Bulletins de l'Ilec

18-30 ans, génération noire - Numéro 388

01/03/2008

par Alain Thieffry, A.Thieffry Consultant

La génération des 18-30 ans que j’observe depuis plus de quinze ans est une génération tout à fait particulière que j’appelle « génération noire ». Née avec la crise, on lui a dit durant toute son enfance et son adolescence : « fais des études le plus possible mais de toute façon, tu connaîtras le chômage ». Son adolescence a eu lieu sur le pic de chômage en France. Toutes les classes d’âges, tous les milieux, tous les diplômés ont été touchés. Son adolescence fut également marquée par le développement du sida, le divorce des parents et la destruction de la famille, la chute du mur de Berlin et de toutes les idéologies alternatives, la découverte en direct de toutes les guerres et de la brutalité du monde. Vivre l’instant présent sans hypothéquer le futur lointain Il est certain que cette génération est plus pessimiste et plus prudente que celles qui l’ont précédée. Elle raisonne de façon totalement différente. Toutes les générations, avant elle, construisaient leur vie à petits pas, en pensant que demain serait meilleur qu’aujourd’hui. Le moyen terme dominait ses choix… Cette génération des 18-30 ans croit que demain est incertain et qu​‌’après-demain l’est encore plus… Elle ne croit qu’en l’instant présent et dans le futur très lointain qu’elle pourra reconstruire. La fin du moyen terme Comme l’atteste, par exemple, son comportement écologique : elle profite de l’instant (voyage, communication et culture), pense à l’après-pétrole, entend arrêter de détruire la planète… entre le présent et le futur. Tout est incertain, elle gère au plus près. Elle profite de la vie, mais n’hypothèque pas le futur lointain. Sa manière de consommer change. L’arbitrage se fait au profit des voyages, des loisirs, de la culture et de la communication ; de l’immobilier qui protège en cas de période de chômage, quitte à quitter les centres villes pour la troisième ou quatrième couronne, voir parfois choisir les villes de province. Cela au détriment de la dépense alimentaire, vestimentaire et matérielle, sauf pour tout l’équipement lié à la communication (TV, portable, nomade, informatique, téléphonie…). Les jeunes sont comme les générations qui les ont précédés, certaines marques les font rêver : ipod, Eastpack, Converse, Asics, Quicksilver, Ralph Lauren, Playstation, Wii. L’exception française La France pose plus de problèmes que les autres pays, à part l’Italie, pour trois raisons. Le chômage des jeunes est un scandale. Il est de notre responsabilité d’accueillir les jeunes dès qu’ils se présentent dans la vie active. Or nous avons organisé la société autour de deux pôles : « tu es jeune sans expérience, fais d’abord tes preuves », ce qui est absurde ; « tu es vieux, tu es trop cher, mets-toi en préretraite », c’est aussi absurde. Deuxième raison : le CDD et les petits boulots pour formation terrain, c’est confondre le temps des stages et le temps du travail. Où est l’apprentissage en France ? La troisième raison est dans le discours. Aujourd’hui, il est de bon ton d’être pessimiste. Le politiquement correct recommande de penser et dire : « ça ne va pas ». Il faut tout changer, tout faire bouger. Le médiatiquement correct – le catastrophisme, le pessimisme – se vend mieux que l’optimisme, même nuancé, ou le réalisme. Enfin, l’économiquement correct promet que « la crise est partout ». Alors les Français, comme les jeunes, sont pessimistes. Relativisme Trois questions se posent. Pourquoi ce discours ambiant ? À qui profite le crime ? En fait, sur le fond les Français et les jeunes sont-ils aussi pessimistes qu’ils le disent ? Le discours ambiant justifie des actions. Qui en profite climat pour être élu, mieux vendre, gagner des clients, ou développer une activité dans tous les sens du terme ? C’est vrai pour les maxidiscompteurs et pour Leclerc, pour certains politiques, pour les assureurs et les banquiers. C’est vrai pour certains magazines, programmes TV ou journaux. Mais, attention aux Français, jeunes comme vieux. Ils adorent râler plus que les autres. Ils ne sont pas toujours objectifs, quand on les interroge. Regardons les faits. Les jeunes quittent leurs parents plus tard. Ils sont prudents et malins. Les Français aujourd’hui font plus d’enfants que les générations précédentes, même si 50 % naissent hors mariage. Faire des enfants est preuve de confiance dans l’avenir. Les jeunes investissent plus que leurs aînés. Certes, ils se sécurisent dans la pierre et les assurances. Mais qui investissait sur trente ans parmi leurs aînés ? Ils n’hésitent pas à s’engager à long terme, plus loin que leurs aînés. Les jeunes consomment, quitte à emprunter. Ils consomment dans les technologies nouvelles parce qu’ils ont confiance en elles. Ils font plus d’études et croient à la culture. Ils s’ouvrent plus au monde et surfent sur la Toile. Le modèle français créé par les adultes est nul pour nos jeunes, sauf sur un point : on leur enseigne à être les rois de la débrouillardise et c’est ainsi qu’ils plébiscitent le gratuit : le journal gratuit, le film gratuit (téléchargement), la musique gratuite (téléchargement), la culture gratuite, le voyage à petits prix, les achats sur eBay. Prudents, pessimistes et malins, ils vivent le plaisir immédiat et le futur très lointain. Ils se méfient des adultes et de demain, et se préparent à construire le monde d’après-demain. À nous de faire que le monde de l’éducation et le monde du travail ne soient plus étanches et travaillent en symbiose. À nous de réinstaurer et valoriser l’apprentissage. À nous de ne laisser aucun jeune en recherche d’emploi plus de trois mois. À nous de les aider à créer leurs entreprises. Il est urgent d’agir car la génération qui suivra, aujourd’hui âgée entre cinq et seize ans, sera révolutionnaire. Il nous reste dix ans.

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