Bulletins de l'Ilec

Le signe d’un progrès modeste - Numéro 376

01/11/2006

Entretien avec Jean-Hervé Lorenzi, conseiller du directoire de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, président du Cercle des économistes

Que vous suggère la lecture du classement réalisé par le Financial Times ? Les critères retenus vous paraissent-ils pertinents ? Jean-Hervé Lorenzi : On peut souligner le très impressionnant résultat des écoles de commerce françaises. Ne boudons pas notre plaisir, mais si l’on devait faire une critique aux critères choisis, il est clair qu’ils ne privilégient pas suffisamment la recherche, c’est-à-dire la qualité scientifique des enseignements dispensés et l’existence de laboratoires associés. D’une certaine manière, ce classement est à l’opposé de celui de Shanghaï (1). Signifier-t-il que les Français sont enfin devenus de bons commerçants ? J.-H. Lorenzi : Je crois que les Français ne sont ni meilleurs ni moins bons commerçants qu’auparavant. Les tristes résultats de notre commerce extérieur sont là pour nous ramener à beaucoup de modestie. Les écoles commerciales françaises ont fait d’énormes efforts d’internationalisation, mais elles ne seront vraiment au plus haut niveau que lorsque nous aurons des Prix Nobel en finance… Les références symboliques, les héros et hérauts portés au pinacle dans notre culture et notre histoire, sont rarement des chefs d’entreprise… J.-H. Lorenzi : C’est également le cas au Japon, mais cela ne l’empêche pas d’être la deuxième puissance économique du monde. Le concept de marque appliqué aux grandes écoles vous parait-il pertinent ? Existe-t-il des « promesses » de marque spécifiques à chaque grande école ? J.-H. Lorenzi : Oui, mais là aussi il nous faut beaucoup de modestie, les marques de nos écoles sont encore bien peu connues au niveau international. Les grandes écoles sont-elles les seules aptes à pouvoir former les futurs commerçants ? Distinguer les établissements selon qu’ils relèvent de l’université publique ou des grandes écoles est-il pertinent ? J.-H. Lorenzi : Bien sûr que non. Ce qui caractérise Harvard, c’est la qualité des professeurs, donc des élèves, et pas l’inverse. Il existe de très grands établissements universitaires de formation à la gestion, à la finance et au commerce. Pour n’en citer qu’un, je parlerais de Dauphine, qui aurait sa place au plus haut niveau de ce classement. Y a-t-il une forme de reproduction des élites propre au système éducatif français ? J.-H. Lorenzi : Oui, puisque nous avons cette distinction entre grandes écoles et universités qui n’a aucun équivalent ailleurs. Une fois de plus, ce qui compte au niveau international, c’est la qualité de la recherche, le niveau scientifique des professeurs, la diversité des étudiants, de leur cursus, et de leur origine sociale et géographique. Pour comprendre ce qu’est un formidable système d’enseignement supérieur, il suffit de visiter les dix premières universités américaines. La sous-représentation de l’élite économique au Parlement est-elle propre au système politique français ? J.-H. Lorenzi : Oui, mais nul ne sait si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Ce qui n’est pas bon, c’est de voir le système politique recruter quasi exclusivement dans la haute fonction publique. Certains dirigeants d’entreprise, souvent associés au capitalisme familial, n’ont pas suivi le cursus traditionnel. La « grande école » va-t-elle devenir davantage un point de passage obligé ? J.-H. Lorenzi : Je crois que tout cela est dépassé. La concurrence internationale des systèmes de formation nous conduira à repenser entièrement notre système d’enseignement supérieur. C’est ce que l’on a commencé à faire dans de grandes écoles de commerce. Mais cela suppose beaucoup de réalisme et d’humilité. L’Allemagne n’est citée qu’une fois dans le classement, cela ne l’empêche pas d’être très dynamique à l’exportation… J.-H. Lorenzi : Réjouissons-nous de ce classement, mais le fait que l’Allemagne ne soit citée qu’une fois indique bien que, comme pour le classement de Shanghaï qui est son opposé, il faut prendre tout cela avec beaucoup de précaution. Néanmoins, c’est un encouragement. (1) Dans la liste dressé par l’université de Shanghaï des cinq cents meilleures universités du monde, toutes disciplines confondues (http://ed.sjtu.edu.cn/rank/2006/ARWU2006TOP500list.htm), les vingt premiers rangs, Harvard en tête, sont occupés par des campus nord-américains, hormis le deuxième (Cambridge), le dixième (Oxford) et le vingtième (Tokyo). La première université française, Paris-VI Pierre-et-Marie-Curie, se classe 45e. Dauphine pointe au 381e rang.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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