Bulletins de l'Ilec

Pour la création d’une fondation ad hoc - Numéro 383

01/09/2007

Entretien avec Christian Huard, secrétaire général de l’Adéic (Association de défense, d’éducation et d’information du consommateur)

Pourquoi les mots « éducation du consommateur » dans le libellé de votre association ? Quelles sont les actions de l’Adeic en matière éducative (édition, interventions en milieu scolaire…) ? Christian Huard : Lors de notre création, en 1983, la mission de l’association portait sur l’éducation et l’information du consommateur sans le « d » (défense). L’idée était d’intégrer l’éducation à la consommation dans une école beaucoup plus ouverte sur la vie et préparant les futurs citoyens consommateurs. Après nos heures de gloire, nous avons été abandonnés par les pouvoirs publics et les décideurs du système éducatif, dans les années 1990. Aujourd’hui, les vents ne sont pas très porteurs pour promouvoir de manière globale l’éducation à la consommation, qui se concentre essentiellement sur des questions d’alimentation, de risque pour la santé, de risque domestique et de développement durable. Il n’y pas de dynamique constante. Aussi, dans la mesure où il n’y a plus beaucoup de moyens pour l’éducation, nous nous sommes rabattus sur l’aspect défensif des consommateurs. Mais nous n’abandonnons pas pour autant l’éducation, comme l’atteste notre prochain ensemble pédagogique sur la prévention des accidents domestiques, notre projet d’exposition sur la consommation. Nos associations départementales, proches du terrain, restent mobilisées pour mettre en œuvre des initiatives variées. Dans la mission des organisations consuméristes, la part de la défense d’intérêt dans un litige l’emporte-t-elle sur la dimension éducative, d’apprentissage d’une consommation responsable ? C. H. : Notre rôle est certes d’éduquer, mais il est aussi d’aider les gens à organiser leur négociation dans un litige. En France, on n’apprend à personne comment négocier. Nous ne pouvons pas ne pas aider la personne à se défendre elle-même. Nous défendons également les consommateurs en étant vigilants lors de dérégulations ou, plus récemment, à propos de l’impact des technologies RFID, de la géolocalisation, des nanotechnologies. Ce débat devrait être démocratique ! Constatez-vous un accroissement du nombre des litiges ? C. H. : Oui, mais plus que l’accroissement dû à la sophistication de certains produits, particulièrement dans l’univers des communications électroniques, marqué par la rapidité de l’innovation que beaucoup de consommateurs ne maîtrisent pas – sophistication également dans l’offre bancaire –, c’est la conflictualité qui augmente, car pour certains consommateurs, tout leur est dû. Leur agressivité devient très inquiétante et témoigne de la non-réponse des professionnels aux questions de leurs clients. Autre explication à cette agressivité : la consommation serait perçue comme le dernier espace de liberté où le « moi je » est très important. Les Français sont-ils mal éduqués en matière de consommation ? Quels peuvent être les acteurs-pédagogues ? C. H. : La plupart des Français sont très mauvais en économie. On peut sortir du système éducatif en connaissant bien l’appareil reproducteur de la grenouille, les plissements tertiaires, et ne rien connaître aux banques ! Ce qui est dramatique, car à travers la nécessaire formation à la consommation, il y a bien sûr celle à l’économie. Allez en Suède, au Royaume-Uni, au Québec, et vous verrez que l’éducation à la consommation est un fait acquis, elle est intégrée au programme scolaire. Nous militons donc pour que la proposition de Luc Chatel, inscrite dans son rapport de 2003, de créer une « fondation pour l’éducation à la consommation », devienne réalité. C’est le seul moyen de durer, d’organiser, de pérenniser et, par exemple, de pouvoir disposer d’un pôle d’impulsion et de ressources pour la formation des formateurs, en formation initiale et continue. Les enseignants ne pourront bien transmettre dans les écoles que ce qu’ils maîtriseront d’abord. Or, aujourd’hui, ils sont très mal formés en matière de consommation. Les entreprises devraient également avoir des plans de formation de leurs salariés à la consommation. Qui est légitime pour dire le bien et le mal en termes de consommation ? C. H. : Je n’en sais rien ! Quand Jules Ferry a décidé d’apprendre à lire à tous les Français, il savait aussi que l’on pouvait manipuler par la lecture. Il a donc demandé aux enseignants de développer l’esprit critique. La bonne éducation, c’est quand une personne est en situation de mieux se responsabiliser dans ses choix. Comment apprendre à lire un emballage, une publicité… voilà la bonne éducation à la consommation. En quoi consiste principalement le « savoir acheter » ? C. H. : Le savoir négocier, comparer, le savoir « tenir un budget », prévoir des dépenses, des renouvellements… Aujourd’hui, les comptes totalement dématérialisés placent beaucoup de consommateurs dans des situations de surendettement, car on ne leur a pas appris à tenir un budget. Si nous avons tant de problèmes sur le plan de la consommation, c’est dû à une profonde méconnaissance, à un manque d’éducation. A défaut d’une éducation à la consommation, il y a malheureusement une éducation par la consommation, une forme de déséducation comme on parle de désinformation. La pire des éducations !

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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