Bulletins de l'Ilec

Le triple net sous le sapin - Numéro 384

01/10/2007

Par Jean-Christophe Grall, MG Avocats, Meffre & Grall

C’est une certitude. La volonté présidentielle s’est exprimée le 30 août, lors de l’université d’été du Medef : « Je vais aller beaucoup plus loin, même si cela bouge les habitudes, sur la concurrence, pour faire baisser les prix à la consommation, en intégrant toutes les marges arrière dans le calcul du seuil de revente à perte. Même si un dispositif particulier sera étudié pour les produits agricoles. » Ces propos ont été confirmés et précisés par Nicolas Sarkozy le 31 août, au magasin Leclerc de Bois-d’Arcy : « Avant la fin de l’année, une réforme complète des marges arrière interviendra. […] C’est une réforme que j’avais initiée lorsque j’étais ministre des Finances et qui doit être maintenant menée à terme parce que, avec l’euro, les prix ont augmenté. » Les déclarations de Nicolas Sarkozy faisaient écho à la consultation lancée par Christine Lagarde, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, et Luc Chatel, secrétaire d’Etat chargé de la Consommation et du Tourisme, le 23 juillet, afin de procéder à un bilan d’étape de l’application de la loi du 2 août 2005 en faveur des PME, et évoquer la méthode et le calendrier de la deuxième étape de cette réforme. Cette consultation semble aujourd’hui tombée aux oubliettes, tant les choses se sont accélérées au cours des semaines suivantes, avec la volonté marquée de supprimer tout ce qui peut constituer un frein à la croissance. C’est en fait non pas le bilan de la loi Dutreil qui est dressé, mais celui de la réglementation du commerce ! La réforme envisagée vise à modifier en profondeur des dispositions régissant les relations industrie-commerce. Contrairement à ce qui avait été envisagé au mois de juillet, une seule loi devrait être adoptée avant la fin de l’année, portant tout à la fois sur le droit de la consommation et les marges arrière, avec sur ce dernier point : – une modification du calcul du SRP, qui intégrera tous les avantages financiers consentis par le vendeur, hors NIP (nouveaux instruments de promotion) ; – la rédaction d’un contrat unique qui traduira le résultat de l’ensemble de la négociation commerciale, et reprendra les éventuelles conditions particulières de vente (CPV) accordées et la rémunération de services, la distinction entre coopération commerciale et services distincts disparaissant ; – une possible négociabilité des tarifs des producteurs, industriels, grossistes, entraînant un assouplissement des règles sanctionnant la discrimination abusive, seul vrai point encore en discussion aujourd’hui ; – une dépénalisation de l’interdiction de la revente à perte et d’autres incriminations contenues dans le Code de commerce. L’objectif poursuivi par le gouvernement est donc de réformer en profondeur et très rapidement l’ensemble de la relation juridique établie entre un producteur ou un industriel et la grande distribution. S’agissant du « triple net » applicable le 1er janvier prochain, les modifications purement textuelles qu’entraînerait cette réforme sont mineures. L’article L. 442-2 du Code de commerce serait ainsi rédigé : « Le prix d’achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques à cette revente et du prix du transport. » Le SRP nouveau cru qui prendrait sa place dans la vie des affaires françaises serait à l’instar de nombreuses législations et réglementations européennes. Ne nous trompons pas cependant : il s’agirait d’une réforme qui ne porterait que sur la définition du mode de détermination du seuil de revente à perte, non la levée de son interdiction. A moins que la commission Attali sur la libération de la croissance, installée le 30 août, ne propose avec succès, de manière beaucoup plus radicale, la suppression du titre IV du livre IV du Code de commerce définissant les pratiques restrictives de concurrence, dont relèvent les tarifs et les CGV, le SRP, la discrimination abusive et la formalisation des accords annuels entre industriels et distributeurs, ce qui serait une révolution culturelle. Nous n’en sommes pas là. Les textes qui circulent, en ce mois d’octobre, ne portent que sur le mode de calcul du SRP. Il s’agirait de donner toute liberté aux revendeurs d’intégrer dans leurs seuils de revente à perte l’ensemble des avantages financiers qu’ils ont pu obtenir du vendeur, peu important que ces avantages aient été consentis à une centrale internationale, nationale ou régionale, à une centrale de référencement ou à une centrale d’achat, voire aux points de vente, dès lors qu’il s’agit d’avantages financiers accordés par le « vendeur » à un même groupe de distribution. En revanche, les sommes allouées dans le cadre des NIP n’entreraient pas dans le champ d’application du texte, dès lors que ces avantages financiers seraient accordés directement par le fournisseur aux consommateurs, les distributeurs n’étant que mandatés par les industriels pour faire bénéficier les consommateurs d’opérations promotionnelles : lots paramétrés en caisse, promotions virtuelles, BRI, BRD, etc. Réapprendre à faire du commerce Autoriser le triple net induira la possibilité pour un distributeur de réinjecter dans ses prix de revente la totalité des avantages financiers dont il bénéficie, à savoir tout aussi bien les avantages figurant sur la facture (remises, ristournes inconditionnelles et ristournes conditionnelles acquises à la date de la vente), qui contribuent à définir le prix unitaire net des produits achetés (« premier net »), mais également l’ensemble des ristournes conditionnelles non acquises et ne figurant dès lors pas sur facture (« deuxième net »), ainsi que la rémunération des différents services rendus à l’industriel (« troisième net »). Tout serait ainsi intégrable dans le prix de revente au consommateur qui, devrait mécaniquement baisser, avec un effet favorable sur le pouvoir d’achat pour autant que les grandes surfaces jouent le jeu (Michel Edouard Leclerc a déclaré le 4 octobre que ses adhérents ne pourraient pas faire baisser les prix si les industriels ne faisaient pas un effort de leur côté). Les distributeurs qui ont pu réintégrer en 2007, lors d’opérations promotionnelles, le montant maximal des avantages financiers qu’ils pouvaient réintégrer, à savoir la partie de la marge arrière excédant 15 % , devraient profiter en 2008 du passage au triple net pour investir dans les promotions la totalité de la marge arrière. Cela concernerait donc davantage les produits bénéficiant d’une promotion que les produits dits de fond de rayon, sans toutefois exclure ceux-ci. Les distributeurs ne pourront pas, cependant, à moins de s’inscrire dans une logique infernale de baisse des prix pour paraître les plus compétitifs, réintégrer en permanence l’ensemble des avantages financiers dont ils bénéficieraient, une telle logique pouvant conduire à la disparition pure et simple de certains d’entre eux. Ils devront réapprendre à faire du commerce, comme leurs homologues le font en Angleterre ou en Allemagne, en achetant à un prix trois fois net et en ne bénéficiant que de marge avant. Ils décideront de réaliser un bénéfice lors de la vente des produits, ou de vendre à marge zéro, c’est-à-dire en réintégrant la totalité des avantages financiers, peu important qu’il s’agisse d’avantages consentis à l’avant ou à l’arrière. Il y aurait alors un vrai changement de culture : celle de la marge avant et non plus celle de la marge arrière. Risques de compensation pour les fournisseurs Les distributeurs ne souhaitant pas financer la totalité de l’investissement ainsi réalisé dans leurs prix de revente au consommateur demanderont aux industriels une baisse de leurs tarifs et, sans doute, une compensation à due concurrence de la marge perdue, comme cela a pu déjà se constater fin 2006, à l’issue de la première période d’application de la loi Dutreil. Quelle que soit la solution qui sera finalement retenue demain, nous nous trouvons à la croisée des chemins : libéralisme total et suppression de toute disposition protectrice du commerce, pour ne conserver que les pratiques qui ont une incidence sur le marché (ententes et abus de domination), ou maintien quelque temps d’une réglementation étatique protectionniste qui remonte pour partie à plusieurs dizaines d’années. A titre d’exemple, le passage au trois fois net conduit à s’interroger sur le maintien d’une interdiction de la revente à perte, qui constitue en France l’un des fondamentaux du droit économique depuis 1963. La commission Attali propose une solution radicale en la matière, au nom du pouvoir d’achat : aller dans le sens d’une suppression d’une partie des dispositions du Code de commerce sanctionnant les pratiques restrictives de concurrence per se, c’est-à-dire indépendamment d’un quelconque effet sur le marché.

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