Bulletins de l'Ilec

La mauvaise marque chasse la bonne - Numéro 372

01/06/2006

Entretien avec Marc-Antoine Jamet, président de l’Union des fabricants, président de la commission de communication du Comité national anticontrefaçon (Cnac)

De la protection des médicaments, à la fin du xixe siècle, qui conduit à la création de l’Union des fabricants en 1872, au contrôle de leur vente sur Internet en ce début de xxie siècle ; du luxe, hier, aux produits de grande consommation, aujourd’hui, l’histoire de l’Union des fabricants se confond avec celle de l’opposition à la contrefaçon. Quelles sont vos missions ? Marc-Antoine Jamet : Deux grandes missions sont traditionnellement dévolues à l’Union des fabricants. D’une part, la formation, qui concerne tous nos partenaires, aussi bien la douane, la police, la gendarmerie, que les juges ou les administrations. Elle porte principalement sur la reconnaissance des produits et la défense de la propriété intellectuelle. D’autre part, l’information, grâce à de multiples actions qui ont pour support le musée de la Contrefaçon, le site Internet, les opérations menées dans le cadre du Cnac et de grandes campagnes publiques, mais aussi les interviews, éditoriaux et articles de fond. Deux nouvelles missions se sont ajoutées à ce socle : coopérer avec les pouvoirs publics par notre présence lors d’opérations, l’été, à la frontière franco-italienne, mais aussi à l’étranger, lors des négociations sur la propriété intellectuelle qui sont menées, partout dans le monde, par les ministres François Loos et Christine Lagarde. Enfin, dernière mission : rassembler et être un porte-parole. Depuis que la contrefaçon s’est diversifiée et qu’elle touche une entreprise française sur deux, il faut une parole juste, cohérente, pour être efficace et aussi incisif que les copieurs. Mots d’ordre du 11e Forum organisé par l’Union des fabricants, en mars dernier : « riposter, mobiliser, communiquer ». Quelles sont les réformes que vous préconisez et les moyens à déployer pour mettre fin à ce que vous nommez la « contre-fête » ? M.-A. J. : Le mode de riposte est clair. Il s’agit de convaincre une majorité de pays et d’organisations internationales de s’aligner sur les standards français. Punir la contrefaçon au premier euro, au premier objet, quelles qu’en soient la motivation et la durée de détention. Nos mots d’ordre ne restent pas lettres mortes, comme en témoignent les mesures prises par les Etats-Unis ou l’Italie. L’harmonisation européenne, sur ce point au moins, est en marche. Sensibiliser fermement est essentiel, comme l’attestent les prises de parole des industriels, qui s’affranchissent du syndrome de Stockholm, lorsque le contrefait n’ose pas dire du mal de son contrefacteur. Les pouvoirs publics, eux aussi, ont compris le lien entre contrefaçon, terrorisme et trafic d’armes ou de drogue. Ils perçoivent également les effets du phénomène en termes d’emploi, de fiscalité et de croissance. Enfin, les consommateurs, complices, complaisants ou coupables, doivent comprendre que la contrefaçon touche l’emploi de leurs proches, exploite les enfants en Asie, est liée à des trafics condamnables. Un faux sac peut tuer ! Il faut enfin prévenir, en développant les actions de traçabilité mises en œuvre par les entreprises. La contrefaçon touche de plus en plus les biens de consommation courante : des batteries de téléphone portable, des cartouches d’encre pour imprimante, des pièces détachées d’automobile, des jouets… La multiplication des secteurs touchés n’est-elle pas la conséquence de la mondialisation et de la disparition des frontières douanières ? M.-A. J. : Il est certain qu’autrefois, lorsque, pour acheter des produits contrefaisants en Corée, il fallait qu’ils fussent fabriqués en Chine et que les capitaux provinssent de Hong Kong, pour des touristes japonais les frontières rendaient ce trafic plus compliqué. Avec la mondialisation, les Chinois continentaux viennent à Hong Kong acheter de la contrefaçon financée, produite et vendue par des Chinois. Autre exemple de la mondialisation : la fin du rideau de fer, que personne ne peut au demeurant regretter, a fait de l’Europe de l’Est un vaste temple de la contrefaçon. Varsovie, au bout d’une autoroute ou d’une voie ferrée, est devenu le premier marché européen de la contrefaçon. Reste que, jadis, le faux blé égyptien arrivait à Rome, ainsi que des huiles frelatées du Péloponnèse. Certaines cargaisons retrouvées en Méditerranée en portent témoignage. Depuis que les hommes commercent, l’économie noire suit les mêmes voies que l’économie réelle. Plus que la mondialisation, la création d’un grand marché intérieur chinois de la contrefaçon, qui a atteint la taille critique, permet la baisse du coût marginal à l’exportation : c’est notre risque majeur. Hier producteur, le marché chinois est devenu également consommateur de contrefaçons. Trente-cinq pour cent des Français déclarent avoir acheté des contrefaçons. La peur du gendarme semble de peu d’effet, même si, selon le sondage que vous avez réalisé en juin 2005, la majorité des Français voit des effets négatifs à la contrefaçon. Comment éviter la banalisation ? Comment enrayer le tourisme de la contrefaçon ? M.-A. J. : Le tourisme n’est pas l’unique recette de la contrefaçon, comme l’attestent les marchés d’Argenteuil, de Sartrouville, de Gennevilliers, sans parler des puces. Mais à tout sinistre seigneur, toute honte : Internet est le plus grand marché mondial de la contrefaçon. Il faut sensibiliser les consommateurs à des réalités tragiques qui leur échappent. Ce sont les réseaux qui acheminent contrefaçons et armes. Ce sont les mêmes laboratoires clandestins qui fabriquent les faux médicaments et qui produisent l’héroïne. L’exposition « Contrefaçons : carton rouge ! », qui se tient au musée de la Contrefaçon jusqu’au 12 novembre, est consacrée au sport. Un nouveau tremplin pour les contrefacteurs ? M.-A. J. : C’est un marché cyclique. Les jeux Olympiques à Pékin, la Coupe du monde de football en Allemagne, tous les prochains grands événements sportifs sont propices à la contrefaçon de produits liés au sport. Notre exposition a vocation à sensibiliser les supporters, mais aussi à motiver les officiels qui se rendront en Chine. Pékin doit être le temple du sport et non celui du faux. Et il faut éviter que la Coupe du monde ne devienne un super-Noël, tous les quatre ans, pour les contrefacteurs. Aujourd’hui, la contrefaçon produit des bénéfices disproportionnés par rapport au risque réel d’arrestation des délinquants, et par rapport au risque de condamnation à des sanctions dissuasives. Que propose l’Union des fabricants ? M.-A. J. : Depuis la loi Perben II, les sanctions sont adaptées : 300 000 euros d’amende et trois ans de prison, cinq ans et 500 000 euros en cas de récidive ou d’action en bande organisée. Mais il faut les appliquer. C’est pourquoi, le pôle « propriété intellectuelle » qui doit se monter auprès du TGI de Paris doit très vite se mettre en place. Afin que les commissions rogatoires internationales soient suivies d’effet, il serait souhaitable que les correspondants judiciaires nommés dans les ambassades auprès des grands pays contrefacteurs puissent avoir une existence effective. Les sanctions doivent se généraliser et s’harmoniser dans le monde, et trouver des juges pour les mettre en œuvre. La Chine et Internet, deux empires, l’un réel, l’autre virtuel, de la contrefaçon. La Chine s’éveille-t-elle enfin à la propriété intellectuelle ? La traque des faussaires sur eBay n’est-elle pas plus compliquée que dans le commerce physique ? M.-A. J. : Aujourd’hui, 97 % des litiges sont sino-chinois ! A l’heure où la Chine devient, ou redevient, la première économie du monde, elle prend la mesure des effets pervers de l’économie parallèle, sur le plan de l’emploi, de la fiscalité et de la croissance. Madame Wu Yi, ministre chargée de la Lutte anticontrefaçon en Chine, en est convaincue. Le plus grand défenseur de la propriété intellectuelle dans l’empire du Milieu, ce sont les marques naissantes, comme Tsing tao, la célèbre marque de bière, copiée de Harbin à Canton. Dans l’univers de l’internet, nous sommes confrontés à un trio infernal : les hébergeurs, les transporteurs express et le groupement de cartes bancaires. Ebay est le plus grand marché mondial du recel, du faux et du vol. L’hébergeur, qui dispose d’une base de données qui serait très utile pour traquer les contrefacteurs, préfère accumuler les profits à faire la police. C’est son choix. A un moment ou à un autre, les conséquences de cet aveuglement le rattraperont. La contrefaçon sévit également à nos portes (dont celle de Saint-Ouen). Le programme juridique « Landlord », qui vise les bailleurs des commerces de faux, ne pourrait-il être appliqué ? M.-A. J. : Ce programme, testé à New York, procède de l’idée que le loyer des propriétaires de locaux voués à la contrefaçon est un recel, et le bail, une « fourniture de moyens ». Plutôt que de tenter, sans résultat, de saisir ceux qui ne cessent de bouger entre les contrôles, les tenanciers d’échoppe, il nous est apparu plus pertinent et efficace d’assigner les propriétaires. Ce programme vient d’être mis en œuvre en Chine, en poursuivant le propriétaire du tristement fameux marché de la soie. Il le sera également en Italie, à San Remo et à Vintimille. Parmi les moyens de lutte, où en est la traçabilité des produits (étiquette radiofréquence, code à bulles, hologramme…) ? M.-A. J. : Dans ce domaine, nous avançons malheureusement en ordre dispersé, chacun souhaitant définir son propre standard. Cas d’école : celui de Pfizer et du système RFID. Autre outil qui mérite qu’on s’y attarde : le code à barres évolué, développé par l’Imprimerie nationale. Les pistes existent, mais nous avançons trop lentement. L’Union des fabricants est associée avec l’INPI, le Cnac et le gouvernement dans une vaste campagne de communication, « Contrefaçon, non merci ». A-t-elle vocation à être pérennisée ? M.-A. J. : Elle doit être pérennisée et surtout étendue à l’Europe. Nous sommes en quête de fonds européens pour lui donner une autre dimension et toucher l’ensemble des consommateurs européens. L’Union des fabricants a demandé une audience au président de la Commission.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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