Bulletins de l'Ilec

Assez de ressources pour tous ? - Numéro 398

01/03/2009

Entretien avec Xavier Leverve, directeur scientifique nutrition humaine sécurité alimentaire de l’Inra

L’évolution du climat va-t-elle affecter notre alimentation dans les vingt prochaines années ? Xavier Leverve : Oui, même si la prospective est toujours hasardeuse. L’évolution du climat va modifier la production, le prix des matières premières, et donc, sur fond de mondialisation, le prix de notre alimentation. Parallèlement, elle va modifier nos modes de vie, en particulier dans les pays les plus exposés au changement climatique, donc les modes d’alimentation, qui dépendent aussi du climat. Peut-on prédire ? Cela reste compliqué, d’autant que l’évolution du climat va se combiner avec les contraintes de développement durable. L’agriculture pourra-t-elle subvenir aux besoins ? Les ressources seront-elles suffisantes (un hectare de terres cultivées disparaît toutes les sept secondes de la surface du globe, alors qu’un enfant naît toutes les trois secondes) ? X. L : L’Inra engage actuellement une vaste prospective, Agrimonde, pour savoir si l’agriculture sera à même ou non de subvenir aux besoins de la population mondiale. On est bien sûr dans le domaine de la modélisation qui se fonde sur la croissance de la population, l’évolution des rendements, des terres cultivables. Selon ce qui est entré dans l’outil de modélisation, on peut avoir des fourchettes très variables. Globalement, on pense que l’agriculture devrait subvenir aux besoins de la population mondiale, à condition que certaines hypothèses nutritionnelles soient respectées, car si l’ensemble de la planète se met à consommer sur le modèle occidental, le modèle ne fonctionne pas. L’idéal serait un modèle intermédiaire entre le modèle occidental (alimentation carnée) et le modèle asiatique (alimentation végétal). Qu’attendre des nanotechnologies appliquées à la production, à la transformation et à la conservation des aliments ? X. L : Le sujet est délicat, car la population est encore très craintive, comme l’attestent les difficultés rencontrées autour des OGM. Les réticences seront-elles de même nature ? On ne connaît pas les avantages et les inconvénients des nanotechnologies en termes de sécurité alimentaire, de toxicologie. Pour autant, on peut déjà en attendre beaucoup sur le plan des emballages. Les nouvelles technologies pourront-elles compenser les moindres rendements résultant d’une agriculture que l’on veut moins polluante (13 % de l’effet de serre) ? X. L : Une agriculture plus respectueuse de l’environnement est une contrainte majeure. On connaît les effets d’une réduction des intrants en termes de productivité, et nous devons maintenir des rendements à un niveau suffisant pour nourrir la planète. S’il y a un domaine mal connu, c’est celui de la « partie des pertes » : la quantité de produits perdue à tous les niveaux, production, transport, distribution, consommation familiale. On peut faire de grands progrès pour réduire ces pertes. Va-t-on privilégier les circuits de distribution courts pour retrouver le goût des fruits et des légumes ? Vers une alimentation de proximité ? Cela est-il compatible avec le fait que la majorité de la population mondiale est urbaine et le sera encore plus dans vingt ans ? X. L : Question compliquée que celle des circuits courts ou longs, car on peut dire des choses et leur contraire en même temps. A priori, le circuit court serait plus respectueux de l’environnement, en raison notamment du transport. Mais quand on évalue le gain des circuits courts, on découvre qu​‌’il est très dépendant des modes de production. L’impact sur l’environnement n’est donc pas toujours celui que l’on croit, le coût énergétique doit être analysé point par point. Parfois, transporter de loin sur un bateau utilise moins de carburant que de produire avec un circuit court mais des intrants importants. Il est vrai que les circuits courts permettent d’avoir des produits à maturation plus complète, mais si les contraintes professionnelles de la maîtresse de maison ne l’autorisent à faire ses courses qu’une fois par semaine, l’intérêt du circuit court est limité. Sur le plan de l’urbanisation, l’Inra s’interroge sur les scénarios de peuplement et d’équilibre ville-campagne. Un des éléments qui vont influencer la répartition de la population est le prix de l’énergie. Si la contrainte est importante, nous irons vers un modèle type mégalopole, dans le cas contraire, la population pourrait être moins concentrée. L’impact des contraintes réglementaires sur notre alimentation va-t-il toujours s’accentuer ? X. L : Oui, l’impact va s’accentuer pour plusieurs raisons, dont la principale est la crainte du risque quand il n’est pas maîtrisé. Quand toute la production alimentaire est déléguée à l’industrie, quand le manque de lisibilité augmente entre la production et la consommation, les craintes s’accentuent. Paradoxe : l’alimentation n’a jamais été aussi sûre que maintenant, mais les craintes n’ont jamais été aussi grandes. La réglementation devient la seule réponse à proposer pour calmer ces craintes, à condition de ne pas tout standardiser, car il faut conserver la diversité alimentaire. Quel avenir voyez-vous pour la cuisine moléculaire et la cuisine aux additifs ? X. L : Dans les années 1960, on prédisait, pour l’an 2000, une cuisine à base de pilules. La cuisine d’aujourd’hui témoigne du contraire. L’alimentation joue toujours un rôle fondamental dans l’enracinement culturel, familial, émotionnel. Les contraintes sociologiques liées aux activités professionnelles, aux déplacements, ont néanmoins multiplié les modes d’alimentation, ceux de la semaine et du week-end, ceux du travail et du loisir... Il suffit de regarder les nombreuses émissions de télévision sur les cours de cuisine et la floraison de livres de recettes pour constater que la gastronomie est devant nous. En ce qui concerne la cuisine moléculaire, n’oublions pas que par essence la cuisine c’est de la chimie. Parler de cuisine moléculaire prouve que l’on comprend mieux ce que l’on prépare. Les additifs peuvent être des exhausteurs de goût, des ingrédients pour conserver le produit, ou jouer un rôle nutritionnel (minéraux, micro-nutriment). La voie est ouverte : ce qui est naturel n’est pas forcément sain, ce qui est chimique, pas obligatoirement délétère. Et quel avenir pour le bio ? X. L. : Là aussi, il faut dépassionner le débat. De quels éléments dispose-t-on pour affirmer que le salut alimentaire passe obligatoirement par le bio ? Certes, le bio est plus respectueux de l’environnement. Pour autant, les rendements étant moins bons, les prix sont plus élevés et l’accès moins facile. Pour le goût, affaire au combien subjective, les différences entre le bio et le non-bio ne peuvent être édictées de manière objective. Enfin, il n’est pas démontré que le bio est meilleur pour la santé que le non-bio.

Propos recueillis par J. W.-A.

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