Bulletins de l'Ilec

La marque, point de passage obligé - Numéro 387

01/02/2008

Entretien avec Jacques Manardo, président de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP)

Nommé président du Syndicat des entreprises de services à la personne en février 2006, vous avez transformé le syndicat en fédération. De quelle nouvelle ambition ce changement témoigne-t-il ? Jacques Manardo : La loi Borloo fait en 2006 la synthèse de tout ce qui été entrepris depuis quelques années pour promouvoir les services à la personne. Elle ajoute le concept d’enseignes, et un u au chèque emploi service : les entreprises vont pouvoir l’abonder, grâce aux sociétés financières émettrices de Cesu. Une fédération est créée en avril 2006, avec trois collèges : les entreprises de services à la personne (ex-syndicat), au nombre de deux cents aujourd’hui (Acadomia, Viadom...), les émetteurs de Cesu (Axa, Accor, Sodexo, La Poste) et les enseignes (La Poste, Accor, Caisses d’épargne, Crédit agricole, A Plus). La Fédération a élaboré en 2007 un plan d’action commun pour promouvoir l’intérêt collectif des trois catégories d’acteurs, en symbiose avec l’Agence nationale des services à la personne (ANSP). Notre ambition est de développer une convention collective avec les syndicats, un programme de formation, des standards de qualité. Toutes ces mesures concourent à professionnaliser le secteur. Comment expliquer le retard des services à la personne en France, par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis ? La loi Borloo permet-elle de le combler ? J. M. : Notre retard s’explique pour des raisons culturelles, sociologiques. Les Français ont une réticence à payer le service, car dans la morale catholique servir son prochain se fait gratuitement, et dans la pensée dominante l’argent n’est pas propre. Ajoutons la gratuité de l’école et de l’hôpital, la question fuse : pourquoi payer ? Parallèlement, le travail au noir est singulièrement développé. Depuis 1990, les gouvernements ont pris des mesures pour aider le consommateur français à changer de mentalité. Que faire sinon lui donner des avantages pour payer moins cher ? Première mesure en 1990 : la réduction d’impôt pour l’emploi direct de salariés à domicile, étendue au système associatif. En 1996, les entreprises obtiennent le droit de transférer la réduction d’impôt à leurs clients. La TVA passe à 5,5 % en 2000, le crédit d’impôt famille permet aux entreprises d’offrir à leurs salariés, en 2004, des services de garde d’enfant. La loi Borloo donne aux entreprises la même réduction de charges sociales employeur que celle jusqu’alors accordée aux associations. Elle crée également le Cesu, qui a beaucoup de difficulté à démarrer dans les entreprises, car, faussement présenté comme un avantage fiscal, il est prélevé dans le même crédit d’impôt famille créé en 2004. Il devient une niche fiscale pour les petits entrepreneurs. A combien d’emplois évaluez-vous le gisement dans les SAP ? J. M. : Si on arrive à redorer le blason du mot « service », et si on incite les jeunes à quitter le RMI, le gisement est colossal. En 2006, les services à la personne ont créé un emploi sur cinq. Le service à la personne répond à des tendances profondes, d’abord de nature démographique. L’allongement de la durée de vie augmente le nombre de personnes dépendantes, mais aussi celui des seniors au pouvoir d’achat élevé. Deuxième phénomène : notre taux de natalité en hausse. Les tendances sont aussi sociologiques : la féminisation de l’emploi conduit les femmes dont l’emploi du temps est particulièrement chargé à recourir aux services. Reste un problème de taille : le recrutement. Aussi a-t-on réussi à inscrire les services à la personne sur la liste des métiers qui peuvent importer de la main-d’œuvre des nouveaux Etats de l’UE. La demande doit-elle être subventionnée ? J. M. : Contrairement aux idées reçues, les incitations fiscales ne créent pas le marché, il est porté par un énorme besoin sociétal de services. Comme le prouve le succès de Viadom (trois mille coiffeuses à domicile), en dépit du lobbying des salons de coiffure qui a conduit à radier la société de la liste de celles qui bénéficient des avantages fiscaux. Il est nécessaire de s’interroger sur le positionnement du service dans le panier de la ménagère. On observe que sa part augmente, une croissance justifiée par la quête d’un équilibre de vie aussi bien à domicile que sur le lieu de travail. Quels sont les SAP marchands appelés à se développer le plus ? J. M. : Aujourd’hui, le plus gros marché (50 % du chiffre d’affaires) est celui du soutien scolaire. La deuxième demande concerne l’entretien de la maison (25 % ), puis vient l’aide aux personnes âgées (20 % ), le reste réunissant assistance informatique, garde d’enfant ou jardinage. Mais les services hors domicile, sur le lieu de travail (crèche, conciergerie) se développent très vite. Peut-on dire que le secteur quaternaire est un secteur économique à part entière ? J. M. : Oui, bien sûr. Pour recruter, former et croître, il faut gagner de l’argent. Pour cela, il faut une véritable industrie, car c’est par la taille que l’on acquiert des méthodes et des outils. Comme il faut conserver le côté méticuleux, donc onéreux, du service. Le prix d’entrée dans la profession est donc très élevé, mais cela n’empêche pas l’émergence de vrais acteurs économiques. Nous nous engageons dans la phase de rapprochement et de diversification des services rendus, pour rentabiliser le coût très élevé de la plate-forme technique. Dans cinq à dix ans, des géants vont apparaître, comme il en existe dans d’autres pays. Quel rôle jouent les émetteurs et les enseignes ? J. M. : Les émetteurs de Cesu jouent le rôle important de facilitateurs du financement. Les enseignes, dont le métier est d’être des courtiers, n’ont pas encore toutes trouvé leur modèle économique, elles sont donc en surnombre. Le service à la personne est antinomique avec la marque blanche et l’anonymat des enseignes. La stratégie des entreprises qui rencontrent le succès est de garantir une certaine continuité dans le service avec des gens bien formés, ce que ne peut garantir la seule enseigne. Le vrai problème de la profession n’est pas tant le commercial que l’accès à la ressource formée. Les enseignes ont donc beaucoup plus de difficulté à honorer leur promesse commerciale, faute de ressources humaines. Des marques apparaissent, comme Acadomia, A Domicile Services, To Do Today.... Le concept de marque est-il le point de passage obligé pour rassurer les consommateurs de SAP ? J. M. : La valeur d’une entreprise de service, c’est la réputation de sa marque. Le service est par essence impalpable, intangible, aussi le consommateur a-t-il besoin d’être rassuré par la marque. Acadomia a été le premier à comprendre l’enjeu, en créant sa marque et en communicant massivement. Seule la qualité est génératrice de différenciation. L’avenir de la profession passe d’abord et essentiellement par les marques. L’offre de services n’est-elle pas encore trop peu visible car trop atomisée ? J. M. : Oui, il y a trop d’acteurs qui ont sous-estimé le coût d’entrée, et l’offre n’est pas assez visible car il n’y a pas assez de marques. Après l’ère de la diversification, nous allons assister à celle du regroupement. Comme les banques ne prêtent pas et que les fonds d’investissement ne sont pas intéressés par les services, la solution passe par la taille, donc la fusion. L’offre de formation aux métiers des SAP vous paraît-elle suffisante ? La professionnalisation est-elle en bonne voie ? J. M. : Elle est insuffisante, mais la professionnalisation est sur le bon chemin. Un accord avec les syndicats (quatre sur cinq) concernant la convention collective des services à la personne et son périmètre vient d’être signé. Deuxième outil : les normes de certification des entreprises ont été revues à la hausse. Troisième outil : la formation continue, financée par un organisme paritaire de collecte, a été mise en place. Dernier outil de professionnalisation : la marque. Dans quelle mesure la grande distribution commence-t-elle à s’intéresser aux SAP ? J. M. : De par sa capacité à capter ses clients, la grande distribution s’y intéresse de deux manières. Le service après-vente peut devenir un service à la personne, il bénéficie de la marque et de la puissance commerciale. En revanche, les hypermarchés n’ont pas encore trouvé le modèle économique pérenne. La Commission Attali propose-t-elle des mesures concrètes ? J. M. : Elle reconnaît que les services à la personne constituent un vrai secteur.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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