Bulletins de l'Ilec

Harmoniser par le haut pour vaincre l’hydre - Numéro 372

01/06/2006

Entretien avec Benoît Battistelli, directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI)

Au-delà de sa mission première d’enregistrement des marques, brevets, dessins et modèles, quelles sont les actions spécifiques de l’INPI pour contribuer à la lutte contre la contrefaçon ? Benoît Battistelli : L’INPI ne peut pas se désintéresser de l’usage que les titulaires de marques, brevets, dessins et modèles en font, et de la manière dont ils font respecter leurs droits. En tant qu’office de propriété industrielle, l’INPI a deux actions principales. Il est le conseiller du gouvernement en matière de réglementation et de législation sur la propriété intellectuelle, et prépare, à ce titre, projets de lois et décrets. L’Institut a ainsi récemment travaillé sur les lois Perben, en particulier sur les sanctions de la loi Perben II de mars 2004, mais aussi sur la directive communautaire. Deuxième rôle, en tant qu’office, l’INPI entretient des relations privilégiées avec une trentaine de ses homologues, notamment dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde, la Corée, l’Indonésie, ceux d’Amérique latine, d’Europe centrale et orientale, et du Maghreb. Nous développons avec eux une coopération technique, une action de formation, et nous les aidons à se doter des lois et règlements nécessaires. Depuis quelques années, nous mettons systématiquement à l’ordre du jour de nos programmes de coopération la question de la lutte anticontrefaçon. Par ce biais, nous sensibilisons les autorités de ces pays. Deuxième casquette de l’INPI : il est chargé du secrétariat général du Cnac (Comité national anticontrefaçon), et assure donc la coordination entre les acteurs publics et privés. C’est ainsi que nous avons joué un rôle très actif dans la conception, la réalisation et la mise en œuvre de la récente campagne de communication, « contrefaçon, non merci ». La contrefaçon est passée du stade artisanal au stade industriel. Elle est une source de revenus pour les réseaux criminels et le terrorisme. Comment l’éradiquer à la source ? B. B. : La contrefaçon est devenue, ces dernières années, un phénomène majeur qui frappe tous les secteurs, et elle progresse aux mains d’organisations internationales aux actions très élaborées. On ne peut l’éradiquer à la source que par le développement de la coopération internationale et la multiplication des échanges d’informations. Les résultats sont positifs puisqu’en quelques années le nombre des produits saisis a décuplé en France. Une prise de conscience a lieu : la lutte contre la contrefaçon n’est plus synonyme d’agression vis-à-vis des pays en voie de développement. Récemment, le Maroc a détruit dans le port de Casablanca des briquets contrefaits, une action impensable il y a quelques années. La lutte passe par des sanctions plus dissuasives dans chaque pays, et par la volonté de ne pas laisser le phénomène gangrener l’économie. Quels sont les entreprises et les secteurs qui déposent le plus de brevets ? La France est-elle la lanterne rouge en termes de dépôts ? Comment sensibiliser les responsables d’entreprises aux usages de la propriété intellectuelle ? B. B. : A l’opposé des propos défaitistes sur la capacité de nos entreprises à déposer des titres de propriété industrielle, il faut souligner que la France est, en termes de dépôts de marques, un des premiers pays du monde, avec près de 70 000 nouvelles marques, 100 000 si l’on ajoute les renouvellements. En termes de brevets, il faut distinguer selon les catégories de déposants : si l’on s’en tient à la plus significative, les entreprises, les dépôts augmentent régulièrement depuis dix ans. Ils ont atteint le nombre de 13 000 en 2005. Il est vrai que beaucoup de PME n’ont pas encore acquis le réflexe de déposer leurs brevets, mais évitons l’autoflagellation. En Europe, la France est au deuxième rang, et au quatrième sur le plan mondial. La France, autrefois pays de transition, est devenu un pays de destination : la moitié des contrefaçons saisies par des services douaniers était en 2005 destinée au marché français, au lieu de 20 % en 2002. Et 35 % des Français déclarent ouvertement acheter des produits contrefaits… B. B. : Ce changement s’observe depuis deux ou trois ans, et il s’explique par la croissance du marché. Il faut donc combattre sur le front de l’offre, en essayant de le restreindre, mais aussi sur celui de la demande, en augmentant les sanctions et en développant une action de communication, pour rendre responsable le consommateur final. Dans le cadre du projet de loi global de lutte contre la contrefaçon est prévue la transposition de la directive européenne du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, ainsi que la mise en œuvre du règlement communautaire du 22 juillet 2003 relatif à l’intervention des services douaniers. Doit-on considérer cela comme une avancée importante ? B. B. : Rappelons que la France est pionnière, depuis la loi Longuet. Nous sommes dotés d’un certain nombre de mécanismes qui se sont montrés très efficaces : ainsi, la responsabilité, donc le délit de contrefaçon va jusqu’au consommateur final, ce qui n’est pas le cas dans bon nombre de pays. Nous avons également mis en place la saisie contrefaçon en douane, et la destruction des produits sans avoir besoin de l’autorisation d’un juge, ce qui accroît la capacité d’action sur le terrain. Une action a été menée pour inciter la Commission européenne et nos partenaires à proposer une réglementation minimale à tous les États membres, aussi efficace que la réglementation française. C’est le sens de cette directive, intitulée « pour le respect des droits de propriété intellectuelle », qui propose une série de dispositions aux autres États membres pour qu’ils se dotent de moyens comparables à ceux de la France. L’idée est donc d’harmoniser par le haut. La transposition de cette directive en droit français va permettre un meilleur échange d’informations entre les services (police, douane…), augmenter les dommages et intérêts, et délier les établissements financiers de contraintes de confidentialité, pour mieux sanctionner les réseaux. La Chine, premier pays en matière de contrefaçon, a signé, en février 2006, un accord de partenariat avec la France. Pour la première fois, un juge civil de Pékin a sanctionné le marché de la soie, pour une affaire de vente de produits de luxe contrefait. La Chine s’éveille-t-elle à la propriété intellectuelle ? B. B. : Une prise de conscience de l’ampleur du fléau et de ses dégâts s’observe effectivement en Chine. Depuis une vingtaine d’années, l’INPI entretient des relations étroites avec son homologue chinois et a contribué à former des experts en matière de lutte contre la contrefaçon. Sans faire preuve de naïveté, on peut constater que les autorités chinoises sont de plus en plus averties du problème. J’en veux pour preuve les procès récents contre des propriétaires de magasins où sévissait la contrefaçon. L’Institut national de la propriété « industrielle » ne devrait-il pas s’intituler dorénavant Institut national de la propriété « intellectuelle » ? B. B. : La propriété intellectuelle concerne la propriété industrielle et les droits d’auteur. Il est vrai que de plus en plus de domaines sont communs, comme celui des logiciels, la question du piratage numérique. Aussi les liens sont-ils de plus en plus étroits avec le ministère de la Culture.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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