Bulletins de l'Ilec

Un modèle français en évolution lente - Numéro 398

01/03/2009

Entretien avec Pascale Hebel, directrice du département consommation au Crédoc

Quel est l’avenir des produits basiques, bruts et frais par rapport aux produits transformés ? Pascale Hebel : L’évolution des modes de vie va nous conduire à manger de moins en moins de produits bruts, avec corrélativement une intervention plus importante de l’agroalimentaire. Les nouvelles générations veulent gagner du temps sur tous les moments du processus alimentaire, non seulement lors des courses, mais aussi lors de la préparation des repas et au moment de manger. Elles entendent consacrer plus de temps aux loisirs, et les femmes sont trop prises par leurs activités, aussi veulent-elles des produits plus faciles d’utilisation. Pour autant, le Crédoc a récemment montré que les fruits frais, qui peuvent être consommés sans préparation, sont huit fois moins achetés par les jeunes que par leurs grands-parents. La nouvelle génération n’est pas habituée à se salir les mains en épluchant des produits. Sur les étalages, on ne met plus en vente un produit qui sort de terre. C’est un frein pour les produits bio. La question est celle de la conservation des produits frais (viande, poisson, fruits et légumes), car on ne fait pas les courses tous les jours. Nous avons donc besoin de l’industrie agroalimentaire, qui peut nous offrir des repas équilibrés. Le retour du « fait chez soi » n’est-il qu’un phénomène de mode ? P. H. : Ce phénomène est lié à la conjoncture, à la crise économique, 30 % des personnes interrogées déclarant (1) que faire chez soi permet des économies. Les cours de cuisine, hier élitistes, sont devenus plus accessibles, permettant à la nouvelle génération d’apprendre à faire la cuisine, alors que la génération précédente avait tout oublié. Aujourd’hui, le consommateur entend reprendre la main sur ce qu’il consomme, et cela le rassure particulièrement dans l’univers alimentaire, frappé par des crises sanitaires. L’industrie fait peur, car le consommateur est dans ce modèle loin du producteur. La troisième raison du retour au « fait chez soi » est le développement de la cuisine de loisir et de réalisation de soi, dans la mouvance de la décoration, du jardinage et du bricolage. Le « fait maison » appartient au domaine du loisir, et on peut d’ailleurs s’y adonner sans acheter de produits frais : avec de la cuisine d’assemblage, des produits déjà tous prêts. Les facteurs de l’acculturation vont-ils porter celle-ci à un point de non-retour en matière de transmission alimentaire ? P. H. : Non, car ce qui se transmet n’est pas tant des recettes qu’une relation à l’aliment, au repas équilibré. Ces gestes qui s’étaient perdus reviennent avec les émissions de télévision, les blogs, les livres… La part de l’alimentation dans le budget des ménages va-t-elle continuer à baisser, ou a-t-elle atteint un plancher historique ? P. H. : Elle est aujourd’hui à 13,8 % , et elle va encore baisser. Si, au cours de sa vie, une même personne lui garde la même part dans son budget, on observe un effet générationnel : pour les jeunes générations la part de l’alimentation est de 10 % , et pour les octogénaires elle est de 25 % . Structurellement, cette part ne peut donc que baisser. Cela prouve que le niveau de vie augmente et que l’on se tourne vers d’autres dépenses. L’organisation des repas va-t-elle changer ? Aurons-nous le même nombre de repas par jour ? Le petit déjeuner va-t-il supplanter le déjeuner et le dîner ? La quantité consommée va-t-elle évoluer ? P. H. : L’organisation des repas demeure très stable et caractérise l’exception culinaire française. Pour 90 % des Français, le modèle est fondé sur trois repas par jour, consommés aux mêmes heures. Notons qu’un quatrième repas voit le jour : le goûter. Le contenu des repas, lui, change. On va vers la simplification, excepté au petit déjeuner, où l’on consomme plus. Dans la séquence entrée-plat-dessert, l’entrée est supprimée et le plat principal (viande-légumes, poisson-légumes) se transforme souvent en plat unique, dans lequel tout est mélangé. Quand on reçoit des amis, le repas se présente souvent sous la forme d’un apéritif dînatoire. Enfin, si l’on est toujours plusieurs aux repas, il y a de plus en plus de gens qui vivent seuls, pour des raisons démographiques. La part de la restauration hors foyer va-t-elle croître ? P. H. : En raison des arbitrages économiques liés à l’augmentation des prix, la part de la restauration hors foyer tend à baisser dans le budget des ménages. La seule offre qui tire son épingle du jeu est la restauration rapide, portée par les jeunes, parce qu’elle est pratique et peu onéreuse. Sur une longue période, la baisse de la population active et l’augmentation du nombre des personnes âgées vont raréfier les consommateurs du repas de midi à l’extérieur. Comment va évoluer la part du bio (actuellement 2 % des surfaces agricoles en France) ? P. H. : Depuis quelques années, la part du bio diminue, en raison de l’augmentation du prix des céréales, qui amène l’agriculteur à moins se tourner vers ce type de culture. La promesse marketing ne semble pas pertinente, car contrairement à ce qui est dit, le bio n’est pas forcément bon pour la santé : du fait de la disparition des pesticides, il y a davantage de bactéries. Il serait souhaitable d’avoir des produits intermédiaires pour nourrir la population mondiale, qui va doubler. Que doivent proposer les marques industrielles ? P. H. : Le marketing n’a pas toujours tenu ses promesses, particulièrement dans les aliments de santé. C’est un peu ce que dénonce la crise, qui devrait réhabiliter la production et inciter à innover réellement. Il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer les produits dans leur qualité nutritionnelle, leur conservation. La marque doit prouver ce qu’elle prétend apporter de nouveau au consommateur. (1) Crédoc, Consommation et modes de vie, « le retour du plaisir de cuisiner », n° 217, décembre 2008.

Propos recueillis par J. W.-A.

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