Bulletins de l'Ilec

Une fonction à plein temps - Numéro 381

01/06/2007

Entretien avec François Colas, directeur de SDS (Synthèse Décision Stratégie), maître de conférences associé à l’université de Marne-la-Vallée, directeur de la collection « Renseignement économique » (L’Esprit du livre Editions).

Comment définir l’intelligence économique ? François Colas : Il faut revenir à la définition donnée par Stevan Dedijer, le père de ce concept, selon lequel le mot « intelligence » est pris dans son sens anglais de « renseignement ». Il s’agit de gérer et de traiter des courants d’information en vue d’alimenter des processus de décision. Toute la difficulté réside dans la capacité qu’a l’entreprise à bien connaître, comprendre et anticiper son environnement, afin d’optimiser les décisions et les actions dans le sens de ses intérêts. En France, le mot a été détourné de son sens originel et une définition institutionnelle a été donnée par le rapport Martre, Intelligence économique et stratégie des entreprises, en janvier 1994. Aujourd’hui, les définitions sont multiples. Elles vont de la version extensive, l’intelligence au sens propre (le chef d’entreprise dirige intelligemment son entreprise – mais qui ferait le contraire ! –, approche qui ignore les travaux menés depuis les années 1960 par le Boston Consulting Group, McKinsey puis Michael Porter, à la version réductrice, à savoir la protection du patrimoine informationnel. On peut également définir l’intelligence économique à travers les nouvelles technologies de l’information, mais c’est là aussi réducteur. Pour certains, l’intelligence économique est strictement réservée aux chefs d’entreprise, ce qui n’était pas l’option retenue par le rapport Martre. Un dispositif d’intelligence économique, ou plus simplement de renseignement extérieur qui n’est en aucun cas synonyme d’espionnage, est un instrument qui ne saurait seul se substituer aux autres disciplines et techniques de gestion. Son rôle est d’optimiser la collecte et l’analyse de l’information, la protection du patrimoine informationnel et l’organisation d’actions d’influence, le tout dans le respect du droit. Quels ont été les apports du rapport Martre ? F. C. : Il a mis en exergue le fait qu’avec la mondialisation les menaces et opportunités issues de l’environnement sont véhiculées par un système complexe d’acteurs et de facteurs, qui implique d’élargir la capacité d’anticiper. Deuxième apport : le rapport insistait sur la nécessité de mettre en place des voies et des moyens qui permettent, de façon continue, de donner, dans les meilleures conditions possibles de délais, de qualité et de coûts, le renseignement à celui qui en a besoin. Ce n’est ni plus ni moins que le cycle du renseignement : définir les besoins des décideurs, collecter les informations, les exploiter puis distribuer les renseignements. Troisième apport : l’intelligence économique impose de dépasser les seules activités de veille, nécessaires mais non suffisantes, pour promouvoir un système intégrateur. Il demeure que, à ce jour, le rapport Martre n’a pas donné naissance à un modèle type, ni à un syllabus. Nous avons assisté à une floraison de formations de troisième cycle universitaire et, à partir de 2003, de prestataires de services aux offres parfois discutables, sans références scientifiques sérieuses. Or les nouveaux risques, aussi bien dans le domaine du terrorisme que dans celui des nouvelles technologies de l’information, impliquent des compétences et des capacités techniques de gestion différentes du gardiennage banal ou du seul recours à Internet. Il est de plus en plus indispensable de maîtriser des techniques d’analyse d’informations (concurrentielle, géopolitique, etc.) qui dépassent largement les activités de veille. Que préconisez-vous ? F. C. : Il faut éviter de tomber dans la paranoïa mais ne pas faire n’importe quoi, n’importe où, comme traiter une affaire avec un mobile dans le train ou dans un aéroport ! Coordonner des opérations d’influence nécessite des personnels eux-mêmes habitués à coordonner des actions relevant de disciplines indépendantes les unes des autres, pour déboucher sur une vision d’ensemble. Mais il faut un responsable à plein temps, rattaché directement au chef d’entreprise, pour impliquer de manière légitime tous les acteurs en interne et avoir une gestion active du renseignement. Rappelons-nous le dicton anglais : « If it is everybody’s job, it is nobody’s job. » Dans l’univers des PME-PMI, moins averties des enjeux de l’intelligence économique, les dirigeants doivent apprendre à anticiper par rapport à leur environnement. Notre modèle, le MIPRE (Module d’initiation pratique au renseignement d’entreprise), donne une architecture de base, pour une pédagogie active et une action concrète.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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