classification des consommateurs fondée sur les catégoties socioprofessionnelles, alors qu’aujourd’hui les tribus et la composition des foyers donnent le la. Ikea est la seule enseigne à avoir trouvé le consommateur global, à lui vendre la même chose, à Paris, à Buenos Aires ou à Dubaï, car elle s’adresse à la même tribu, identique dans le monde entier. Qu’attendent les consommateurs des marques nationales, des MDD ou des premiers prix ? F. P. : Depuis la crise des steaks hachés Leclerc, parfaitement bien gérée par l’enseigne, le niveau de confiance des consommateurs à l’égard des MDD et des premiers prix est monté. Leur image s’est améliorée. L’avantage fondé sur la confiance qu’avait jusqu’alors, seule, la marque nationale est maintenant partagé. Aussi, les consommateurs attendent des marques nationales de la qualité, un bon rapport qualité-prix, et surtout de l’innovation. Aux marques de distributeurs, une valeur d’usage ; aux marques nationales, une véritable valeur ajoutée. L’accès de la distribution au petit écran va-t-il changer la donne ? F. P : Le risque est qu’il soit une nouvelle occasion pour la distribution de solliciter financièrement les industriels. Car les enseignes auront-elles vraiment les moyens d’accéder au petit écran et d’y faire des campagnes de publicité, alors qu’elles ne pourront pas évoquer le prix des produits ? D’autant qu’elles y consacrent déjà un budget, en parrainant qui la météo, qui des émissions de divertissement… Les industriels, de leur côté, peuvent trouver un créneau pour du marketing associé, une marque faisant équipe avec une enseigne pour promouvoir une offre spécifique. La loi Dutreil offre-t-elle une nouvelle chance pour un marché de nouveau concurrentiel, pour un dialogue enfin constructif entre l’industrie et le commerce ? F. P. : La loi Dutreil va rendre les distributeurs compétents encore plus compétents et redonner de la vraie valeur au métier du commerçant, dont la vocation est de vendre des produits, et non des marges ou des remises.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.