Bulletins de l'Ilec

L’OCDE en faveur de la revente à perte - Numéro 373

01/07/2006

Les lois sur la revente à perte sont, pour l’OCDE, l’une des trois contraintes pesant sur les prix de revente, avec les réglementations sur les prix d’éviction anticoncurrentiels et celles sur les prix imposés. La note de référence qui a servi de base à la discussion du groupe de travail est particulièrement critique à l’égard des législations qui prohibent la revente à perte. Dès l’introduction, le ton est donné : « Il est indiqué que les lois anti-vente à perte risquent plus de nuire aux consommateurs que de les avantager. Elles ne favorisent pas le bien-être des consommateurs ni l’efficience économique, surtout quand elles coexistent avec des lois sur les pratiques d’éviction. » Les débats qui ont suivi n’ont pas été, à la lecture du rapport, plus favorables à une réglementation dont certains pays ont fait un élément important de leur droit commercial. Pour l’OCDE, les lois sur la revente à perte sont fondées sur le principe que les consommateurs tirent avantage de prix plus bas, excepté lorsque ces prix entraînent par la suite des tarifs plus élevés, trompent les consommateurs ou empêchent les fournisseurs d’offrir des services gratuits plus avantageux que des prix bas. En revanche, reconnaît l’organisation internationale, ces lois assurent la préservation de petits détaillants locaux, que les consommateurs peuvent préférer, parce qu’ils sont commodément situés et fournissent souvent des services personnalisés. Pourtant, l’OCDE estime que « même si la grande distribution progresse en général par rapport au petit commerce, il ne paraît pas qu’il y ait un danger de voir disparaître les petits magasins, et il peut en apparaître de nouveaux là où les consommateurs sont particulièrement intéressés par ce type de magasins ». Une législation jugée inutile, anticoncurrentielle, et préjudiciable à l’innovation et à l’emploi Un élément essentiel de la concurrence, pour l’OCDE, réside dans la vigueur avec laquelle les consommateurs recherchent des prix bas et se tournent vers les détaillants qui les offrent. Un des effets des restrictions à la revente à perte est d’amputer la distribution des prix de sa partie inférieure. Partant, il est plus facile aux détaillants de réaliser des ventes en dépit de prix élevés, ou de majorer leurs prix au-dessus du niveau permis par la concurrence. L’OCDE estime également que les entraves légales à la baisse des prix encouragent les ententes tarifaires puisque l’administration impose des limites aux prix anormalement bas. Dans le même esprit, l’absence de ventes supplémentaires grâce à des ventes à perte aboutit à ce qu’il y ait moins de pressions sur les fabricants pour qu’ils consentent des rabais, puisque que les détaillants se trouvent peu exposés à une concurrence qui les pousserait à rechercher auprès de leurs fournisseurs des concessions tarifaires. Enfin, les lois sur la revente à perte conduiraient les détaillants à ne pas réclamer de leurs fournisseurs industriels toujours plus de performance et d’innovation – à l’inverse de ce que l’OCDE appelle « l’effet Wal-Mart ». Des études corrèlent statistiquement des niveaux élevés de réglementation, notamment en matière de lois sur la revente à perte, à une croissance économique plus lente et à un chômage plus élevé. Les travailleurs faiblement qualifiés accédant souvent au marché du travail par un emploi dans le commerce de détail, une croissance plus lente dans ce secteur affecterait de manière disproportionnée cette catégorie de travailleurs. Des États aux positions disparates Une conclusion sourd de la lecture de ces actes : les réglementations prohibant la revente à perte sont sans objet, dès lors que les pratiques de prix abusivement bas sont poursuivies au titre des pratiques d’éviction du marché, notamment dans le cadre de la lutte contre les prix prédateurs et les abus de position dominante. Pourtant, certains pays disposant d’une législation en la matière ne se sont pas montrés désireux de la mettre en question. L’Irlande, en revanche, a opté pour une position contraire. Pour le représentant de la France, il est difficile d’argumenter positivement sur les avantages de l’interdiction de la revente à perte, en raison des effets pervers induits par ce type de législation. Cependant, une fois qu’un pays est doté d’un système de prohibition de cette pratique, il est également difficile de le changer, car la législation structure les relations commerciales et les agents économiques redoutent le passage d’un système réglementé à une libéralisation de la revente à perte. En Allemagne, le commerce de détail est très concurrentiel, avec les prix les plus bas d’Europe, en raison de la stratégie tarifaire agressive pratiquée par les maxidiscompteurs Aldi et Lidl. La législation allemande sur la revente à perte n’a pas limité la concurrence, et les associations de consommateurs approuvent son existence, estimant qu’elle protège l’activité des PME d’une concentration excessive du marché. Aux États-Unis, une quarantaine d’Etats disposent de lois générales sur la revente à perte, et certains ont adopté une loi spécifique à la revente d’un produit, telles les cigarettes ou l’essence. L’existence de législations sectorielles est justifiée non par la protection des consommateurs, mais par celle des petites entreprises et des magasins de proximité. Le délégué de l’Italie a mentionné les arguments contradictoires avancés par les distributeurs et les industriels. Le rapport évoque des « arguments avancés de façon agressive tant par le secteur industriel que par celui des détaillants ». Pour les premiers, l’interdiction de la revente à perte tend à accroître la collusion entre les entreprises et à diminuer la concurrence entre fournisseurs. Lorsqu’il n’y a pas de loi sur la revente à perte et qu’un distributeur vend un article à bas prix, ses concurrents ne savent pas si ce prix est ou non inférieur à son coût d’acquisition. Dans le doute, ils ont tendance à se livrer à une concurrence plus vive pour obtenir de l’industriel davantage de remises. Pour les associations, en particulier de fabricants de produits de marque, en Italie comme dans de nombreux pays, la revente à perte porte atteinte à la réputation des produits haut de gamme et à la rentabilité des investissements qu’ils nécessitent. En République tchèque, près de 70 % des produits sont commercialisés dans des supermarchés situés dans le centre historique des villes, tandis que les petits commerces font faillite. Plus de 90 % de la production d’aliments est vendue en grandes surfaces, ce qui a provoqué un sérieux problème entre celles-ci et leurs fournisseurs. Une loi spéciale sur la dépendance économique est en discussion au Parlement ; elle vise à empêcher la destruction de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire tchèque. Lors de la table ronde de l’OCDE, l’Irlande était en plein débat public en vue de mettre fin aux interdictions de la revente à perte formulées dans le Groceries Order de 1987. Depuis, cette législation a été abrogée (2). Selon un texte entré en vigueur en mars 2006, l’interdiction de vendre au-dessous du prix net facturé (articles 11 et 12 du Groceries Order) a été supprimée. En revanche, il est interdit aux distributeurs d’imposer à leurs fournisseurs une rétribution en contrepartie d’opérations promotionnelles ou d’emplacements privilégiés en linéaire. L’application des lois sur la revente à perte en Suisse est fondée sur la tromperie. Des consommateurs pourraient être trompés par des prix bas. Pourtant, le délégué de la Suisse à l’OCDE a estimé qu’à la lumière du débat politique qui a eu lieu sur les prix élevés pratiqués dans ce pays, des prix bas, voire très bas, sont les bienvenus. La Suisse appartient, selon les critères de l’OCDE, à la catégorie des pays qui ont supprimé les dispositions concernant la revente à perte, en l’occurrence en s’abstenant de les appliquer. En Hongrie, l’interdiction de la revente à perte a été adoptée en 2003. Le ministère de l’agriculture a été le principal artisan de cette mesure, dont il s’est fait, deux ans plus tard, l’avocat devant l’OCDE. Mais celle-ci a été plus sensible, à l’occasion de la table ronde, aux réticences de l’autorité hongroise de la concurrence, pour laquelle l’expérience de la Hongrie ne confirme pas la nécessité d’une telle réglementation. Aux Pays-Bas, les organisations regroupant les petits et moyens supermarchés ont plaidé avec force, devant le Parlement, en faveur de la prohibition de la revente à perte, tout comme les grandes sociétés de l’agroalimentaire. Ici, l’OCDE abonde dans le sens du gouvernement néerlandais, qui ne s’est pas montré favorable à une législation en la matière. En dépit de discussions équilibrées entre les pays favorables à une interdiction et ceux qui y sont opposés, la conclusion du secrétariat de l’OCDE est sans appel : « L’opinion unanime est que ces lois sont mal fondées, elles ne règlent pas le problème qu’elles sont supposées résoudre et elles coûtent cher. » Ou comment ne pas entendre tous les arguments des parties en présence. (1) OCDE, Resale Below Cost Laws and Regulations, DAF/COMP (2005) 43, http://www.oecd.org/dataoecd/13/30/36162664.pdf. (2) The Competition Authority welcomes Government decision to remove anticonsumer law, communiqué de presse de l’autorité de la concurrence irlandaise du 8 novembre 2005.

Anne de Beaumont

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