Bulletins de l'Ilec

Du bon usage des chiffres - Numéro 389

01/04/2008

Entretien avec Cédric Ducrocq, président du cabinet Diamart

L’étude Asterop souligne l’absence de concurrence dans un grand nombre de zones de chalandise et des inégalités d’accès des consommateurs à l’offre. Et l’UFC Que choisir affirme que seules 26,9 % des zones sont « potentiellement » concurrentielles. Partagez-vous ces constats ? Cédric Ducrocq : L’étude Asterop ne démontre pas du tout cela. Une zone avec un leader n’est pas une zone sans concurrence pour autant : l’étude ne permet pas de distinguer, parmi les zones avec une enseigne prédominante, celles où ce leadership est si écrasant que la concurrence devient illusoire. On peut faire dire aux chiffres ce qu’on veut, il suffit d’avoir une idée claire des conclusions qu’on veut argumenter avant de définir les seuils et les méthodes d’analyse… Les lois Royer puis Sapin et Raffarin ont-t-elles été utiles ? Ont-elles renforcé les rentes de situation ? C. D. : L’étude citée rappelle cependant une chose importante : la grande disparité de densité commerciale selon les zones, conséquence d’un système réglementaire absurde et contraignant. On n’ouvre pas les mètres carrés là où le potentiel le justifie, mais là où on arrive à obtenir une autorisation. Quant aux lois Raffarin et Galland, elles ont amolli la concurrence en France et affaibli la distribution française, qui a cessé de progresser : aucune entreprise ne progresse sans la stimulation de la concurrence. Peut-on être numéro un et vertueux en prix ? Selon l’UFC, avec le même chariot chez Leclerc, un ménage girondin économise 392 euros par an s’il fait ses courses à Port-Sainte-Foy-et-Ponchap plutôt qu’à Talence (Gironde) ? Le manque de concurrence a-t-il un tel effet inflationniste ? C. D. : Évidemment, les prix sont plus élevés quand la concurrence est moindre. Pour autant, il y a aussi de vrais partis pris d’enseigne : Leclerc est moins cher en moyenne nationale, et tous ses magasins ne sont pas en Gironde ou dans la banlieue de Nantes. Quelles réformes préconiser ? Obliger les enseignes à échanger des magasins, comme le propose l’UFC, ou permettre plus de créations de magasins ? C. D. : Les anti-GSA nous racontent depuis des années que la France est le pays qui compte le plus d’hypermarchés par habitants, ce qui est faux, au demeurant. Aujourd’hui, on nous annonce qu’il n’y a pas de concurrence et que les enseignes s’engraissent sur le dos des pauvres clients. C’est tout aussi stupide. Arrêtons ces caricatures, et abordons la distribution avec la même objectivité que les autres secteurs économiques. Oui, la concurrence est saine et productive si elle est régulée et juste. Et oui, il faut libéraliser le commerce, tout en posant des règles claires et universelles de cohérence urbanistique et sociétale. Où faudrait-il davantage de mètres carrés ? C. D. : Là où il y a des enseignes prêtes à en ouvrir et des maires prêts à les accueillir, quoi d’autre ? On voudrait revenir à la planification nationale ? Même les Russes et les Chinois y ont renoncé. En quoi est-il pertinent d’élever le seuil nécessitant autorisation ? Les freins aux ouvertures ne résultent-ils pas plus des recours associatifs que des réticences des commissions départementales d’équipement commercial (Cdec) ? C. D. : Après avoir vécu avec le mythe d’une distribution qui détruirait de la valeur en tirant les prix vers le bas, on vit aujourd’hui avec le mythe d’une distribution qui rançonne le pays en vendant trop cher. On en déduit qu’il faut favoriser le développement du maxidiscompte, qui était l’ennemi juré du peuple dans les années 1990… Ce n’est pas de l’économie, c’est de la politique fondée sur du fantasme. Il faudrait avoir une réflexion sérieuse sur les conditions qui font que le discompte est vertueux ou non dans un secteur, selon qu’il développe ou pas le marché. Comment concilier urbanisme commercial et développement durable ? C. D. : Cela ne pose aucun problème si les règles sont claires, connues à l’avance, valables partout et appliquées sans faillir. La réforme de l’urbanisme commercial peut-elle et doit-elle ouvrir la porte aux enseignes étrangères ? C. D. : Bien sûr, pourquoi pas ? Si les enseignes étrangères sont plus performantes que les nôtres, alors elles serviront mieux les clients. Aidons-les à venir, si c’est le cas ! A quel format de magasin vont profiter les dispositions de la loi LME ? C. D. : À l’évidence, les grands gagnants seront les maxidiscompteurs, les « retails parks » de moyennes surfaces et quelques enseignes qui ont la chance d’avoir juste le bon format… Vous avez parlé de « commerce compétent ». Comment le définissez-vous ? C.D. : Comme n’importe quelle entreprise : la compétence se mesure à son résultat en termes de valeur délivrée au client (le ratio valeur ajoutée client/prix). Le reste, c’est du dogme, ou de la poésie.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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