Bulletins de l'Ilec

Les interactions de l'immatériel - Numéro 382

01/07/2007

Entretien avec Gérard Noël, vice-président-directeur général de l’Union des annonceurs, et Maximilien Nayaradou, chercheur à l’université de Paris Dauphine et auteur de la thèse.

Trente-deux milliards d’euros en France, 715 dans le monde. Deux chiffres qui témoignent de l’importance de la publicité. Pourtant, aucune étude n’avait été entreprise sur les effets macroéconomiques des investissements dits immatériels en publicité. Jusqu’à une thèse de doctorat en sciences économiques, l’Impact de la régulation de la publicité sur la croissance économique, conduite avec le soutien de l’UDA et soutenue il y a trois ans. Il ne suffit pas de produire les objets pour les vendre, les consommateurs doivent les « réclamer ». La publicité serait le point de passage obligé de la croissance. Beaucoup de monde a entouré la thèse de Maximilien Nayaradou : l’UDA, le ministère de la Recherche, la Fédération mondiale des annonceurs, l’Irep. Comment le projet a-t-il pris naissance et avec quelles préoccupations ? Gérard Noël : Surpris et inquiet de la mauvaise image de la publicité parmi les pouvoirs publics, signe avant tout d’une méconnaissance de leur part, j’ai longtemps souhaité pouvoir leur présenter une preuve tangible de son efficacité pour l’économie nationale. Il n’y a pas si longtemps, Catherine Trautmann, alors ministre de la Culture, décidait, sans s’inquiéter des conséquences possibles, de réduire l’espace publicitaire sur les chaînes publiques de douze à cinq minutes, pour finalement le fixer à huit minutes après de difficiles négociations. Comment contribuer à une meilleure connaissance du rôle positif de la publicité dans l’économie, quand peu d’études sont à notre disposition pour convaincre les pouvoirs publics ? La proposition de Jean-Hervé Lorenzi, professeur à Paris Dauphine, d’engager des travaux de recherche sur le lien, jamais étudié, entre investissement publicitaire et croissance économique, fut bien accueillie par l’UDA. Nous avons salarié, pendant trois ans, un de ses étudiants, Maximilien Nayaradou, et nous avons reçu le soutien financier du ministère de la Recherche (bourse Cifre), de la Fédération mondiale des annonceurs ainsi que de l’Irep (Institut de recherche et d’études publicitaires). Finalement, c’est plus de la moitié du coût de la recherche qui a été financée par l’UDA. Nous avons édité une synthèse des 750 pages de la thèse à trois mille exemplaires à destination du monde politique et des meneurs d’opinion. Elle a suscité un très grand intérêt et a reçu un accueil extrêmement favorable. L’intitulé de la thèse témoigne de nos préoccupations : attirer l’attention des autorités politiques sur l’impact direct ou indirect pour la croissance économique de toutes les décisions de réglementation, régulation ou taxation en matière d’investissement publicitaire médias et hors médias. Cette thèse semble arriver au bon moment, quand l’investissement immatériel est présenté comme le point de passage obligé de toute croissance… Gérard Noël : De fait, plusieurs chiffres témoignent de l’importance de la publicité : les investissements des entreprises se répartissent approximativement entre 50 % dans le « matériel » et 50 % dans « l’immatériel », dont 45 % en publicité, premier investissement devant la R&D (30 % ). Par ailleurs, sur cent entreprises européennes cotées, Ernst & Young a établi, l’année dernière, qu’en moyenne 60 % de leur valeur relevait de l’actif immatériel, le fonds commercial ou goodwill. Récemment, à la demande de Thierry Breton, alors ministre de l’Economie, Maurice Lévy a dirigé un groupe de travail sur l’investissement immatériel. La thèse de Maximilien Nayaradou venait à point s’inscrire dans cette réflexion globale, aujourd’hui sur le devant de la scène. Est-ce la croissance économique qui fait s’élever le taux d’investissement publicitaire, ou l’investissement publicitaire qui contribue à une plus grande efficacité productive ? Maximilien Nayaradou : C’est un faut débat, car plus un pays est riche, plus il est conduit à faire de l’investissement immatériel, notamment dans la publicité, et plus il augmente l’investissement immatériel, plus la croissance est élevée. Nous sommes en présence d’un cercle vertueux, particulièrement dans les économies post-industrielles. Reste qu’il faut toujours ramener l’investissement publicitaire aux autres investissements immatériels et ne jamais l’analyser en tant qu’investissement unique, car le lien n’est pas seulement causal, il est aussi interactif. Soulignons que les chiffres montrent qu’il y a moins d’éléments qui justifient le lien entre la R&D et la croissance économique qu’entre la publicité médias et cette même croissance : le Japon fait beaucoup de R&D tout en étant en stagnation économique depuis le début des années 1990 ! Autre vérité constatée et pourtant méconnue : il n’y a pas de corrélation entre croissance économique et nombre de brevets déposés. Alors qu’il n’existe aucun contre-exemple pour la publicité médias : il n’existe pas de pays affichant des taux d’investissement publicitaire médias élevés et une croissance faible. L’hypothèse que nous avons en outre vérifiée est la suivante : c’est dans les économies dotées d’un secteur tertiaire très développé - économies post-industrielles - que la corrélation entre investissement publicitaire médias et croissance économique est pertinente. La thèse s’appuie sur le modèle d’Alain Villemeur (1). Quelles sont ses caractéristiques ? Quelle est votre méthodologie ? Maximilien Nayaradou : Alain Villemeur analyse le différentiel de croissance économique constatable depuis trente ans entre les Etats-Unis et l’Europe. Il avance, comme facteur explicatif le plus discriminant, le différentiel d’investissement dans l’immatériel, et plus particulièrement dans la R&D. Le concept d’efficacité productive se mesure par la division du taux de croissance du PIB par le taux d’investissement matériel. Nous montrons dans nos travaux que ce différentiel de croissance s’explique aussi par un écart considérable entre les deux zones géographiques en matière d’investissement publicitaire dans les médias. Pourquoi le long silence des théoriciens sur le rôle de la publicité dans l’économie ? Maximilien Nayaradou : Pour les néo-classiques, qui sont des théoriciens de l’offre, il n’y a pas de problème de débouché, donc pas de nécessité de recourir à la publicité, car toute offre crée sa propre demande. Les keynésiens et les schumpétériens, qui ont une vision de l’économie plus réaliste, soulignent pour les uns le rôle clé de la demande, pour les autres l’importance des nouveaux produits et de l’innovation. Mais ils n’expliquent pas réellement pourquoi certains pays ont une propension plus forte à consommer et en particulier à consommer de nouveaux produits : la publicité constitue probablement l’une des explications (ce n’est pas la seule) à ces différences de comportement en matière de consommation et d’adoption rapide de l’innovation. Votre thèse porte sur seulement dix ans (1990-2000). Est-ce suffisant pour des résultats pertinents ? Maximilien Nayaradou : Je souhaiterais étendre l’analyse à d’autres pays et la prolonger sur 2000-2010. Malheureusement, les données macroéconomiques sur les investissements publicitaires hors médias ne sont plus publiées dans de nombreux pays, alors que c’est dans ce domaine que mes résultats demanderaient à être approfondis. Gérard Noël : Une des originalités de la thèse réside dans le fait que c’est l’ensemble de l’investissement publicitaire, médias et hors médias, qui est pris en compte, et dont la corrélation avec la croissance économique est démontrée. L’analyse détaillée prouve que cette corrélation est encore plus forte pour le seul investissement dans les médias. Entre publicité médias et consommation en volume, la corrélation est-elle synonyme de causalité ? Maximilien Nayaradou : Là encore, il s’agit d’une interaction : plus la pression publicitaire est forte dans les médias, plus la propension à consommer – qui correspond à la part du revenu des ménages affectée à la consommation – est forte, donc plus la consommation en volume est forte. Mais on peut aussi faire l’hypothèse raisonnable que, la propension à consommer s’accroissant, les entreprises sont incitées à augmenter leur effort en matière de pression publicitaire médias. La thèse étudie le secteur secondaire. Quid du tertiaire ? Maximilien Nayaradou : Dans le chapitre que je consacre aux effets de la publicité sur l’innovation, je m’intéresse, il est vrai, au seul secteur secondaire. Les données sur lesquelles je pouvais m’appuyer – des données homogènes et donc comparables – en matière de R&D pour l’innovation et de publicité, n’étaient disponibles que pour le secteur secondaire (sauf les IAA, industries agroalimentaires). En revanche, dans le chapitre que je consacre aux effets de la publicité sur la concurrence, je m’intéresse aussi aux IAA, et dans celui consacré aux effets de la publicité sur la consommation, aux IAA, aux services et aux transports. Les résultats sont particulièrement impressionnants en matière de consommation : ce sont les secteurs où la pression publicitaire (par rapport à leur poids dans la consommation) est la plus forte qui, dans leur grande majorité, ont la croissance de la consommation (ou de la valeur ajoutée) en volume la plus élevée. Quelle définition économique donner de l’investissement publicitaire ? Comment expliquer que l’investissement immatériel le plus important soit la publicité (45 % ), devant la R&D (30 % ) ? Maximilien Nayaradou : La contrainte majeure pour toute entreprise est celle de ses débouchés. Elle doit valoriser ses investissements matériels et son capital humain qui sont des capitaux fixes à court terme. La publicité va permettre de maximiser l’espérance de vente et de diminuer la probabilité de ne pas vendre, le risque de ne pas trouver de débouchés. La priorité d’une entreprise n’est pas tant de mettre sur le marché des nouveaux produits que de vendre ceux qui existent. C’est la raison pour laquelle la publicité est l’investissement immatériel le plus élevé. Ensuite, c’est parce qu’il y a concurrence de la part des autres entreprises que la firme est incitée à offrir de nouveaux produits, à innover. Comment définir la valeur ajoutée de la publicité et comment la mesure-t-on ? Maximilien Nayaradou : La valeur ajoutée de la publicité peut se définir, dans la plupart des cas, par la possibilité de rendre les produits moins remplaçables par d’autres sous le critère du prix, grâce à l’imaginaire. La publicité donne une valeur affective aux objets et augmente la propension à les acheter, en rendant souvent (mais pas toujours) leur demande moins élastique par rapport aux prix. Ainsi, l’entreprise peut vendre à un prix supérieur aux coûts. En quoi le concept d’« efficacité productive » permet-il de rendre compte de la productivité des investissements publicitaires ? Maximilien Nayaradou : Si le lien entre croissance économique et publicité existe, le concept d’efficacité productive permet de renforcer la corrélation : plus on fait de l’investissement immatériel, plus on met en valeur l’investissement matériel. Exemple : l’Australie fait 17 % d’investissement matériel et sa croissance est très forte ; le Japon a un taux d’investissement matériel de 21 % mais une croissance plus faible. Notre hypothèse est que ce paradoxe s’explique par le fait que l’Australie investit globalement plus et mieux dans l’immatériel que le Japon, ce qui lui permet de mieux valoriser ses investissements matériels. Gérard Noël : En d’autres termes, l’investissement immatériel, et en particulier la publicité, est un démultiplicateur de l’investissement matériel. Quels sont les effets d’entraînement propres du secteur publicitaire sur l’économie ? Ce secteur est-il en tant que tel une locomotive de la croissance ? Maximilien Nayaradou : La comparaison de la croissance des secteurs liés à la publicité avec celle de l’ensemble de l’économie montre, dans les premiers, une variation de 41 % pour la valeur ajoutée et de 36 % pour l’emploi, au lieu de respectivement 21 % et 9 % dans l’ensemble de l’économie. La dynamique du secteur de la publicité amplifie donc la croissance de l’économie. Qu’est-ce qui l’emporte dans l’évolution à la hausse du budget publicitaire des entreprises : des besoins d’investissement plus nombreux, ou l’enchérissement des coûts de l’espace publicitaire et des prestations des agences ? Maximilien Nayaradou : C’est la hausse des besoins d’investissement qui prime, avec, il est vrai, un enchérissement des coûts d’accès aux médias. Mais celui-ci est dû, en partie, à une augmentation de la concurrence entre les entreprises pour avoir accès aux espaces publicitaires rassemblant le plus d’audience. Vous associez intensité de l’investissement publicitaire et vivacité de la concurrence. Quel besoin ont des entreprises en situation de monopole de recourir à la publicité ? Maximilien Nayaradou : Jadis, l’Union soviétique faisait de la publicité pour des produits de base comme le savon et les lessives, pour des raisons pédagogiques. Contrairement aux idées reçues, vendre n’est pas automatique pour une entreprise, même si elle est en situation de monopole. La SNCF, par exemple, fait de la publicité, car son offre est concurrencée par l’avion. L’idée néo-classique selon laquelle toute offre crée sa propre demande est erronée. Il faut investir dans la demande pour susciter la consommation. N’est-ce pas la combinaison des facteurs de production plus que les facteurs eux-mêmes qui font la croissance ? Maximilien Nayaradou : La publicité n’est pas magique ! C’est la combinaison avec les autres investissements immatériels qui la rend efficace en termes de croissance économique. En particulier, comme je le démontre dans la thèse, en combinant investissement publicitaire, investissement en R&D et innovation. Où la publicité est-elle la plus efficace sur le plan économique, dans les médias ou dans le hors-médias ? Quels sont les meilleurs supports en termes d’ « efficacité productive » ? Maximilien Nayaradou : L’observation des faits montre que la publicité, sur le plan économique, est la plus efficace dans les médias. Deux pays, la France et l’Allemagne, ont des niveaux très élevés de publicité hors-médias, mais avec une efficacité productive peu élevée. Il ne s’agit pas pour autant de condamner le hors-médias, car l’analyse est d’abord macroéconomique. Sur le plan micro-économique, certaines entreprises ont sans doute intérêt à investir plus dans le hors-médias que dans les médias. Les deux supports médias qui sont corrélés de manière la plus forte et la plus significative à l’efficacité productive sont la télévision et la presse écrite. Pourquoi observe-t-on une grande diversité de taux d’investissement publicitaire selon les pays ? Les raisons sont-elles de nature culturelle ou économique ? Maximilien Nayaradou : Les raisons traditionnellement avancées seraient de nature culturelle. Pour autant, les raisons économiques ne doivent pas être occultées, comme le montre l’exemple de la France, où la restriction de l’accès de certains secteurs de l’économie aux médias a limité les recettes publicitaires de ceux-ci et a pu entraver le plein développement des secteurs concernés. Gérard Noël : La France est un pays sous-investisseur dans les médias, par rapport aux principaux pays européens et aux Etats-Unis, car longtemps notre paysage médiatique a été très strictement encadré. Il a fallu attendre quarante ans pour que la publicité télévisée s’ouvre à la grande distribution. La culture médias des entreprises s’est donc moins développée en France. Cela explique probablement la forte part prise par le hors-médias. Les différents modes de régulation de la publicité ont-ils des conséquences sur les performances économiques des nations ? Maximilien Nayaradou : On observe que les pays les plus développés sur le plan des médias sont ceux où la régulation est la moins restrictive, comme les Etats-Unis. On pourrait dire, en simplifiant, que plus la pression publicitaire médias est forte, plus la propension à consommer est forte, et plus les innovations se diffusent rapidement. Et finalement, plus la croissance est forte. Dans le contexte français de réglementation de la publicité, que préconisez-vous en termes d’espaces et de supports ? Maximilien Nayaradou : La controverse sur le fait de savoir s’il y a trop ou pas assez de publicité autorisée à la télévision est un faux débat. Le véritable enjeu, d’un point de vue macroéconomique, est que le plus grand nombre possible d’entreprises, petites ou grandes, puissent faire plus de publicité aux horaires où l’audience est forte, vers la cible qu’elles veulent toucher. L’objectif doit être d’optimiser l’investissement publicitaire médias, pas forcément en augmentant le volume, mais en rendant les conditions d’accès fluides et économiquement acceptables. La législation doit-elle évoluer ? Gérard Noël : La réponse est bien sûr oui, et le contexte nous semble favorable à une modification de la réglementation, pour au moins deux raisons. D’une part, l’audiovisuel public est aujourd’hui confronté à un problème de financement qui ne trouvera pas de solution dans l’augmentation de la redevance, refusée par le gouvernement et par les citoyens. La solution passe par davantage de recettes publicitaires. D’autre part, sur le plan européen, le Conseil des ministres a approuvé la révision de la directive sur la télévision sans frontière, appelée maintenant « services médias audiovisuels » (SMA), qui va dans le sens d’une libéralisation et d’un assouplissement des règles. Même si la France n’est pas obligée de se soumettre complètement à cette directive – elle n’applique la précédente, de 1997, que de façon très restrictive –, elle ne peut pas être éternellement en fort décalage par rapport aux autres pays européens. Propos recueillis par Jean Watin-Augouard 1) Auteur de la Divergence économique, Etats-Unis Europe (Economica,, 2004) et de la Croissance américaine ou la main de l’Etat - Comment l’Amérique keynésienne surclasse l’Europe néolibérale (Seuil, 2007). La synthèse de l’Impact de la régulation de la publicité sur la croissance économique, publiée en 2006, peut être téléchargée à partir du site de l’UDA (www.uda.fr). Il est également possible de commander ce texte auprès de l’UDA (53, avenue Victor-Hugo, 75116 Paris ; tél. 01 45 00 79 10 ; courriel infos@uda.fr).

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